Les rĂ©centes rumeurs sur dâhypothĂ©tiques opĂ©rations dâespionnage industriel, Ă partir du Maroc, relancent le dĂ©bat sur lâintelligence Ă©conomique. Grandes entreprises et administrations ont investi ce champ. Bilan dâun marchĂ© arrivĂ© Ă maturitĂ©.
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Adopter une dĂ©marche dâIntelligence Ă©conomique (IE) aurait pu Ă©viter plusieurs drames sociaux et humains, notamment dans les affaires Annajat, Hanouty ou encore eFloussy. Si ces cas dâĂ©checs ont laissĂ© des sĂ©quelles, dâautres, tout aussi dangereux pour lâĂ©conomie marocaine, ont Ă©tĂ© Ă©vitĂ©s de justesse.
«âUn certain nombre dâaffaires potentielles de la mĂȘme envergure quâAnnajat ont Ă©tĂ© Ă©vitĂ©es ces derniĂšres annĂ©es, grĂące aux pratiques de lâIE mises en place par les services Ă©tatiques. Si lâon nâen entend pas parler câest, prĂ©cisĂ©ment, parce quâelles nâont pas Ă©clatĂ© au grand jourâ», affirme Abdelmalek Alaoui, associĂ©-gĂ©rant Ă Global Intelligence Partners, cabinet de conseil en IE Ă Rabat. Toutefois, si lâIE permet de rĂ©duire les risques dâĂ©chec, elle ne peut pas toujours contrer les escroqueries et les faillites frauduleuses.
Mais de quoi sâagit-il au justeâ? LâIE diffĂšre de lâespionnage industriel. Elle sâinscrit dans une dĂ©marche lĂ©gale de recherche de lâinformation utile qui permet de prendre des dĂ©cisions stratĂ©giques. Lâobjectif Ă©tant dâamĂ©liorer la position concurrentielle dâune entreprise ou dâun pays. Contrecarrer le lancement de nouveaux produits, adapter les prix ou lancer une nouvelle activitĂ©âŠ
Autant de motivations qui incitent un nombre croissant de grandes entreprises marocaines Ă investir dans lâIE. Le concept apparaĂźt au Maroc dans les annĂ©es 90 au sein dâune poignĂ©e de sociĂ©tĂ©s. En 2007, quelques entreprises seulement Ă©taient en mesure de sâoffrir une cellule de veille et dâIE comme la BCP, la CDG, lâONCF, MĂ©ditel, Lafarge Maroc ou encore Poste Maroc.
Dans un document intitulĂ© «âEtude empirique sur les pratiques des entreprises marocaines en matiĂšre dâIEâ», Rida Chafik affirme que 70% des entreprises ne disposent pas dâun budget dĂ©diĂ© Ă la veille. Depuis, la donne a changĂ©. Aujourdâhui, le marchĂ© est estimĂ© Ă 400 millions de dirhams rĂ©partis Ă©quitablement entre le privĂ© (une trentaine dâacteurs) et le secteur public.
«âUne cellule de veille type est aujourdâhui composĂ©e de 3 Ă 5 personnes dans les grandes entreprises et les administrations rĂ©galiennes, et dâune personne, en gĂ©nĂ©ral un veilleur analyste, dans les PME et petites administrations.â»
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Les PME et PMI mal loties
Si le marchĂ© est en phase de maturation, il reste dominĂ© par les grandes entreprises. Les PME et PMI restent convaincues quâune telle initiative nĂ©cessite des investissements colossaux, pour des rĂ©sultats pas toujours garantis.
«âIl peut ĂȘtre parfois judicieux et Ă©conomiquement viable de commencer par externaliser le processus dâIE, afin dâĂȘtre sĂ»r que cela correspond Ă lâobjectif recherchĂ©â», explique Alaoui. Ce qui suppose une rĂ©flexion en amont sur les motivations et les rĂ©sultats attendus. Dans le cas oĂč lâentreprise opte pour une solution interne, elle dispose dâune panoplie dâoutils et de logiciels.
MalgrĂ© la confidentialitĂ© qui rĂšgne dans ce domaine, lâon sait quâAMI Software, fournisseur de solutions de veille technologique et dâanalyse stratĂ©gique, compte parmi ses clients Maroc Telecom, Charaf Group ou encore Autoroutes du Maroc.
Pour leur part, des grands groupes comme Peugeot, Renault, NestlĂ©, Lafarge ou encore Veolia, ont choisi GrimmerSoft, Ă©diteur de logiciels dâenquĂȘtes internes, de collecte et dâanalyse dâinformations.
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Un problĂšme de RH avant tout
Mais ces logiciels ne viennent quâen dernier lieu. Au prĂ©alable, il faut recruter le personnel qualifiĂ©. Câest Ă ce niveau que le bĂąt blesse. Rida Chafik en sait quelque chose. SpĂ©cialisĂ© en IE, il nâa pas rĂ©ussi Ă se faire recruter dans sa spĂ©cialitĂ©.
«âAu Maroc, les ressources humaines spĂ©cialisĂ©es ont du mal Ă trouver des postes correspondant Ă leur formationâ», affirme-t-il. Abdelmalek Alaoui a, lui, un autre point de vue sur le sujet.
Les laurĂ©ats dâuniversitĂ©s marocaines ne trouvent pas dâemploi car il y a «âinadĂ©quation entre les formations dispensĂ©es en IE et le marchĂ© du travailâ», explique-t-il.
Un praticien dâIntelligence Ă©conomique est dâabord un individu qui se place dans une dĂ©marche de production et dâenrichissement de la connaissance.
«âA ce niveau, nous constatons les plus grandes lacunes, et de gros besoins en formations complĂ©mentaires se font sentir car les universitĂ©s marocaines mettent surtout lâaccent sur lâapprentissage de schĂ©mas thĂ©oriquesâ», regrette Alaoui. La solution ? Concevoir un diplĂŽme professionnel, dispensĂ© par des grandes Ă©coles marocaines pour crĂ©dibiliser le secteur.
Abdelhafid Marzak |