Jouer uniquement sur le Smig nâaura pas dâimpact sur le niveau de vie de ceux qui en vivent. Les plus dĂ©favorisĂ©s le resteront faute dâaccĂšs aux soins de santĂ©, Ă lâĂ©ducation, Ă lâemploi. Autant commencer par lĂ pour faciliter lâaccĂšs au plus grand nombre.
Relever le Smig Ă 3â000 dir-hams est lâune des promesses Ă©lectorales phares du PJD. Si cette proposition est retenue, «âlâimpact sur lâĂ©conomie nationale sera plus que dĂ©vastateurâ», prĂ©viennent des Ă©conomistes.
Avis partagĂ© par le haut-commissariat au Plan (HCP). Celui-ci a dĂ©jĂ tirĂ© la sonnette dâalarme quand le Smig a Ă©tĂ© augmentĂ© de 10%, soit un peu plus de 200 dirhams, en juillet dernier, par le gouvernement El Fassi, sous la pression des syndicats. Ce qui devrait se traduire, selon les pronostics du HCP, par une perte continue dâemplois.
En 2013, 16â000âpostes pourraient disparaĂźtre contre 96â890 emplois en 2015. Autre consĂ©quence attendueâ: la dĂ©gradation de la balance commerciale et lâaggravation du dĂ©ficit budgĂ©taire en 2011. Mais le PJD veut aller encore plus loin en boostant le Smig de 31%â!
Au-delĂ de lâimpact nĂ©gatif de cette mesure Ă©lectoraliste sur les indicateurs macroĂ©conomiques Ă©troitement suivis par les bailleurs de fonds et agences de notation internationales, il y a lieu de se demander si elle revĂȘt un impact rĂ©el sur le niveau de vie des mĂ©nages. Sur le terrain, de nombreuses familles perçoivent un revenu proche de 3â000 dirhams mais peinent Ă en vivre dĂ©cemment. Comment sâen sortent-elles au quotidienâ? Les tĂ©moignages sont Ă©difiants.
Pour Rachid E., 32 ans, employĂ© de cuisine dans un hĂŽtel Ă©toilĂ© de la place, la solution est simple. Son Ă©pouse doit participer aux finances du couple. «âMon salaire de 3â000 dirhams nâest pas suffisant pour vivre correctement. Jâai un enfant de 8 ans qui mobilise une bonne partie de mon revenu. Nous avons dĂ» improviserâ», explique-t-il.
Pour concilier travail et responsabilitĂ© au foyer, son Ă©pouse a choisi la vente Ă domicile de produits cosmĂ©tiques. «âCâest la tendance. Je mâappuie sur mon rĂ©seau dâamies pour recruter de nouvelles clientesâ», confie-t-elle.
De son cĂŽtĂ©, Rachid avoue, non sans fiertĂ©, que sa femme est dynamique et sâen sort trĂšs bien. «âAu dĂ©but, sa clientĂšle Ă©tait essentiellement fĂ©minine. Aujourdâhui, elle propose des produits pour hommes. Ce nâest pas encore trĂšs demandĂ© mais ça viendra.â» Lui essaye de son cĂŽtĂ© dâaider dans la mesure du possible.
Les week-ends, il nâhĂ©site pas Ă faire des extras. Travailler comme serveur lors des cĂ©rĂ©monies de mariage est vite devenu une source complĂ©mentaire de revenus, plus ou moins stables. En cas de besoin, sa mĂšre prend en charge la garde de lâenfant, le temps pour les deux parents de finir leur travail. Rachid peut sâen sortir car sa petite famille habite chez ses parents.
Mostapha A., 29 ans, est cĂ©libataire et ne compte pas se marier de sitĂŽt. Il est technicien en Ă©lectricitĂ© dans une entreprise internationale installĂ©e au Maroc. Il ne sây trompe pas. «âMe marier impliquerait que jâhabite avec mes parents. Câest hors de questionâ», affirme-t-il. Et pour cause, son frĂšre aĂźnĂ©, lui aussi dans la mĂȘme situation, lâa dĂ©jĂ devancĂ© sur ce plan. «âMon frĂšre, sa femme et leur enfant habitent avec mes parents. Nous habitons tous dans un appartement qui nous suffit Ă peineâ», confie-t-il.
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MĂȘme si la durĂ©e maximale de travail autorisĂ©e par le code du travail est de 44 heures par semaine, Mostapha en cumule facilement 50. Câest le seul moyen dâatteindre les 3â000 dirhams par mois. Entre les frais de transport, les charges quotidiennes, la cotisation familiale mensuelle de 500 dirhams et la prise en charge des frais de scolaritĂ© de sa sĆur de 7 ans, chaque centime dĂ©pensĂ© compte.
«âSi je ne fais pas comme ça, Ă la fin du mois, mon salaire sera encore plus ridicule.â» Il sait de quoi il parleâ: aprĂšs cinq ans de dur labeur, il est criblĂ© de dettes. Selon Mostafa, le salaire minimum pour mener une vie dĂ©cente Ă Casablanca est de 7â000 dirhams. Et il ne fondera une famille que si son salaire passe Ă 9â000 dirhams ou si son Ă©pouse travaille.
De plus, le jeune homme sait quâil est sur un siĂšge Ă©jectable et quâil peut ĂȘtre licenciĂ© Ă tout moment. «âBien que je travaille depuis maintenant cinq ans dans cette entreprise, chaque semestre, je signe un nouveau contrat de travail saisonnier.â»
Changer dâemployeur nâest pas non plus une option pour lâinstant. «âSi une entreprise internationale procĂšde ainsi, quâen est-il des structures nationalesâ?», se demande Mostapha. Une question aussi pertinente que rĂ©vĂ©latrice du dĂ©sespoir et de la prĂ©caritĂ© dans lesquels vit ce jeune Ă©lectricien.
A 35 ans, Fouad L., mariĂ©, partage encore un appartement avec 3 cĂ©libataires. «âMa femme est restĂ©e Ă MeknĂšs, avec ses parents. Je la rejoins tous les quinze joursâ», confie ce magasinier dans une entreprise de piĂšces de rechange pour engins BTP. Trouver un appartement proche de son lieu de travail nâest pas chose facile, surtout quand le budget est limitĂ©. Le minimum pour louer est de 2â000 dirhams.
«âDe mes 3â000 dirhams mensuels, il ne mâen resterait plus que 1â000 pour vivreâ», dĂ©plore Fouad. En prenant en compte la facture dâeau et dâĂ©lectricitĂ©, cela revient Ă un budget de «âfonctionnementâ» de 30 dirhams par jour, dont 15 pour le transport, sans compter les dĂ©penses exceptionnelles (maladies, voyages, vĂȘtements, etc.).
Sa femme, elle, nâa pas fait beaucoup dâĂ©tudes. Il lui sera difficile de trouver du travail. Petit Ă petit, plutĂŽt que de dĂ©nicher un appartement bon marchĂ© ou de trouver un emploi pour sa femme, il envisage la colocation avec un couple de jeunes mariĂ©s. «âCâest pratique, Ă condition de tomber sur la perle rareâ: un couple de pratiquantsâ», explique Fouad.
Question intimitĂ©, il ne faut pas ĂȘtre trop exigeant. Fouad ne croit pas une seconde quâil trouvera un jour un emploi stable et bien payĂ©. Câest pourquoi il entretient secrĂštement son rĂȘve de devenir son propre patron, en capitalisant sur son expĂ©rience. Il sâactive pour trouver le financement nĂ©cessaire auprĂšs de sa famille afin de rĂ©aliser son projet.
Il nâest pas question pour lui de faire appel aux banques ni Ă Moukawalati. Arguant que ces concepts nâont rien de «âhalalâ», Fouad est aussi persuadĂ© quâun projet sans apport en fonds propres solides est vouĂ© Ă lâĂ©chec. Ses anciens collĂšgues en ont fait lâexpĂ©rience. Au bout de cinq ans, ils ont dĂ» fermer boutique tout en continuant de rembourser leurs crĂ©dits.
Abdelhafid Marzak |