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Contrefaçon : Encore un accord de plus
actuel n°115, vendredi 4 novembre 2011
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Le Maroc a-t-il commis une erreur en signant, en octobre dernier, lâaccord ACTAâ? Les plus sceptiques lâaccusent de servir les intĂ©rĂȘts exclusifs des industriels Ă©trangers. LâOMPIC, lui, le prĂ©sente comme un exploit. Qui croireâ?
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LâACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) est un accord sur le commerce extĂ©rieur et le libre Ă©change. Pourtant, ce nâest pas notre ministĂšre du Commerce extĂ©rieur qui a pris en charge ce dossier, encore moins lâOrganisation mondiale du Commerce (OMC).
En rĂ©alitĂ©, cet accord a Ă©tĂ© adoptĂ© pour, au contraire, contourner lâOMC jugĂ©e par les industriels aussi conciliante que lâOrganisation mondiale de la propriĂ©tĂ© Intellectuelle (OMPI), Ă lâĂ©gard de la dĂ©fense des droits dâauteurs et des brevets.
Pour mettre fin au laxisme, les opĂ©rateurs ont donc inventĂ© un nouvel accord, lâACTA, censĂ© renforcer la protection de leurs produits contre les pays contrefacteurs. De son cĂŽtĂ©, lâOMC estime que ce nouvel accord pourrait perturber le commerce mondial dĂ©jĂ mis Ă mal par la crise.
De plus, les nĂ©gociations autour de lâACTA ont provoquĂ© bon nombre de frictions. La France a fini par se retirer, tout comme la Suisse. LâUE, quant Ă elle, nâest pas encore parvenue Ă faire adopter unanimement lâaccord par ses pays membres.
Scepticisme
Alors, face Ă ces tiraillements, pourquoi le Maroc a-t-il choisi de signer cet accordâ? Quelle est la valeur ajoutĂ©e de lâACTA pour lâĂ©conomie nationaleâ? Sur cette question, lâOffice marocain de la propriĂ©tĂ© industrielle et commerciale, lâOMPIC, reste muet.
En dĂ©pit du scepticisme de certains observateurs locaux, le Maroc pourrait tout de mĂȘme tirer profit de cet accord. Lâobjectif des initiateurs de lâACTA est, si lâon en croit des experts europĂ©ens, dâimposer cette clause Ă tout exportateur dĂ©sireux de pĂ©nĂ©trer certains marchĂ©s agricoles.
En clair, les accords de libre Ă©change, Ă eux seuls, ne suffiront plus au moment oĂč le Maroc tente de pĂ©nĂ©trer le marchĂ© agricole amĂ©ricain. Reste Ă savoir pourquoi lâOMPIC a menĂ© seul les nĂ©gociations Ă lâĂ©chelle internationale, alors que lâOMPI, gardien universel de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, nâa, Ă aucun moment, Ă©tĂ© sollicitĂ© dans ce processus.
Concernant les enjeux des diffĂ©rents pays signataires, il est Ă rappeler que 1â000 brevets dâinventions ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s au Maroc en 2010, dont 15% appartiennent Ă des Marocains, et que 67 dâentre eux gĂ©nĂšrent une valeur ajoutĂ©e pour le Royaume. Au cours de la mĂȘme pĂ©riode, les Etats-Unis ont enregistrĂ© 219â614 brevets contre 16â850ââen France. Un Ă©cart abyssal.
En attendant que le texte de lâACTA soit ratifiĂ© par le prochain Parlement, nos dĂ©cideurs ne devraient pas manquer de solliciter lâavis dâexperts confirmĂ©s avant de le valider, car tout en nous ouvrant certaines portes, cet accord pourrait bien en fermer quelques autres.
AbdelhafidMarzak |
Est-ce la fin des médicaments génériques ?
Cet accord permet aux entreprises pharmaceutiques multinationales de faire appel aux services douaniers pour saisir des médicaments contrefaits. Ce qui représente une réelle menace pour les pays habitués aux médicaments à bas prix.
Certains industriels nâauront aucun scrupule Ă qualifier des gĂ©nĂ©riques de contrefaits pour les faire saisir par les services de douane, sous prĂ©texte quâils sĂšment la confusion chez les consommateurs.
Ces pratiques existaient dĂ©jĂ , avant la signature de lâACTA. En fĂ©vrier 2009, des mĂ©dicaments contre le Sida, achetĂ©s par Unitaid, avaient Ă©tĂ© bloquĂ©s pendant un mois au port dâAmsterdam.
Alors, quâarrivera-t-il si le Maroc nâarrive plus Ă rĂ©ceptionner des vaccins gĂ©nĂ©riques contre lâhĂ©patite ou autres H1N1 pour cause de blocage de ces produits Ă plusieurs milliers de kilomĂštres de leur destination finaleâ?
En jouant sur la peur des mĂ©dicaments contrefaits, les lobbies ont, a priori, gagnĂ© la bataille. A ce rythme, lâindustrie pharmaceutique risque de rester, et pour longtemps, entre les mains des pays industrialisĂ©s et lâaccĂšs aux mĂ©dicaments, devenir un luxe.
A.M. |
Mission Impossible
Tout acte qui engage le nom du pays devrait avoir un impact positif sur ses citoyens. Mais que gagnent les Marocains avec lâACTAâ? Probablement autant que leurs homologues europĂ©ens. Câest-Ă -dire rienâ!
En juin dernier, une Ă©tude commandĂ©e par la direction gĂ©nĂ©rale des politiques extĂ©rieures du Parlement europĂ©en prĂ©cise «âquâil est difficile de souligner le moindre avantage significatif quâapporterait lâACTA aux citoyens europĂ©ens, au-delĂ du cadre international dĂ©jĂ existantâ».
Au Maroc, les produits contrefaits sont particuliĂšrement prisĂ©s en temps de crise. Au cĆur de Casablanca, place Prince Moulay Abdellah, des sacs Louis Vuitton, Chanel, Yves Saint Laurent et autres marques de luxe sont vendus Ă 170 dirhams.
Depuis peu, les Subsahariens ont investi ce crĂ©neau. Comment un tel accord pourrait-il mettre fin Ă une Ă©conomie informelle qui ne sâest jamais aussi bien portĂ©eâ?
A.M. |
Trois questions Ă ... Mehdi Selmouni-Zerhouni
Expert en propriété industrielle
Â
actuel. Quelle est la principale rĂ©serve que vous Ă©mettez Ă propos de lâACTA ?
Mehdi Selmouni-Zerhouni. Le Maroc est signataire de la Convention de Vienne, du 23 mai 1969, sur le droit des traitĂ©s. Selon lâarticle 2, le traitĂ© est un accord international conclu entre plusieurs Etats.
Par consĂ©quent, lâACTA est un traitĂ© international multilatĂ©ral. Or, la Constitution marocaine ne donne aucun pouvoir au gouvernement pour signer, au nom de lâEtat, un quelconque traitĂ©. Celui-ci relĂšve de la compĂ©tence exclusive du roi. A mon avis, le rĂ©dacteur du communiquĂ© publiĂ© par lâOMPIC nâa pas lu la nouvelle Constitution.
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Est-ce Ă dire que la dĂ©lĂ©gation marocaine chargĂ©e de ce dossier nâĂ©tait pas reprĂ©sentative ?
Il est regrettable que cette dĂ©lĂ©gation soit rĂ©duite Ă deux personnes. CĂŽtĂ© marocain, la nĂ©gociation nâa Ă©tĂ© assurĂ©e que par Adil El Maliki, directeur gĂ©nĂ©ral de lâOMPIC. Or, un tel accord exigeait la participation des responsables du ministĂšre de la Culture, des Affaires Ă©trangĂšres, de lâAgriculture, de lâArtisanat, de la SantĂ© (mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques), de lâIntĂ©rieur et de la Justice (volet relatif aux sanctions), sans oublier la Direction gĂ©nĂ©rale des Douanes et le Bureau des droits dâauteurs.
Lâabsence des ministres est probablement justifiĂ©e par les impĂ©ratifs de la prochaine Ă©chĂ©ance Ă©lectorale, plus importante Ă leurs yeux que la signature de lâACTA.
Â
LâACTA prĂ©sente-t-il, tout de mĂȘme, des avantages pour les entreprises marocaines ?
Le communiquĂ© publiĂ© par lâOMPIC indique que «âcette signature [âŠ] vise la mise en place du cadre juridique adĂ©quat pour faciliter les transferts de technologie vers le Marocâ». On ne peut ĂȘtre plus clairâ: lâaccord sert exclusivement les intĂ©rĂȘts des Ă©trangers au Maroc.
De fait, les sociĂ©tĂ©s marocaines sont exclues de cet accord en matiĂšre de transfert de technologies et de produits vers lâĂ©tranger. Câest une discrimination. Or, le principe dâun accord commercial est la mise en place dâun Ă©quilibre et dâune concurrence loyale. Heureusement, lâACTA doit ĂȘtre approuvĂ© par le Parlement. Il est donc possible de ne pas le ratifier. En attendant, je propose que cet accord soit soumis au Conseil de la concurrence.
A.M. |
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