Entretien avec Mohamed Najib Boulif, ministre délégué chargé des Affaires générales et de la Gouvernance.
Pour allĂ©ger le dĂ©ficit de la Caisse de compensation, tout le monde doit y mettre du sien. Repositionnement de lâONE pour rĂ©duire lâaide de lâEtat, exploration de nouvelles pistes de compĂ©titivitĂ© par les industriels et acceptation par les citoyens dâune Ă©ventuelle hausse du prix.
actuel : Comment comptez-vous atténuer la pression sur la Caisse de compensation ?
Mohamed Najib Boulif : Depuis 2008, la Caisse de compensation est mal utilisĂ©e, et les fonds dĂ©pensĂ©s ne vont pas aux couches dĂ©favorisĂ©es. Les produits subventionnĂ©s, que ce soit de la farine ou du butane, ne profitent pas aux populations dĂ©munies. Il est donc urgent de revoir le fonctionnement de cette Caisse. Câest une question de gouvernance qui nous permettra de suivre et rĂ©orienter les sommes versĂ©es.
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Quelles sont les actions concrĂštes ?
Elles sont encore Ă lâĂ©tude. Je peux citer, nĂ©anmoins, quelques pistes. Pour les grosses cylindrĂ©es, nous augmenterons, en 2013, les tarifs des vignettes pour rĂ©cupĂ©rer une partie des sommes consommĂ©es indĂ»ment au travers des produits pĂ©troliers subventionnĂ©s. La deuxiĂšme rĂ©flexion porte sur les caisses parallĂšles de solidaritĂ© qui cibleront, de maniĂšre rĂ©gionale et selon la catĂ©gorie socioĂ©conomique, les plus dĂ©munis.
La réflexion est entamée sur la Caisse de la zakat prévue pour 2013. Nous escomptons en tirer entre 3 et 5 milliards de dirhams. Il y a aussi un fonds de péréquation interrégionale qui sortira avec la loi organique sur les régions.
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Quels nouveaux amĂ©nagements comptez-vous introduire, dans lâimmĂ©diat, dans la loi de Finances 2012, et ceux prĂ©vus Ă long terme ?
Il y a plusieurs projets de rĂ©forme de la Caisse. Mais, nous ne connaissons pas leur impact sur les prix Ă la pompe, sur le coĂ»t du transport, ni plus globalement sur le pouvoir dâachat du citoyen. Une Ă©tude dâimpact est lancĂ©e, elle sera prĂȘte dans trois ou quatre mois. Ses rĂ©sultats nous permettront de retenir la meilleure option, sur la base de donnĂ©es fiables.
Un dĂ©bat sera ensuite ouvert, et inclura lâensemble des parties prenantes pour choisir la meilleure option de rĂ©forme. Deux ou trois grandes sorties seront organisĂ©es par la suite pour expliquer les choix retenus. Le citoyen devra aussi comprendre que nous ne pouvons pas investir et crĂ©er des emplois si des milliards de dirhams continuent dâĂȘtre engloutis par la compensation.
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Quelles sont les mesures prévues dans la loi de Finances 2012 ?
Dans la loi de Finances 2012, il y aura des mesures simples, mais pas vraiment des actions de rĂ©forme de la Caisse de compensation. Il y aura quelques lĂ©gĂšres augmentations, bien concertĂ©es, sur des produits de luxe. Quinze pistes sont Ă lâĂ©tude, mais rien nâest encore tranchĂ©. Nous pensons, par exemple, que les grandes tranches dâĂ©lectricitĂ©, entre 400 et 500 kW/h, ne doivent pas ĂȘtre subventionnĂ©es. La piste envisagĂ©e serait dâaugmenter la taxe de lâaudiovisuel sur ces tranches de consommation.
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Que prévoyez-vous pour affiner le ciblage des couches défavorisées ?
GrĂące Ă un benchmarking des expĂ©riences internationales, nous Ă©tudions diffĂ©rentes possibilitĂ©s pour affiner le ciblage et toucher les populations concernĂ©es. Nous pensons Ă des cartes de pointage instaurĂ©es par le Chili par exemple. Actuellement, nous sommes en train dâĂ©tudier ce systĂšme, avec la Banque mondiale. Cela nous permettra dâavoir un fichier central avec des mĂ©nages bien identifiĂ©s, tout en assurant un suivi de leur situation.
Ce qui permettra de rĂ©ajuster, par la suite, la subvention en fonction de lâĂ©volution de la situation des mĂ©nages. Par ailleurs, il y a aussi le programme Ramed initiĂ© au niveau de la rĂ©gion Tadla-Azilal, qui cible plus de 80â000 familles rĂ©pertoriĂ©es et bien identifiĂ©es. Le ministĂšre de la SantĂ© est prĂȘt Ă nous communiquer cette base de donnĂ©es qui nous servira de point de dĂ©part. Cela dit, la rĂ©ussite du ciblage ne peut se faire sans la coordination de lâensemble des dĂ©partements.
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Allez-vous supprimer la subvention fuel accordĂ©e Ă lâONE ?
Il nâa jamais Ă©tĂ© question de suppression de subvention. En revanche, lâONE est un Ă©tablissement public qui ne peut ĂȘtre gĂ©rĂ© en comptant sur des subventions de lâEtat sur le fuel qui peuvent atteindre jusquâĂ 6âmilliards de dirhams/an. Ce schĂ©ma nâest pas viable Ă long terme.
Des centrales, bien quâelles soient en mesure de fonctionner avec du fuel normal, utilisent le fuel spĂ©cial car subventionnĂ©. Ce qui occasionne des pertes Ă©normes pour lâEtat. Par ailleurs, lâONE nâa pas rĂ©alisĂ© des investissements permettant une gestion optimale du parc Ă©lectrique. Par exemple, il nây a pas de centrales Ă Safi. Ce qui occasionne des charges supplĂ©mentaires de 2 milliards de dirhams/an. LâEtat nâa pas Ă payer les erreurs de gestion de lâOffice.
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Quâenvisagez-vous pour les autres secteurs ?
Les secteurs ne sont pas identiques. Pour la farine, la libĂ©ralisation du marchĂ© permettra aux minotiers de travailler et de dĂ©gager plus de valeur ajoutĂ©e. Aujourdâhui, parce quâil y a de la farine compensĂ©e, ils ne travaillent quâĂ 60% de leur capacitĂ©. Si lâon ouvre le marchĂ©, tout en amĂ©liorant les conditions dâimportation, la compĂ©titivitĂ© augmentera et les unitĂ©s de production tourneront Ă 80% ou 90% de leur capacitĂ©.
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Le budget est en crise et les prévisions de croissance sont revues à la baisse. Comment traverser cette crise ?
Il ne faut pas ĂȘtre alarmiste. La situation actuelle nâest pas rĂ©cente. Elle dure depuis 2010. Mais faute de transparence, les chiffres rĂ©els nâĂ©taient pas annoncĂ©s. En octobre, on a annoncĂ© 3,5% de dĂ©ficit, quinze jours plus tard, on nous a dit quâil Ă©tait de 4,5%, puis de 4,8%.
Tout le monde avait actĂ© ce dernier taux alors que le dĂ©ficit rĂ©el Ă©tait de 6,1%. Or, personne ne peut croire que lâon puisse passer, en lâespace dâun mois, de 4,8% Ă 6,1% de dĂ©ficit.
Aujourdâhui, les Marocains savent que les derniers chiffres reflĂštent la rĂ©alitĂ©. Ce qui est dĂ©jĂ un point positif. Concernant le budget 2012, il reste ambitieux puisque, malgrĂ© les 6,1% de dĂ©ficit, on sâengage sur un taux de croissance de 5%. Un objectif rĂ©aliste et rĂ©alisable au vu des niches de recettes possibles, il faut juste optimiser leur utilisation.
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Quelles sont ces pistes ?
Elles sont nombreuses. A lâinternational, la conjoncture favorise le Maroc. LâEgypte et la Tunisie ont fait leur rĂ©volution, mais le climat reste perturbĂ©. Les investisseurs qui ciblaient ces pays ne sont pas encore rassurĂ©s. En attendant le retour au calme, ils attendent un signal de notre part. Il faut donc ĂȘtre proactif. Lâautre piste est liĂ©e aux produits alternatifs. Aujourdâhui, nous sommes en proie Ă un manque de liquiditĂ©s.
A Davos, le message Ă©tait clairâ: lâEurope est en crise et la Banque mondiale a des problĂšmes, elles ne peuvent plus nous aider comme par le passĂ©. Les pays du Golfe ont des surplus et ne demandent quâĂ venir investir chez nous. Câest nous qui tardons Ă leur ouvrir les portes puisque la loi sur les produits alternatifs nâest pas encore prĂȘte. Je vous garantis que si elle est votĂ©e, des milliards de dollars afflueront.
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OĂč en est la loi sur la finance islamique ?
Nous travaillons avec la Banque centrale et le ministĂšre des Finances sur une mouture finale. Techniquement, nous pensons avoir un premier jet Ă soumettre aux discussions, dĂšs mars prochain. Tout nâest pas nĂ©gatif dans cette conjoncture. Avec une bonne gouvernance et de la volontĂ©, nous pourrons en sortir gagnants. Cela dit, si lâon rate lâannĂ©e, on peut se rattraper en 2013.
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Mais, en attendant, la pression de la rue sâexacerbeâŠ
Ce qui frustre le Marocain, plus que le chĂŽmage, câest lâinĂ©galitĂ© des chances. Dans une conjoncture difficile, il peut comprendre que la crĂ©ation dâemplois soit difficile, mais il nâaccepte pas que pour dâautres, il suffise dâun coup de tĂ©lĂ©phone pour dĂ©crocher un poste. Nous veillerons Ă ce que cela ne se produise pas.
Propos recueillis par Khadija El Hassani |