Alors que le PJD prend les commandes, toutes les parties, jadis rĂ©ticentes, sây convertissent. Bank Al-Maghrib, le CDVM et le ministĂšre des Finances dĂ©couvrent les bienfaits des produits islamiques. Le mot nâest plus tabou.
Ce nâest pas un hasard si Abelilah Benkirane tient particuliĂšrement au portefeuille des Finances. Ce nâest pas non plus un hasard sâil sâest empressĂ© de recevoir le top management de la Qatar International Islamic Bank avant mĂȘme la formation de son Ă©quipe gouvernementale.
Câest que le dossier relatif Ă la finance islamique tient particuliĂšrement Ă cĆur au PJD. Un modĂšle dĂ©jĂ dĂ©fendu lorsquâil Ă©tait dans lâopposition. Au point que ses Ă©lus avaient planchĂ©, dĂšs 2001, sur trois moutures dâun projet de loi ad hoc. Aujourdâhui, tous les ingrĂ©dients semblent rĂ©unis, tant sur le plan national quâinternational, pour permettre une vĂ©ritable Ă©closion de la finance islamique au Maroc.
Force est de constater que, jusque-lĂ , ni les autoritĂ©s monĂ©taires ni les banques ne sâĂ©taient montrĂ©es rĂ©ceptives, et ce, mĂȘme aprĂšs le feu vert donnĂ© par Bank Al-Maghrib (BAM)en 2007. «âAvant 2006, câest lâabsence de volontĂ© politique qui a freinĂ© lâĂ©mergence de ces produits. En 2007, Bank Al-Maghrib, via une simple note de recommandation, a autorisĂ© les banques locales Ă commercialiser les trois produits Ijara, Mourabaha et Moucharaqaâ», rappelle Ali Alami Idrissi, associĂ© fondateur du cabinet Optima Finance Consulting.
Depuis, aucun rĂ©el engouement nâa pourtant Ă©tĂ© relevĂ©. En rĂ©alitĂ©, le lancement de cette nouvelle offre a Ă©tĂ© ratĂ©, faute dâune communication ciblĂ©e et dâune formation de la force commerciale des banques, et en lâabsence dâun dispositif fiscal incitatif.
MalgrĂ© ce ratage, lâencours global relatif aux produits «âalternatifsâ» a atteint 900âmillions de dirhams Ă fin 2010, et ce en lâespace de trois ans. «âCe nâest pas Ă©norme, mais cela dĂ©note lâexistence dâune demande latente.â»
Reste quâĂ fin 2011, BAM ne table plus que sur un encours de 800 millions de dirhams, aprĂšs lâarrĂȘt de la commercialisation par plusieurs banques de la place. Pour Najib Boulif, financier en chef du PJD et spĂ©cialiste de la finance islamique, il est temps de rattraper le retard.
«âMĂȘme la Tunisie laĂŻque de Benali avait autorisĂ© lâimplantation dâinstitutions et les pratiques financiĂšres islamiques. Aujourdâhui, le Maroc veut se positionner comme une plaque tournante de la rĂ©gion et sa stabilitĂ© politique et Ă©conomique est particuliĂšrement convoitĂ©e par les institutions financiĂšres du Moyen-Orient,â» soutient-il.
Pour anticiper ces mutations, Bank Al-Maghrib sâapprĂȘte Ă autoriser la commercialisation de deux nouveaux produits dĂ©diĂ©s au financement de lâentreprise sur lesquels ses Ă©quipes planchent depuis 2010. ParallĂšlement, BAM travaillerait sur la rĂ©glementation des Sukuks, certificats dâinvestissement conformes Ă la charia.
Pour accompagner ces mutations, ses Ă©quipes ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de stages dâinitiation. Le dernier en date a Ă©tĂ© coorganisĂ© fin octobre 2011 Ă Casablanca par Bank Al-Maghrib et IFSB (Islamic Financial Services Board), lâĂ©quivalent du comitĂ© de BĂąle. BasĂ© en Malaisie, lâIFSB est chargĂ© dâĂ©dicter les rĂšgles prudentielles et les bonnes pratiques ainsi que la gestion du risque dans la finance islamique. Pour la premiĂšre fois, le workshop a connu la participation du Conseil des oulĂ©mas.
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Plusieurs scénarios envisagés
Aujourdâhui, BAM serait quasiment prĂȘte. Reste Ă se prononcer sur le systĂšme rĂ©glementaire qui servira de soubassement Ă la finance islamique. La Banque centrale Ă©tudierait actuellement les diffĂ©rents scĂ©narios, avec le concours de la direction du TrĂ©sor et de la direction gĂ©nĂ©rale des ImpĂŽts (DGI).
«âLe projet de loi proposĂ© en janvier 2011 suggĂšre un systĂšme bancaire et financier islamique indĂ©pendant qui cohabite avec le systĂšme financier conventionnelâ», prĂ©cise Boulif. Mais pour Alami Idrissi, un autre scĂ©nario pourrait ĂȘtre envisageable et serait tout aussi viable, Ă savoir lâamendement de la loi bancaire de 2006. «âAlors que la Malaisie a adoptĂ© une loi indĂ©pendante, DubaĂŻ et le KoweĂŻt ont, eux, optĂ© pour des amendements de leurs lois bancairesâ», prĂ©cise lâexpert.
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Un levier « formidable »
La Banque centrale nâest pas la seule Ă rĂ©aliser un revirement de sa position Ă lâĂ©gard de la finance islamique. Le CDVM a, comme par enchantement, Ă©mis en octobre dernier, un rapport dĂ©taillĂ© sur la finance islamique quâil qualifie de levier «âformidableâ» pour sĂ©duire les investisseurs des pays du Golfe.
De mĂȘme, le ministĂšre des Finances a envoyĂ© plusieurs dĂ©lĂ©gations en Turquie, au Moyen-Orient et en Malaisie pour sâimprĂ©gner du mode de fonctionnement de ce compartiment. «âIl aurait fallu y penser dĂšs le 11-Septembre 2009, au moment du rapatriement massif des fonds arabes des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, et au lendemain de la flambĂ©e du cours du pĂ©trole.
Les rĂ©serves en devises de ces pays sont Ă©valuĂ©es Ă plus de 5 000 milliards de dollars !â», relĂšve Idriss Alami qui se dĂ©sole de la rĂ©action tardive du Maroc, faute de vision stratĂ©gique. Face aux besoins Ă©normes du Royaume en financement des projets dâinfrastructures, et aux ambitions affichĂ©es pour Casablanca Finance City, la finance islamique devient incontournable.
«âPour Ă©viter les dĂ©parts prĂ©cipitĂ©s des investisseurs arabes comme Sama DubaĂŻ, le systĂšme bancaire doit leur garantir des canaux de financement locaux halalsâ», soutient lâexpert en finance islamique.
De plus, le ministĂšre des Finances gagnerait Ă initier, Ă court terme, une Ă©mission test de Sukuks, Ă la fois pour lever des fonds qui lâaideraient Ă boucler son budget. Mais aussi et surtout pour envoyer un signal fort Ă la communautĂ© financiĂšre islamique.
AprĂšs le Japon, lâAllemagne et la Grande-Bretagne, la CorĂ©e sâapprĂȘte Ă lancer sa premiĂšre Ă©mission. Câest dire si lâintĂ©rĂȘt de la communautĂ© financiĂšre internationale pour les Sukuks est vivace.
Mouna Kably & Khadija El Hassani |