Les enchĂšres publiques sont censĂ©es ĂȘtre un moyen efficace pour acheter des biens, immobiliers entre autres, Ă prix rĂ©duits. Cependant, si participer Ă ces ventes est facile, les remporter relĂšve du miracle. Pour cause, ces enchĂšres sont aujourdâhui le terrain de jeu dâune poignĂ©e dâhommes dâaffaires, le plus souvent invisibles, qui ont pu investir ce crĂ©neau.
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Acheter un bien immobilier Ă crĂ©dit peut trĂšs vite se transformer en cauchemar. Quand les mensualitĂ©s deviennent un fardeau que lâon ne peut plus supporter, il arrive parfois que lâorganisme de crĂ©dit perde patience et rĂ©clame son dĂ» par la maniĂšre forte. Et quand toutes les voies «âĂ lâamiableâ» sont Ă©puisĂ©es, reste celle de la vente aux enchĂšres publiques.
Les tribunaux de commerce croulent sous les dossiers dâimpayĂ©s. Les listes des biens mis Ă la vente aux enchĂšres se comptent par centaines et sont rĂ©guliĂšrement mises Ă jour. Les prix de vente de dĂ©part sont, la plupart du temps, bien infĂ©rieurs Ă la valeur rĂ©elle de ces biens sur le terrain. De quoi donner des idĂ©es. Acheter sa maison ou son premier lot de terrain dans une vente aux enchĂšres publiques paraĂźt, a priori, une bonne opportunitĂ©. Une fois le lot identifiĂ©, et la dĂ©cision prise, il faut passer Ă lâacte. Câest Ă ce moment-lĂ que ce qui paraissait ĂȘtre, au dĂ©but, une bonne affaire se transforme en mauvaise surprise. «âLes ventes aux enchĂšres publiques attirent des pseudo-hommes dâaffaires qui ont fait de ce crĂ©neau leur mĂ©tier. Ils se sont constituĂ©s, avec le temps, en rĂ©seaux organisĂ©s. Nous avons aujourdâhui pris lâhabitude de voir les mĂȘmes personnes participer Ă toutes les enchĂšres. Avec le temps, ce sont devenus de vrais businessmen, dĂ©veloppant une vĂ©ritable stratĂ©gie pour sâassurer de remporter les enchĂšresâ», affirme Me Hassan Kadiri, membre du bureau dâAgadir du syndicat des avocats.
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Un travail bien préparé
Les biens programmĂ©s pour la vente aux enchĂšres sont rĂ©partis entre les acheteurs, selon ce que chacun prĂ©fĂšre acquĂ©rir. «âDe cette maniĂšre, chaque participant a la garantie quâil ne sera pas "dĂ©rangĂ©" par les autresâ», explique Me Kadiri. Et dâajouter, «âpour un bien dĂ©terminĂ©, les intĂ©ressĂ©s se mettent parfois dâaccord sur le prix de vente final avant la sĂ©ance de vente aux enchĂšres publiques. Le plus souvent, cela se passe dans un cafĂ©, quelques jours, voire quelques semaines avant la venteâ». A titre dâexemple, le prix de lâenchĂšre de dĂ©part fixĂ© par le tribunal, sur proposition de lâexpert, dâun lot de terrain est de 500â000 dirhamsâ; alors que sa valeur rĂ©elle sur le marchĂ© est dâun million de dirhams. Lâacheteur qui veut rĂ©cupĂ©rer ce lot peut gagner lâĂ©quivalent de sa mise en le revendant. Avec ses «âcollĂšguesâ», lâacheteur dĂ©cide dâacquĂ©rir le terrain Ă 550â000 dirhams. Ces derniers le laissent faire Ă condition quâil leur verse 50â000 dirhams chacun. Au final, le lot de terrain lui coĂ»tera, frais de transaction compris, 800â000 dirhams. Une fois au tribunal de commerce, commence alors un jeu de fausses surenchĂšres qui sâarrĂȘte dĂšs que la somme fixĂ©e Ă lâavance est atteinte. Il nâest dâailleurs pas exclu de voir le gagnant dâune enchĂšre prĂ©senter immĂ©diatement un chĂšque certifiĂ© portant le montant exact de lâenchĂšre finale, alors quâil date de quarante-huit heures ou plus. «âCâest un scĂ©nario tout Ă fait possible. En plus, les preuves sont difficiles Ă fournir pour prouver le dĂ©litâ», explique Me Hassan Kadiri. Si preuves il y a, il sâagit dâun dĂ©lit dâescroquerie et le code pĂ©nal est immĂ©diatement appliquĂ©.
Les acheteurs ne sont pas seuls dans ce business. «âLes experts mĂ©treurs vĂ©rificateurs sont parfois impliquĂ©sâ», souligne Hassan Kadiri. Ces derniers sont choisis par le tribunal afin dâĂ©valuer la valeur du bien mis aux enchĂšres et dâaider Ă fixer son prix de vente de dĂ©part. Dans notre exemple, le prix de vente de dĂ©part aurait pu ĂȘtre plus Ă©levĂ©. Seulement, lâexpert mĂ©treur vĂ©rificateur (voir encadrĂ©) a Ă©valuĂ© le terrain Ă un prix beaucoup plus bas que sa valeur rĂ©elle. «âLe rĂŽle des experts assermentĂ©s est important. Parfois, malheureusement, certains dâentre eux choisissent la voie de la facilitĂ©â», affirme Me Mohamed Ajraoui, avocat inscrit au barreau de MeknĂšs. Ils sont approchĂ©s par les acheteurs afin dâĂ©valuer Ă la baisse une parcelle de terrain ou un appartement. Câest pour cette raison que pour un seul et mĂȘme bien, on peut avoir deux estimations de prix totalement contradictoires. Câest ce qui arrive dâailleurs lorsquâune contre-expertise est demandĂ©e (voir encadrĂ©). «âLa diffĂ©rence atteint parfois le doubleâ», affirme Me Ajraoui. Et dâajouter, «âil arrive quâil soit difficile de trouver un acheteur pour un bien mis aux enchĂšres. A ce moment, il est parfois lĂ©gitime de se poser la question sur les raisons de ce blocageâ». Les avocats semblent donc sâaccorder sur le fait que les experts mĂ©treurs assermentĂ©s doivent avoir une solide conscience professionnelle. Dans le cas contraire, le risque de tomber dans cette spirale devient plus important. «âCâest le problĂšme majeur des ventes aux enchĂšres au Marocâ», explique Me Kadiri. La solutionâ? Une sensibilisation certes, mais un contrĂŽle pointu, Ă lâentrĂ©e de la profession comme pendant lâexercice.
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Une responsabilité partagée
Les avocats ont aussi une part de responsabilitĂ© dans ce business. Bien que la majoritĂ© dâentre eux refusent dâen parler, ou le font Ă demi-mot, certains avocats ont prouvĂ© quâils Ă©taient capables des pires atteintes Ă lâĂ©thique professionnelle. En tĂ©moignent les radiations pour dĂ©tournement de dĂ©pĂŽts, y compris ceux issus des ventes aux enchĂšres, survenues ces dix derniĂšres annĂ©es. Quant aux juges, les avocats interrogĂ©s Ă ce sujet sont tous unanimesâ: lâintĂ©gritĂ© ne fait pas dĂ©faut dans leurs rangs. «âBien au contraire, ils nous facilitent la tĂąche et accĂšdent rapidement aux requĂȘtes de contre-expertise que nos clients demandentâ», souligne Me Ajraoui. Ils sont Ă©galement attentifs aux visages des enchĂ©risseurs qui occupent leurs salles durant les enchĂšres. Si ces acheteurs ont fait des ventes aux enchĂšres leur «âmĂ©tierâ», ils ont intĂ©rĂȘt Ă garder profil bas. Ceux qui se font «âgrillerâ», ne peuvent plus se prĂ©senter eux-mĂȘmes au tribunal de commerce. Ils continuent cependant leur business en se faisant «âreprĂ©senterâ» par de faux enchĂ©risseurs qui achĂštent pour leur compte les biens qui les intĂ©ressent. Lâargent nĂ©cessaire est versĂ© directement sur les comptes de ces faux acheteurs, puis prĂ©levĂ© pour les besoins de la transaction. La mĂȘme technique est utilisĂ©e quand les rapports avec les autres acheteurs ne sont plus au beau fixe. Car il est vital de garder de bonnes relations avec les concurrents au risque de se voir «âbalancĂ©â». Quoi quâil en soit, aujourdâhui, ces pseudo-hommes dâaffaires restent intouchables, au dĂ©triment des citoyens qui sâessayent aux ventes aux enchĂšres en espĂ©rant y rĂ©aliser la bonne affaire, mais qui frĂ©quentent, le temps dâune sĂ©ance, de vĂ©ritables pros de la surenchĂšre
Abdelhafid Marzak |