Un mois aprĂšs la diffusion du rapport du Conseil de la concurrence, la riposte des laboratoires Ă©trangers pointĂ©s du doigt se fait toujours attendre. Dilemmeâ: doivent-ils Ă©viter la polĂ©mique ou rĂ©habiliter leur imageâ?
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Les laboratoires pharmaceutiques Ă©trangers implantĂ©s au Maroc sont toujours dans lâexpectative. Les opĂ©rateurs interrogĂ©s disent vouloir Ă©viter Ă tout prix la polĂ©mique. De fait, un mois aprĂšs la diffusion du rapport du Conseil de la concurrence sur «âla concurrentiabilitĂ© de lâindustrie pharmaceutiqueâ», les laboratoires visĂ©s nâont pas encore dĂ©fini leur stratĂ©gie de riposte.
A ce jour, plusieurs questions restent en suspens. A commencer par la passivitĂ© dont ont fait preuve les filiales de groupes internationaux, lors de la publication du rapport prĂ©liminaire, en juillet dernier. Pourtant, le prĂ©sident du Conseil de la Concurrence, Abdelali Benamour les avait directement sollicitĂ©es pour exprimer leur avis sur lâĂ©tude initiĂ©e par le cabinet SIS Consultants.
Il faudra attendre la publication du rapport dĂ©finitif, cinq mois plus tard, pour quâelles sortent de leur mutisme. Les laboratoires Ă©pinglĂ©s notamment pour des pratiques anticoncurrentielles, Ă savoir Roche, Pfizer, Sanofi Aventis et Novartis, ne cessent, depuis, de qualifier les conclusions de diffamatoires et infondĂ©es. Tout en invoquant le fait quâils nâont pas Ă©tĂ© consultĂ©s de maniĂšre officielle par le cabinet local.
Les opĂ©rateurs comptent dĂ©sormais passer Ă lâoffensive par le biais de leur association, Maroc Innovation SantĂ© (MIS), qui regroupe toutes les filiales des multinationales. «âA ce jour, nous nâavons pas encore statuĂ© sur la dĂ©marche exacte Ă adopter pour riposter aux allĂ©gations non fondĂ©es de SIS Consultantsâ», reconnaĂźt un industriel.
Parmi les principales dĂ©faillances relevĂ©es, la construction de lâĂ©tude sur le bilan comptable et non le bilan fiscal qui, lui, retrace les contributions fiscales des filiales. Pour rappel, lâĂ©tude de SIS Consultants qui couvre la pĂ©riode 2007/2009, pointe du doigt le contraste entre «âdâun cĂŽtĂ© la situation du bilan des quatre laboratoires visĂ©s et, de lâautre, leur part de marchĂ© et les moyens financiers dĂ©ployĂ©s pour promouvoir leurs mĂ©dicamentsâ».
Fermeture dâusines locales
Parmi les pratiques dénoncées et qui sont largement connues et suivies par les autorités publiques (Office des changes, Direction des douanes et Direction des impÎts), le recours abusif au prix de transfert entre filiale et maison mÚre.
Ce qui expliquerait, selon les consultants, le gap entre les chiffres dâaffaires rĂ©alisĂ©s localement et les parts de marchĂ© contrĂŽlĂ©es par ces laboratoires. Pourtant, selon une source industrielle bien informĂ©e ayant requis lâanonymat, lâune des sociĂ©tĂ©s visĂ©es se serait acquittĂ©e dâun montant dâimpĂŽt exceptionnellement Ă©levĂ© durant ces trois annĂ©es en dĂ©pit dâun bilan dĂ©ficitaireâŠ
Autre argument avancĂ© par les enseignes Ă©trangĂšresâ: la rigueur des procĂ©dures et le dispositif dâaudit interne et externe, conforme aux standards internationaux, qui ne laisseraient aucune place Ă des malversations.
Mais force est de constater que la tendance actuelle est Ă la fermeture dâusines de production locale pour laisser place Ă de simples bureaux de reprĂ©sentation rĂ©gionale, structures souples qui favoriseraient des flux dâimportation de mĂ©dicaments.
Un terrain favorable au recours au prix de transfert et au rapatriement des bĂ©nĂ©fices vers les maisons mĂšres. Pour exemple, Sanofi sâapprĂȘterait Ă cĂ©der, dans les prochains mois, deux usines et Ă ouvrir un bureau commercial Ă vocation rĂ©gionale.
Parmi les donnĂ©es relevĂ©es par les enquĂȘteurs du cabinet SIS Consultants figure une importante anomalie qui, si elle Ă©tait vĂ©rifiĂ©e, devrait alerter les autoritĂ©s publiques. Il sâagit de la surĂ©valuation des prĂ©visions de ventes annuelles de certains produits.
Citant un ancien cadre, le cabinet explique que le laboratoire en question passe commande pour une quantitĂ© majorĂ©e qui sera rĂ©ceptionnĂ©e et payĂ©e. Mais la commande comprend deux partiesâ: lâune, correspondant aux prĂ©visions rĂ©elles annuelles de ventes, aurait une date de pĂ©remption normale et Ă©loignĂ©eâ; lâautre serait constituĂ©e du mĂȘme mĂ©dicament, mais Ă la limite de la date de pĂ©remption.
Cette derniĂšre est stockĂ©e avant dâĂȘtre dĂ©truite par incinĂ©ration. AprĂšs information des autoritĂ©s sanitaires, le jeu consiste Ă dĂ©duire la valeur correspondant aux mĂ©dicaments dĂ©truits des rĂ©sultats financiers annuels. Ce qui permet de «ârapatrier les bĂ©nĂ©fices et de rĂ©aliser dâintelligentes Ă©vasions fiscalesâ».
Un secteur Ă vocation sociale
RĂ©futant ces pratiques qualifiĂ©es dâ«âallĂ©gations non fondĂ©esâ», les industriels rĂ©itĂšrent leur volontĂ© dâĂ©viter la polĂ©mique et rĂ©clament la tenue dâ«âAssises de la professionâ». «Lâindustrie pharmaceutique devrait, Ă lâinstar des autres activitĂ©s, avoir ses assises.
Ce serait lâoccasion, pour lâensemble des parties prenantes et notamment les multinationales, de dĂ©battre sur la contribution et les solutions Ă envisager pour le dĂ©veloppement de ce secteur Ă vocation socialeâ», soutient un responsable de laboratoire.
Etant entendu que la grande prioritĂ© pour le Maroc reste la facilitation de lâaccĂšs des populations aux soins, un des dossiers chauds Ă traiter par le prochain gouvernement. La future Ă©quipe aura du pain sur la planche pour faire toute la lumiĂšre sur ces pratiques douteuses si elles Ă©taient confirmĂ©es.
Quoi quâil en soit, si les laboratoires Ă©pinglĂ©s par le rapport du Conseil de la Concurrence continuent de faire profil bas, cela confortera les conclusions de SIS Consultants. Et leur image sâen trouvera sĂ©rieusement Ă©cornĂ©e.
Khadija El Hassani |