La loi de Finances 2012 connaĂźt bien des pĂ©ripĂ©ties. Si les tendances lourdes sont connues, ne laissant guĂšre de marge de manĆuvre au nouveau ministre, plusieurs inconnues subsistent. Surtout, le prix du baril et la charge de compensation.
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Le feuilleton du projet de loi de Finances promet encore des rebondissements. Selon les derniĂšres indiscrĂ©tions, le gouvernement Benkirane promet des amendements qui «âtrancheront avec lâexistant et feront sentir aux Ă©lecteurs, de façon sensible, le changementâ».
La nouvelle Ă©quipe entend donc marquer les esprits dĂšs son premier exercice. MĂȘme si cela suppose une vĂ©ritable course contre la montre. Ainsi, Ă en croire un membre de la commission fiscalitĂ© du parti de la lampe, le fameux fonds national de solidaritĂ©, qui a Ă©tĂ© retirĂ© in extremis par Salaheddine Mezouar, devrait refaire surface dans la nouvelle version du projet de budget.
«âToutes les dispositions de lâancienne mouture qui Ă©taient supprimĂ©es, sans motif valable, devraient ĂȘtre rĂ©introduitesâ», assure une source de la majoritĂ© gouvernementale.
Lâautre grande rupture serait dâordre fiscal, laisse entendre SaĂŻd Khairoun, membre de la commission fiscalitĂ© du PJD.
La rĂ©vision des taux de la TVA, notamment sur les produits de base, sera ainsi remise sur la table tout comme le projet dâharmonisation des taux qui devraient ĂȘtre ramenĂ©s Ă deux ou trois seulement. Une idĂ©e phare que lâon retrouvait dĂ©jĂ dans le programme Ă©lectoral du parti de la lampe.
Parmi les autres dispositions sĂ©rieusement envisagĂ©es, la rĂ©vision Ă la hausse de la taxation des produits de luxe. Egalement dans le collimateur de lâĂ©quipe de Benkirane, le secteur de lâimmobilier qui bĂ©nĂ©ficie, depuis plusieurs annĂ©es, dâincitations fiscales sans que les principaux opĂ©rateurs nâaient, Ă ce jour, rĂ©ussi Ă combler le dĂ©ficit en logements dont souffre le Royaume.
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Levée de boucliers
Pour la nouvelle majoritĂ© gouvernementale, il est temps de revoir les dispositifs incitatifs et dâĂ©valuer leur impact sur lâĂ©conomie nationale. Reste Ă savoir comment lâĂ©quipe de Benkirane gĂšrera le paramĂštre temps pour faire adopter le projet de loi de Finances dans les meilleurs dĂ©lais, face Ă la levĂ©e de boucliers que susciteront ces nouvelles dispositions.
DĂšs son installation, la nouvelle Ă©quipe gouvernementale doit plancher, sans tarder, sur la dĂ©claration gouvernementale, avant dâenchaĂźner avec la proposition du budget.
Pour parer au plus pressĂ©, deux projets de dĂ©crets relatifs Ă lâaffectation des crĂ©dits nĂ©cessaires au bon fonctionnement des services publics, ont Ă©tĂ© adoptĂ©s Ă la derniĂšre minute par le gouvernement El Fassi.
Une telle situation est tout Ă fait gĂ©rable, de lâavis de spĂ©cialistes des finances publiques, Ă condition quâelle ne perdure pas au-delĂ de quelques semaines. Les ressources continueront dâĂ©maner des recettes fiscales.
«âEt le TrĂ©sor recourra aux levĂ©es de fonds sur le marchĂ© domestique de maniĂšre naturelle, comme il a dĂ©jĂ commencĂ© Ă le faireâ», explique Rabie Baddou, responsable analyse et recherche Ă Wafa Gestion.
Câest dâailleurs une pratique courante de la direction du TrĂ©sor que de procĂ©der Ă des levĂ©es de fonds massives sur le marchĂ© intĂ©rieur, en dĂ©but dâannĂ©e, pour constituer un stock de liquiditĂ©s.
En revanche, pas question de se tourner dans lâimmĂ©diat vers le marchĂ© international des capitaux. Le nouveau ministre du Budget et des ImpĂŽts, Nizar Baraka, devra patienter le temps que la crise de la dette souveraine en Europe passe. «âDe toute façon, la situation de flottement actuelle nâentame pas la bonne perception des investisseurs internationaux. Pour preuve, la confirmation rĂ©cente du rating des banques marocaines Ă©quivaut Ă la confirmation implicite de la note souveraine.â»
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Comment boucler le budgetâ?
Mais cela nâocculte en rien les difficultĂ©s auxquelles sera confrontĂ© Baraka dĂšs son investiture. Comment boucler le budget 2012â? Sachant que Salaheddine Mezouar a dĂ» faire machine arriĂšre sous la pression de divers lobbies. Plus question de compter sur les recettes additionnelles liĂ©es Ă lâaugmentation de la vignette sur les vĂ©hicules de plus de 11 chevaux.
«âTechniquement, il est trop tard pour introduire cette disposition dans le projet de budget 2012â», soutient le responsable Analyse et recherche de Wafa Gestion. En revanche, il est possible de tabler sur une augmentation de la taxe spĂ©ciale sur le ciment de 50 Ă 100 dirhams la tonne.
«âCelle-ci rapporterait 1,6 milliard de dirhams sur la base dâun volume Ă©coulĂ© de 16 millions de tonnes par anâ», estime Rabie Baddou. Mais pour autant et sauf rebondissement inattendu, lâĂ©quipe Benkirane ne devrait pas avoir beaucoup de peine Ă boucler son premier budget, moyennant un dĂ©ficit de 3% Ă 4%.
Pour cela, elle peut compter sur un matelas de recettes fiscales. A fin septembre 2011, celles-ci ont augmenté de 6,2% à 143 milliards de dirhams. Certes, les économistes craignent une activité économique plus morose en 2012 et tablent donc sur une croissance des recettes fiscales plus modeste.
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Le cours de lâor noir
«âMais la grande inconnue de cet exercice budgĂ©taire reste les dĂ©penses de compensationâ!â» Comment va Ă©voluer le cours de lâor noirâ? Nul ne peut le prĂ©voir car celui-ci est fonction de facteurs aussi divers que la spĂ©culation ou les risques gĂ©opolitiques.
«âDurant la crise de 2008, le prix du baril, qui reflĂ©tait lâĂ©tat de lâoffre et de la demande, Ă©tait tombĂ© Ă 40 dollars. En 2012, le cours thĂ©orique, hors spĂ©culation, ne devrait pas dĂ©passer 70 dollarsâ», pronostique un Ă©conomiste.
Mais mĂȘme en cas de rĂ©cession, si la crise iranienne se durcissait ou si lâArabie saoudite Ă©tait secouĂ©e par des mouvements de contestation violents, le cours pourrait littĂ©ralement exploser. Dans un tel contexte, il faut sâattendre, en 2012, Ă une hausse du prix Ă la pompe.
Surtout que le gouvernement El Fassi lĂšgue une charge de compensation de 52 milliards de dirhams, une vĂ©ritable bombe Ă retardement. «âSi le Printemps arabe nâavait pas acculĂ© El Fassi Ă diffĂ©rer la dĂ©cision, la hausse du prix de lâessence aurait dĂ» avoir lieu en 2011.â» Benkirane devra user de son pouvoir de persuasion pour faire passer la pilule sans heurter la rue, et ce, dans un contexte de rĂ©cession gĂ©nĂ©ralisĂ©e.
Hormis la grande inconnue du cours de pĂ©trole qui impactera ââdans un sens ou dans un autreââ les dĂ©penses de compensation, les autres charges de fonctionnement devraient Ă©voluer normalement. La masse salariale des fonctionnaires croĂźtrait de 2%, lâaugmentation de 600 dirhams des salaires concĂ©dĂ©e dans le cadre du dialogue social ayant Ă©tĂ© dĂ©jĂ consommĂ©e en mai 2011.
Autant dire que le SMIG Ă 3â000 dirhams nâest pas pour cette annĂ©e. Les Ă©lecteurs du PJD devront se faire une raison. Quant aux autres dĂ©penses de fonctionnement, elles sont appelĂ©es Ă ĂȘtre contenues. «âLâEtat a dĂ©jĂ dĂ©montrĂ© quâil Ă©tait en mesure de rĂ©duire son train de vie, en cas de nĂ©cessitĂ©.â» La chasse au gaspi est appelĂ©e Ă sâintensifier pour toucher tous les dĂ©membrements de lâEtat.
Preuve que les efforts paient. AprÚs avoir connu une croissance à deux chiffres entre 2007 et 2009, les frais de fonctionnement ont baissé de 20% entre janvier et avril 2011, suite à la circulaire du Premier ministre invitant à plus de retenue dans les dépenses courantes.
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Eviter tout dérapage
Reste le gros pavĂ© que constitue le poste Investissements publics. «âLĂ aussi, le TrĂ©sor a la latitude de jouer sur les dĂ©lais de dĂ©caissements budgĂ©taires, comme ce fut le cas en 2010.â» En effet, en dĂ©cembre de cette annĂ©e, lâEtat avait accĂ©lĂ©rĂ© la cadence pour rĂ©aliser 10 milliards dâinvestissements alors que pour le reste de lâannĂ©e, il avait contenu ces dĂ©penses Ă 30 milliards de dirhams.
En 2012, le gouvernement Benkirane pourrait se montrer prudent pour Ă©viter tout dĂ©rapage, et ouvrir les vannes avant la clĂŽture de lâexercice budgĂ©taire pour ĂȘtre en phase avec lâobjectif inscrit dans la loi de Finances. En dĂ©finitive, pas de grosses ruptures en perspective, Baraka est lĂ pour veiller au grain.
Mouna Kably & Khadija El Hassani |