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Affaire CNSS El Haddaoui remet les pendules Ă  l'heure
actuel n°131, vendredi 2 mars 2012
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115 milliards et 47,7 milliards de dirhams. Que cachent ces estimations de dĂ©ficit et de dĂ©tournements Ă©tablies par la commission d’enquĂȘte parlementaire ? Le point de vue de Rafiq El Haddaoui, suite au dossier paru dans actuel n°129.


 

Il a fallu attendre dix ans pour voir le procĂšs CNSS rĂ©activĂ© Ă  la cour d’appel de Casablanca, dix ans aprĂšs la diffusion du fameux rapport de la commission d’enquĂȘte parlementaire, prĂ©sidĂ©e par Rahou El Hilaa, dĂ©voilant au grand jour le scandale. Pour Rafiq El Haddaoui, ex-directeur gĂ©nĂ©ral de la Caisse, de 1995 Ă  2001, « le vĂ©ritable scandale est la maniĂšre dont cette enquĂȘte a Ă©tĂ© menĂ©e, sans recours Ă  des experts qualifiĂ©s ni confrontation avec les hauts responsables de la Caisse comme l’exige la procĂ©dure contradictoire pour la quĂȘte de la vĂ©rité ».

 Le rapport parle de 115  milliards de dirhams de dĂ©ficit et de 47,7  milliards de dĂ©tournements et de dilapidation de deniers publics. Deux chiffres largement relayĂ©s par la presse qui ont frappĂ© l’esprit de l’opinion publique. Estimations erronĂ©es, soutient l’ancien ministre de l’Emploi qui avait Ă©tĂ© nommĂ© Ă  la tĂȘte de la CNSS pour y instaurer les bonnes pratiques de gestion, d’audit et de contrĂŽle.

 Mais au-delĂ  des dĂ©faillances de la mĂ©thodologie, que cachent ces deux montants faramineux ? Montants qui d’ailleurs n’ont pas Ă©tĂ© corroborĂ©s par le rapport de l’IGF diffusĂ© en 2004, les inspecteurs ayant reconnu ne pas ĂȘtre en mesure de chiffrer certaines pertes.

Ceux avancés par la commission parlementaire auraient été déduits sans la prise en compte des spécificités comptables du systÚme de sécurité sociale et des pratiques en vigueur dans le monde.

 Le rapport estime Ă  18,8 milliards de dirhams le montant de la perte financiĂšre directe au titre des arriĂ©rĂ©s de cotisations supposĂ©es prescrites, mais dont les pĂ©nalitĂ©s de retard ont Ă©tĂ© annulĂ©es. « En rĂ©alitĂ©, les arriĂ©rĂ©s restent toujours redevables puisque la Caisse envoie, chaque annĂ©e, un relevĂ© de compte Ă  ses affiliĂ©s ». Quant Ă  l’exonĂ©ration des pĂ©nalitĂ©s de retard, elle a Ă©tĂ© instaurĂ©e par voie rĂ©glementaire. Le texte ayant Ă©tĂ© promulguĂ©, la CNSS ne pouvait donc que s’y conformer.

 

Bras de fer entre institutions

Par ailleurs, le rapport estime Ă  10 milliards de dirhams le manque Ă  gagner sur la rĂ©munĂ©ration des dĂ©pĂŽts auprĂšs de la CDG. Ces dĂ©pĂŽts auraient constituĂ© une manne de 16 milliards de dirhams depuis la crĂ©ation de la Caisse. Or, non seulement la CNSS est tenue de dĂ©poser l’ensemble de ses fonds auprĂšs de la CDG, mais le taux de rĂ©munĂ©ration de ces dĂ©pĂŽts est fixĂ© par dĂ©cret (3,15% en 2010).

 D’ailleurs, ce volet a fait l’objet d’un bras de fer entre les deux institutions durant plusieurs annĂ©es, et la CNSS a Ă©tĂ© sommĂ©e par l’ex-ministre des Finances, Salaheddine Mezouar, et suite aux recommandations de la Cour des comptes, de transfĂ©rer la totalitĂ© de ses rĂ©serves qu’elle avait confiĂ©e Ă  des gestionnaires de fonds, soit environ 10 milliards de dirhams.

 Autre montant contestĂ© par Rafiq El Haddaoui : 7,4 milliards de dirhams au titre des prestations indĂ»ment versĂ©es Ă  des affiliĂ©s durant les dĂ©cennies passĂ©es. « Il est irrĂ©aliste de demander le remboursement, vingt ans aprĂšs, Ă  des centaines de milliers de bĂ©nĂ©ficiaires dont la plupart ont un faible revenu. » A l’issue d’un contrĂŽle rĂ©alisĂ© en 1996, la Caisse Ă©valuera Ă  377 millions de dirhams, le montant des prestations versĂ©es indĂ»ment et dĂ©cidera d’arrĂȘter le systĂšme.

 Le rapport reproche Ă©galement aux dirigeants de la Caisse leur inefficacitĂ©, en comparant le poids excessif des frais de gestion de la Caisse par rapport au montant des cotisations, Ă  celui des sociĂ©tĂ©s d’assurance privĂ©es qui ne dĂ©passe pas 8%. La commission d’enquĂȘte Ă©value ainsi le manque Ă  gagner Ă  1,5 milliard de dirhams. « Les frais de personnel de la CNSS sont plus lourds du fait de l’hĂ©ritage du passĂ© et de l’influence des syndicats dans la gestion. » Pour autant, soutient El Haddaoui, en 1999, la CNSS affichera un taux de 7,9%.

 

PĂ©rimĂštre d’activitĂ© remis en question

Aberration encore selon lui : la crĂ©ation de polycliniques et la rĂ©munĂ©ration de leurs personnels, assimilĂ©es Ă  une perte d’investissement de 7 milliards de dirhams. Le rapport invoque que le dahir fondateur de la CNSS n’intĂšgre pas la crĂ©ation de polycliniques dans le pĂ©rimĂštre d’activitĂ© de la CNSS. « Or ces unitĂ©s ont un fondement juridique, puisqu’elles figurent dans les plans de dĂ©veloppement validĂ©s en conseil des ministres. De plus, elles ont rempli une mission auprĂšs des citoyens. »

 Certes, pour ĂȘtre en conformitĂ© avec les statuts, il aurait fallu amender le dahir de 1972. Ce qui a fait l’objet de recommandations Ă  maintes reprises. « Quoi qu’il en soit cet investissement ne peut, en aucun cas, ĂȘtre assimilĂ© Ă  une perte, au regard du patrimoine foncier et immobilier constitué ! », soutient l’ex-patron de la CNSS.

 Enfin, les rĂ©dacteurs du rapport, ayant estimĂ© le manque Ă  gagner global Ă  47,7 milliards de dirhams, iront jusqu’à dĂ©duire le montant gĂ©nĂ©rĂ© par ces fonds s’ils avaient Ă©tĂ© placĂ©s au taux du bon du TrĂ©sor auprĂšs de la CDG depuis la date de crĂ©ation de la Caisse, soit 67 milliards de dirhams. D’oĂč le montant explosif de 115 milliards de dirhams qui continue Ă  faire couler beaucoup d’encre. La justice rĂ©ussira-t-elle, un jour, Ă  dĂ©mĂȘler cette affaire aux multiples ramifications ?

Mouna Kably

Un Ă©cheveau judiciaire

Au terme d’un long passage Ă  vide, le coup d’envoi du procĂšs est enfin donnĂ© le 4 octobre 2011, Ă  la cour d’appel de Casablanca.

La machine judiciaire se remet donc en marche, au rythme d’une audience tous les mardis, aprĂšs dix annĂ©es de mise en veilleuse. A ce jour, 28 personnes, dont les ex-directeurs gĂ©nĂ©raux, sont poursuivies. Il s’agit de Mohamed Gourja (1971-1992) et de Rafiq El Haddaoui (1995-2001) ainsi que de l’ex-secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral Abdelmoughit Slimani (1976-1992).

 Parmi ces vingt-huit personnes, trois sont en Ă©tat de fuite et pourraient ĂȘtre jugĂ©es par contumace. Si cette affaire a traĂźnĂ© en longueur pendant des annĂ©es, c’est qu’elle implique plusieurs parties et touche Ă  divers intĂ©rĂȘts. Pour en comprendre les soubassements, il faut remonter au mode de gouvernance de la CNSS. PrĂ©sidĂ© par le ministre de l’Emploi, son conseil d’administration, qui est censĂ© tracer les grandes lignes de la politique de la Caisse, est composĂ© des reprĂ©sentants du gouvernement, des salariĂ©s et du patronat.

 

Pendant plusieurs annĂ©es, c’est le sulfureux Mohamed Abderrazak, l’un des pontes de l’UMT avant son limogeage, qui avait occupĂ© le siĂšge de vice-prĂ©sident du conseil d’administration et de prĂ©sident du comitĂ© de gestion de la CNSS. Quand la gestion est confiĂ©e Ă  des syndicats, en l’absence de dispositif de contrĂŽle, l’on connaĂźt les dĂ©gĂąts collatĂ©raux que cela peut causer. L’affaire du Cos ONE est encore dans tous les esprits.

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