Les enchĂšres inversĂ©es font le bonheur de leurs propriĂ©taires. Faux enchĂ©risseurs, trucage des rĂ©sultats, concept proche de la loterie. Alors que ces sites sont interdits en France, le Maroc ferme les yeux sur dâĂ©tranges transactions.
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Un iPhone Ă 500 dirhams, une tĂ©lĂ© 43 pouces Ă 400 dirhams ou encore un lave-linge Ă 250 dirhams. Bienvenue dans le monde des enchĂšres inversĂ©es. Un concept inconnu il y a encore quelques mois au Maroc, et qui fait fureur aujourdâhui auprĂšs des internautes. Le concept est dâune simplicitĂ© dĂ©concertante.
Pourtant, remporter un lot est trĂšs difficile. Pour gagner une enchĂšre inversĂ©eâââcomprenez «âenchĂšre Ă la baisseâ»âââil faut rĂ©ussir Ă placer lâoffre unique la plus basse sur le produit cible. En dâautres termes, un utilisateur doit proposer le prix dâachat le plus proche de zĂ©ro, pour remporter le produit.
Seulement, ce prix ne doit en aucun cas ĂȘtre proposĂ© par une autre personne. Si tel est le cas, il faut placer une deuxiĂšme offre de prix et espĂ©rer quâelle soit la seule. Mais ce qui rend le concept encore plus difficile, câest le fait que les enchĂšres se font Ă lâaveugleâ: aucun utilisateur ne connaĂźt les offres des autres enchĂ©risseurs.
Pour maximiser ses chances de remporter un lot, il faut tout simplement essayer plusieurs fois. En gros, cela revient Ă choisir des chiffres au hasard. Autant dire que câest de la loterie. Au passage, les entreprises opĂ©rant sur ce crĂ©neau engrangent beaucoup dâargent.
Pour «âclicoo.maâ», un site dâenchĂšres inversĂ©es basĂ© Ă Casablanca, chaque tentative est facturĂ©e Ă plus de 10 dirhams. Une fois terminĂ©e, une enchĂšre rapporte Ă lâentreprise jusquâĂ dix fois le prix de vente du produit mis aux enchĂšres.
Pour Julien Patera, directeur associĂ© de «âclicoo.maâ», il faut considĂ©rer les sites dâenchĂšres inversĂ©es, le sien en tout cas, comme des sites e-commerce dâenchĂšres ludiques. A lâen croire, il ne sâagirait donc pas dâune loterie.
«âNous ne sommes absolument pas dans un jeu de hasard oĂč lâalĂ©atoire dĂ©termine le gagnant du jeu.â» Argument Ă©tonnant quand le mĂȘme dirigeant affirme quelque temps plus tard que «âcâest lâaction de chaque participant qui influence le dĂ©roulement dâune enchĂšre, et de lâensemble de ces actions dĂ©coulera un vainqueurâ».
Ce qui veut dire que le rĂ©sultat dâune enchĂšre ne dĂ©pend pas des actions dâun seul enchĂ©risseur, mais dâune suite dâĂ©vĂ©nements (dĂ©cisions dâautres enchĂ©risseurs) inconnues et imprĂ©dictibles. Julien Patera recourt dâailleurs rapidement Ă des termes propres Ă lâunivers des tombolas.
Ainsi, explique-t-il Ă actuel, «âsur le concept lui-mĂȘme, lâutilisateur doit adopter une stratĂ©gie de jeu pour participer aux enchĂšres et maximiser ses chances de remporter lâenchĂšre.â»
Les lĂ©gislations française et allemande ne sây trompent pas lorsquâelles assimilent bel et bien ce concept Ă une loterie (cf. encadrĂ©). Si tel Ă©tait le cas au Maroc, les sites dâenchĂšres inversĂ©es se trouveraient dans lâillĂ©galitĂ©, puisque les loteries et jeux de hasard sont du seul ressort de la Loterie nationale.
Zineb Raji, responsable de communication de la Loterie nationale, avoue ĂȘtre prise au dĂ©pourvu. «âNous nâavons pas connaissance de ce genre de sitesâ», reconnaĂźt-t-elle. Une chose est sĂ»re, lâexistence de ces sites nâest pas perçue comme une bonne nouvelle, dâautant que la Loterie nationale vient dâinvestir pour le lancement dâun vĂ©ritable site de loterie en ligne.
LâopacitĂ© qui caractĂ©rise ce concept nourrit par ailleurs le doute sur la fiabilitĂ© des sites qui le proposent (trois sites Internet sont en activitĂ© et quatre autres ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© fermĂ©s). El Amine Serhani, prĂ©sident fondateur de la FĂ©dĂ©ration nationale du e-commerce au Maroc, est catĂ©goriqueâ: «âLes sites dâenchĂšres inversĂ©es sont en majoritĂ© truquĂ©s. Pour preuve, bien que le concept soit assez nouveau, nous avons dĂ©jĂ reçu les premiĂšres rĂ©clamationsâ!â», affirme-t-il.
Celles-ci proviennent dâutilisateurs ayant remportĂ© des enchĂšres, mais qui ont vu leurs noms supprimĂ©s de la liste des gagnants. Kawtar Tazi, chef de la division e-commerce au sein du ministĂšre de lâIndustrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies, reconnaĂźt de son cĂŽtĂ© que tous les risques sont possibles.
«âNous nâavons, aujourdâhui, aucune visibilitĂ© sur la maniĂšre avec laquelle les sites marocains opĂšrent sur le terrainâ», admet-elle. Plus grave, les internautes marocains ne bĂ©nĂ©ficient dâaucune protection lĂ©gale. «âA ma connaissance, cette partie nâest pas encore rĂ©glementĂ©eâ», reconnaĂźt Kawtar Tazi.
Seule lueur dâespoir, une Ă©tude lancĂ©e par la direction de lâEconomie numĂ©rique rattachĂ©e au ministĂšre de lâIndustrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies, qui porte sur lâenvironnement numĂ©rique au Maroc et prĂ©voit un volet dĂ©diĂ© aux questions juridiques liĂ©es au e-commerce. En attendant les conclusions de cette Ă©tude, nos nouveaux bookmakers marocains ont encore de beaux jours devant eux.
Abdelhafid Marzak |