Alors que les arrivĂ©es en provenance des pays latins sâeffondrent, le Royaume mise sur le marchĂ© de lâEurope centrale dans la plus grande foire touristique du monde.
Il faut aller Ă Berlin pour comprendre que la planĂšte regorge du «âplus beau pays du mondeâ». Du 7 au 11 mars, au Salon international du tourisme (ITB), le Maroc sâexposait face Ă ses 187 concurrents. Ce gigantesque salon accueille 170â000 visiteurs... dont 110â000 professionnels. A part lâAfghanistan et la Syrie, presque tous les pays sont prĂ©sents, mĂȘme lâIrak qui a accueilli 5â000 touristes en 2011, et dont la charmante hĂŽtesse nous affirme quâon peut sây rendre en individuel. Sur le stand de la Libye, notre interlocuteur nous prĂ©cise quâon nâa pas besoin de garde du corps et que dans trois mois, les hĂŽtels seront opĂ©rationnels.
Lâespoir fait vivre et on en avait bien besoin dans la zone Afrique du Nord. Le tourisme a chutĂ© de 31% en Tunisie lâannĂ©e derniĂšre, et les hĂŽtels de Sharm El Sheikh en Egypte, pourtant loin de lâĂ©picentre de la rĂ©volte, ont vu leur taux dâoccupation sâeffondrer de 39%. Il y a un effet domino de la panique quâexplique trĂšs bien Sabrina Teuber, directrice gĂ©nĂ©rale du tour operateur allemand Ecco Reiseinâ: «âQuand câest parti en Tunisie, les rĂ©servations sur lâEgypte ont chutĂ©. Quand ça a commencĂ© en Egypte, tout sâest arrĂȘtĂ© sur la zone. Ne me demandez pas pourquoi Marrakech est impactĂ© par ce qui se passe au Caire. Les Allemands sont parfois stupidesâ! Je leur disâ: "Quand il y a des problĂšmes Ă Paris, vous annulez vos vacances en Espagneâ?"â» Le Maroc fait presque figure de petit chanceux dans ce contexte. Le tourisme sâest maintenu, mĂȘme si Abdellatif Kabbaj, le fondateur du groupe Kenzi, nuanceâ: «âSi les arrivĂ©es augmentent de 1% alors que la capacitĂ© hĂŽteliĂšre a augmentĂ© de 30% ces derniĂšres annĂ©es, on se retrouve avec des taux dâoccupation Ă 41%. Or, un hĂŽtel, câest rentable quand câest rempli Ă 60%â!ââ» On est loin du compte dans un pays oĂč lâeffet du Printemps arabe a Ă©tĂ© amplifiĂ© par lâArgana. Et paradoxalement, ce nâest mĂȘme pas Marrakech qui a le plus ressenti le souffle de lâattentat mais FĂšs ou Agadir. «âEn pĂ©riode de crise, ce sont les destinations qui ont la notoriĂ©tĂ© la plus faible qui souffrent le plusâ», remarque Abdelhamid Addou, directeur gĂ©nĂ©ral de lâOMNT.
Enfin, la crise en Europe touche dâautant plus le Royaume que ses principaux marchĂ©s Ă©metteurs, la France, lâEspagne et lâItalie, sont frappĂ©s de plein fouet. La tentation est donc grande de sĂ©duire le seul grand pays europĂ©en Ă©pargnĂ© par la criseâ: lâAllemagne. Les visiteurs allemands ont augmentĂ© de 7% lâannĂ©e derniĂšre dans le Royaume. Une bonne performance trĂšs relative car les 220â000 Allemands qui sont venus au Maroc ne sont quâune goutte dâeau par rapport aux 11 millions de touristes Made in Germany qui sillonnent la terre et dĂ©pensent prĂšs de 60 milliards dâeuros par an. LâAllemagne est le premier marchĂ© Ă©metteur du monde.
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Manque dâoffres adaptĂ©es
Il y a une quinzaine dâannĂ©es, on retrouvait ces tĂȘtes blondes Ă Agadir oĂč ils reprĂ©sentaient 38% des arrivĂ©es. Mais ils sont passĂ©s de la premiĂšre Ă la troisiĂšme place dans la capitale du Souss devenue «âout of dateâ», selon un tour operateur marocain. Pour Abderrahim Oummani, prĂ©sident du Centre rĂ©gional du tourisme (CRT) de la ville, la belle Ă©poque dâAgadir sur le marchĂ© allemand sâexpliquait par lâabsence de concurrence Ă lâexception des Canaries. Depuis, il y a eu lâexplosion de la Turquie, de lâEgypte, de la RĂ©publique dominicaine. Et, pour attirer les Allemands, il faut penser colossal. MalgrĂ© le bĂ©tonnage de sa plage, Agadir reste une petite station. «âIci, le tourisme est une vĂ©ritable industrie. Les TO ont besoin dâhĂŽtels Ă©normes pour faire venir des avions Ă©normes afin de loger Ă©normĂ©ment dâAllemandsâ», explique Hatim El Gharbi, directeur de lâOffice national marocain du tourisme (ONMT) en Allemagne. Seul Marrakech a la taille critique pour attirer cette masse. Mais la ville ocre manque de plages recherchĂ©es par cette clientĂšle qui nâa accĂšs dans son pays quâĂ quelques eaux glaciales. Alors, il nây a que deux pages Maroc dans les brochures des TO allemands... contre une trentaine pour la Turquie. Le problĂšme, câest que le Royaume nâa pas dâoffres adaptĂ©es sauf Ă Agadir.â «âNos familles aiment les hĂŽtels all inclusive ce qui est rarement le cas au Marocâ», souligne Sabrina Teuber.
«âNous sommes le petit poucet. Le Maroc est une destination connue mais qui doit sâimposerâ», reconnaĂźt Hatim El Gharbi. Pour cela, le Royaume diversifie son offre en visant diffĂ©rents segmentsâ: lâincentive, les golfeurs, les Ă©colos sĂ©duits par le tourisme Ă©quitable et des stations comme Mogador, les adeptes du spa ou du caravaning... Toutes ces niches sont travaillĂ©es par lâONMT qui invite agents de voyage et journalistes Ă des voyages ciblĂ©s. Du 15 au 18 mars, les rĂ©dactrices fĂ©minines ont dĂ©couvert ainsi un tour «âAgadir for women onlyâ». Il reste maintenant Ă les convaincre dâaller ailleurs que dans le Souss (63% des arrivĂ©es) et Ă Marrakech (28%). Peanuts pour le reste du paysâ! «âEssaouira, personne ne connaĂźt chez nous, câest tellement joliâ!â», sâexclame un invitĂ© lors dâune rĂ©ception chez lâambassadeur du Maroc pendant le salon. Plage et cultureâ: la ville a du potentiel pour les Allemands. «âMais, il faut des kids clubs et des loisirsâ», conclut Sabrina Tauber... et tant pis si on mange aussi mal que dans les hĂŽtels club dâAgadir. On ne sĂ©duit pas les Allemands avec les mĂȘmes arguments que les Français...
Eric Le Braz |