115 milliards et 47,7 milliards de dirhams. Que cachent ces estimations de dĂ©ficit et de dĂ©tournements Ă©tablies par la commission dâenquĂȘte parlementaireâ? Le point de vue de Rafiq El Haddaoui, suite au dossier paru dans actuel n°129.
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Il a fallu attendre dix ans pour voir le procĂšs CNSS rĂ©activĂ© Ă la cour dâappel de Casablanca, dix ans aprĂšs la diffusion du fameux rapport de la commission dâenquĂȘte parlementaire, prĂ©sidĂ©e par Rahou El Hilaa, dĂ©voilant au grand jour le scandale. Pour Rafiq El Haddaoui, ex-directeur gĂ©nĂ©ral de la Caisse, de 1995 Ă 2001, «âle vĂ©ritable scandale est la maniĂšre dont cette enquĂȘte a Ă©tĂ© menĂ©e, sans recours Ă des experts qualifiĂ©s ni confrontation avec les hauts responsables de la Caisse comme lâexige la procĂ©dure contradictoire pour la quĂȘte de la vĂ©ritĂ©â».
Le rapport parle de 115ââmilliards de dirhams de dĂ©ficit et de 47,7ââmilliards de dĂ©tournements et de dilapidation de deniers publics. Deux chiffres largement relayĂ©s par la presse qui ont frappĂ© lâesprit de lâopinion publique. Estimations erronĂ©es, soutient lâancien ministre de lâEmploi qui avait Ă©tĂ© nommĂ© Ă la tĂȘte de la CNSS pour y instaurer les bonnes pratiques de gestion, dâaudit et de contrĂŽle.
Mais au-delĂ des dĂ©faillances de la mĂ©thodologie, que cachent ces deux montants faramineuxâ? Montants qui dâailleurs nâont pas Ă©tĂ© corroborĂ©s par le rapport de lâIGF diffusĂ© en 2004, les inspecteurs ayant reconnu ne pas ĂȘtre en mesure de chiffrer certaines pertes.
Ceux avancés par la commission parlementaire auraient été déduits sans la prise en compte des spécificités comptables du systÚme de sécurité sociale et des pratiques en vigueur dans le monde.
Le rapport estime Ă 18,8 milliards de dirhams le montant de la perte financiĂšre directe au titre des arriĂ©rĂ©s de cotisations supposĂ©es prescrites, mais dont les pĂ©nalitĂ©s de retard ont Ă©tĂ© annulĂ©es. «âEn rĂ©alitĂ©, les arriĂ©rĂ©s restent toujours redevables puisque la Caisse envoie, chaque annĂ©e, un relevĂ© de compte Ă ses affiliĂ©sâ». Quant Ă lâexonĂ©ration des pĂ©nalitĂ©s de retard, elle a Ă©tĂ© instaurĂ©e par voie rĂ©glementaire. Le texte ayant Ă©tĂ© promulguĂ©, la CNSS ne pouvait donc que sây conformer.
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Bras de fer entre institutions
Par ailleurs, le rapport estime Ă 10 milliards de dirhams le manque Ă gagner sur la rĂ©munĂ©ration des dĂ©pĂŽts auprĂšs de la CDG. Ces dĂ©pĂŽts auraient constituĂ© une manne de 16âmilliards de dirhams depuis la crĂ©ation de la Caisse. Or, non seulement la CNSS est tenue de dĂ©poser lâensemble de ses fonds auprĂšs de la CDG, mais le taux de rĂ©munĂ©ration de ces dĂ©pĂŽts est fixĂ© par dĂ©cret (3,15% en 2010).
Dâailleurs, ce volet a fait lâobjet dâun bras de fer entre les deux institutions durant plusieurs annĂ©es, et la CNSS a Ă©tĂ© sommĂ©e par lâex-ministre des Finances, Salaheddine Mezouar, et suite aux recommandations de la Cour des comptes, de transfĂ©rer la totalitĂ© de ses rĂ©serves quâelle avait confiĂ©e Ă des gestionnaires de fonds, soit environ 10âmilliards de dirhams.
Autre montant contestĂ© par Rafiq El Haddaouiâ: 7,4 milliards de dirhams au titre des prestations indĂ»ment versĂ©es Ă des affiliĂ©s durant les dĂ©cennies passĂ©es. «âIl est irrĂ©aliste de demander le remboursement, vingt ans aprĂšs, Ă des centaines de milliers de bĂ©nĂ©ficiaires dont la plupart ont un faible revenu.â» A lâissue dâun contrĂŽle rĂ©alisĂ© en 1996, la Caisse Ă©valuera Ă 377âmillions de dirhams, le montant des prestations versĂ©es indĂ»ment et dĂ©cidera dâarrĂȘter le systĂšme.
Le rapport reproche Ă©galement aux dirigeants de la Caisse leur inefficacitĂ©, en comparant le poids excessif des frais de gestion de la Caisse par rapport au montant des cotisations, Ă celui des sociĂ©tĂ©s dâassurance privĂ©es qui ne dĂ©passe pas 8%. La commission dâenquĂȘte Ă©value ainsi le manque Ă gagner Ă 1,5 milliard de dirhams. «âLes frais de personnel de la CNSS sont plus lourds du fait de lâhĂ©ritage du passĂ© et de lâinfluence des syndicats dans la gestion.â» Pour autant, soutient El Haddaoui, en 1999, la CNSS affichera un taux de 7,9%.
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PĂ©rimĂštre dâactivitĂ© remis en question
Aberration encore selon luiâ: la crĂ©ation de polycliniques et la rĂ©munĂ©ration de leurs personnels, assimilĂ©es Ă une perte dâinvestissement de 7 milliards de dirhams. Le rapport invoque que le dahir fondateur de la CNSS nâintĂšgre pas la crĂ©ation de polycliniques dans le pĂ©rimĂštre dâactivitĂ© de la CNSS. «âOr ces unitĂ©s ont un fondement juridique, puisquâelles figurent dans les plans de dĂ©veloppement validĂ©s en conseil des ministres. De plus, elles ont rempli une mission auprĂšs des citoyens.â»
Certes, pour ĂȘtre en conformitĂ© avec les statuts, il aurait fallu amender le dahir de 1972. Ce qui a fait lâobjet de recommandations Ă maintes reprises. «âQuoi quâil en soit cet investissement ne peut, en aucun cas, ĂȘtre assimilĂ© Ă une perte, au regard du patrimoine foncier et immobilier constituĂ©â!â», soutient lâex-patron de la CNSS.
Enfin, les rĂ©dacteurs du rapport, ayant estimĂ© le manque Ă gagner global Ă 47,7âmilliards de dirhams, iront jusquâĂ dĂ©duire le montant gĂ©nĂ©rĂ© par ces fonds sâils avaient Ă©tĂ© placĂ©s au taux du bon du TrĂ©sor auprĂšs de la CDG depuis la date de crĂ©ation de la Caisse, soit 67 milliards de dirhams. DâoĂč le montant explosif de 115 milliards de dirhams qui continue Ă faire couler beaucoup dâencre. La justice rĂ©ussira-t-elle, un jour, Ă dĂ©mĂȘler cette affaire aux multiples ramificationsâ?
Mouna Kably |