Le dĂ©mantĂšlement douanier pour les vĂ©hicules neufs et les restrictions sur les voitures de plus de cinq ans entrent en vigueur en mars. Mais le parc automobile national nâest pas prĂšs dâĂȘtre rajeuni. EnquĂȘte au cĆur du marchĂ© de la piĂšce de rechange.
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Hassan E. nâen peut plus. Depuis un mois, il cherche dĂ©sespĂ©rĂ©ment un bloc moteur dâoccasion pour lâutilitaire dont il a besoin pour nourrir sa famille. «âLe problĂšme nâest pas dâen trouver, mais de lâacquĂ©rir Ă un prix qui soit Ă ma portĂ©eâ!â», lance-t-il Ă©nervĂ©. En effet, il est hors de question pour lui dâacheter du neuf, car trop cher.
Si le marchĂ© de la piĂšce de rechange reste stable, celui des piĂšces dites de rĂ©cupĂ©ration a, au contraire, littĂ©ralement flambĂ©. «âLe marchĂ© est, actuellement, Ă la hausse et le restera trĂšs probablement durant les six prochains moisâ», partage Mohammed Rachidi, responsable commercial chez SPDO, un grossiste de piĂšces de rechange dâorigine issues de la rĂ©cupĂ©ration, opĂ©rant au Maroc.
Flairant le bon filon, cette entreprise a ouvert, il y a deux ans, une antenne Ă Casablanca pour importer des piĂšces de rechange de voitures europĂ©ennes. Cependant, ces derniers mois, les droits de douane ont augmentĂ© de 10% Ă 20%, selon le type et la catĂ©gorie de moteur. Cette hausse est rĂ©percutĂ©e sur les semi-grossistes qui la transfĂšrent, Ă leur tour, au client final. Pour les revendeurs, le plus dur nâest pas dâimporter des piĂšces auto dâoccasion, mais de le faire au moindre coĂ»t.
A cela sâajoute un autre problĂšmeâ: «âLa situation est devenue plus compliquĂ©e depuis que les services douaniers nâacceptent plus le certificat dâorigine (EUR1), qui nous permet de bĂ©nĂ©ficier de rĂ©ductions douaniĂšres sur la marchandise en provenance de lâUnion europĂ©enneâ», explique El Mostafa Belhouari, membre de la filiale casablancaise de IchaĂą, association des importateurs et revendeurs de piĂšces dĂ©tachĂ©es dâautomobiles de rĂ©emploi.
Un autre manque Ă gagner de lâordre de 40%. Mais les membres de lâassociation disent comprendre que lâorigine des piĂšces dĂ©tachĂ©es ne soit pas facilement identifiable, surtout pour des piĂšces automobiles issues de vĂ©hicules en circulation en France ou en Europe. Manque de chance pour Hassan E. puisque câest lui qui payera la diffĂ©rence.
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Circuits parallĂšles
Face au renchĂ©rissement constant des piĂšces dâorigine de rĂ©cupĂ©ration, les automobilistes, comme certains professionnels dâailleurs, cherchent des alternatives qui se rĂ©vĂšlent parfois ĂȘtre Ă la limite de la lĂ©galitĂ©. Les Marocains rĂ©sidant Ă lâĂ©tranger offrent, depuis des annĂ©es, une alternative low cost pour les piĂšces de rechange de rĂ©cupĂ©ration.
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Il y a quelque temps encore, Taourirt se positionnait encore comme la plaque tournante des piĂšces de rechange dâorigine, dâoccasion. La majeure partie des professionnels et particuliers sây approvisionnaient. «âAvec le temps, ils se sont rendu compte que les piĂšces qui circulaient Ă Taourirt Ă©taient de qualitĂ© moyenne, destinĂ©es, Ă la base, au marchĂ© espagnolâ», se rappelle Mohammed Rachidi. Aujourdâhui, les professionnels de MeknĂšs, de FĂšs et mĂȘme de LaĂąyoune prĂ©fĂšrent venir Ă Casablanca pour sâapprovisionner.
Al Hoceima est connue pour alimenter, en piĂšces de rechange, une bonne partie du parc des grands taxis du Royaume. «âIl suffit de sây rendre avec son taxi pour y monter sur place tous les Ă©lĂ©ments que lâon veutâ», partage un chauffeur de taxi. Les salons intĂ©rieurs, les tableaux de bord et mĂȘme les blocs moteurs peuvent ĂȘtre montĂ©s sur place. «âCâest simple et le taxi est retapĂ© Ă neufâ», explique notre chauffeur. Si Al Hoceima est Ă la mode, câest parce que Casablanca ne peut plus satisfaire toute la demande. Avec plus de 8â000 taxis blancs qui y circulent, les professionnels de Sidi Moumen, Sbata et Hay Hassani ne savent plus oĂč donner de la tĂȘte. «âMĂȘme Ă El Gara et Berrechid, les piĂšces se font rares aujourdâhuiâ», confie un revendeur.
Un peu moins connue, une autre technique se dĂ©veloppe Ă grande vitesse et permet Ă bon nombre dâautomobilistes de changer les piĂšces de leur vĂ©hicule Ă des prix trĂšs abordables. La technique est simpleâ: «âIl suffit de transvaser lâun dans lâautre.â» La combine consiste Ă acheminer de lâĂ©tranger un vĂ©hicule identique Ă celui du client. Une fois au Maroc, toutes les piĂšces dont lâautomobiliste a besoin sont prises du vĂ©hicule Ă©tranger et montĂ©es dans la voiture marocaine, et vice-versa. Une fois lâopĂ©ration terminĂ©e, le vĂ©hicule Ă©tranger repasse les frontiĂšres pour ĂȘtre abandonnĂ© ou envoyĂ© Ă la casse.
Cette opĂ©ration, Ă la limite de la lĂ©galitĂ©, permet dâĂ©viter les frais de douane. «âMĂȘme sans ĂȘtre connaisseur, on sait que les piĂšces ou le moteur sont en bon Ă©tat puisquâils ont permis au vĂ©hicule de traverser les frontiĂšres. En plus, le prix est nettement plus basâ», explique un automobiliste.
Ces pratiques, Rachid El Bettal, prĂ©sident de lâAssociation marrakchie des importateurs de piĂšces de rechange et composants dâoccasion pour automobiles, les perçoit comme une menace pour sa profession. «âAujourdâhui, nous sommes cinq cents Ă travailler en respect avec la lĂ©gislation.
Chacun de nous emploie en moyenne quatre personnes. Au total, ce sont un peu plus de deux mille familles qui vivent de ce mĂ©tierâ», partage-t-il. A Casablanca, les chiffres sont beaucoup plus Ă©levĂ©s. Entre Sidi Moumen, Sbata et Hay Hassani, prĂšs de deux mille commerces se sont spĂ©cialisĂ©s dans les piĂšces de rechange de rĂ©cupĂ©ration, totalisant prĂšs de huit mille emplois directs et autant dâemplois indirects.
Des piÚces certifiées
Au-delĂ de lâimpact social, une autre menace pĂšse sur la profession. «âNotre secteur est dĂ©jĂ mis Ă mal par le lobby trĂšs puissant des importateurs de piĂšces de rechange adaptables.
LâAssociation marocaine pour lâindustrie et le commerce de lâautomobile (AMICA) pĂšse, en effet, de tout son poids pour dĂ©crocher lâinterdiction dâimporter certaines piĂšces et accessoires de rechange pour automobilesâ», affirme Belhouari.
En soi, cette dĂ©cision serait absurde. Les piĂšces de rechange de rĂ©cupĂ©ration sont Ă mi-chemin entre lâadaptable et le neuf dâorigine. Elles sont plus robustes que les premiĂšres et moins chĂšres que les secondes.
A titre dâexemple, une culasse neuve pour lâutilitaire de Hassan coĂ»terait 12â000 dirhams chez le concessionnaire. «âJe pourrais lui vendre la mĂȘme dâoccasion, Ă 2â500 dirhamsâ», affirme Belhouari. Le choix est vite fait.
Mais le prix nâest pas le seul argument des professionnels de la piĂšce de rĂ©cupĂ©ration. «âLes piĂšces que nous importons sont dĂ©polluĂ©es et ne nuisent, en aucun cas, Ă lâenvironnement. Une expertise systĂ©matique est opĂ©rĂ©e avant lâimportation et un certificat nous est fourni sur placeâ», assure un importateur sexagĂ©naire qui se dĂ©place encore rĂ©guliĂšrement en France pour se fournir.
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Autre argument de lâAssociation contre lâinterdiction, et non des moindresâ: la libertĂ© de choix des consommateurs. «âNous interdire lâimport et la vente de certaines piĂšces de rechange serait limiter lâoffre sur le marchĂ©. Or, la libertĂ© pour le consommateur de choisir une source dâapprovisionnement est un vecteur de dĂ©mocratisation du commerce au Marocâ», analyse un membre de lâassociation IchaĂą.
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