La saletĂ© des rues nâest pas un phĂ©nomĂšne nouveau. Mais la gronde des employĂ©s couve depuis plusieurs mois et sâamplifie au fur et Ă mesure que lâĂ©chĂ©ance Ă©lectorale approche. Diagnostic.
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La seule Ă©vocation du sujet fait tressaillir tout le mondeâ: riverains, Ă©lus locaux, et bien sĂ»r, gestionnaires dĂ©lĂ©guĂ©s. La collecte des dĂ©chets mĂ©nagers telle quâelle est pratiquĂ©e en milieu urbain, ne satisfait personne et certainement pas les riverains. MĂȘme si, a priori, les responsabilitĂ©s sont partagĂ©es, ce dossier risque de peser lourd dans la campagne lĂ©gislative du 25 novembre.
La plupart des candidats potentiels ont la critique facile Ă propos du systĂšme de la gestion dĂ©lĂ©guĂ©e tel quâil fonctionne depuis plus dâune dĂ©cennie dans la plupart des villes. Mais rares sont ceux qui proposent des alternatives concrĂštes.
«âPourtant, les contrats de gestion dĂ©lĂ©guĂ©e gagneraient Ă ĂȘtre plus flexibles pour pouvoir rĂ©viser certaines clauses en fonction des circonstancesâ», relĂšve Luis Masiello, directeur gĂ©nĂ©ral de Tecmed Maroc qui assure la collecte des dĂ©chets mĂ©nagers dans 17 villes.
Parmi les aspects qui pourraient ĂȘtre rĂ©visĂ©s durant le contrat qui sâĂ©tale en moyenne sur 7 ansâ: les quantitĂ©s de dĂ©chets Ă traiter, les technologies Ă utiliser pour amĂ©liorer les performances et garantir un meilleur confort au public et aux Ă©quipes de ramassage, la frĂ©quence de la collecteâŠ
Pour lâheure, ce sont les syndicats qui montent au crĂ©neau, surfant sur la vague contestataire qui sĂ©vit dans les rues. A MeknĂšs comme Ă TĂ©touan, les employĂ©s de Tecmed, encadrĂ©s par la CDT, ont dĂ©brayĂ© pendant plusieurs jours, prenant en otage des habitants excĂ©dĂ©s par des montagnes dâordures mĂ©nagĂšres et leurs odeurs nausĂ©abondes.
Dans les deux villes, les employĂ©s grĂ©vistes ont fini par avoir gain de cause. «âEn rĂ©alitĂ©, dans le cas de TĂ©touan comme celui de MeknĂšs, le syndicat a rompu ses engagements notifiĂ©s et signĂ©s dans des protocoles dâaccords. Ce qui a enclenchĂ© des grĂšves injustifiĂ©es. Mais ces conflits sont aujourdâhui rĂ©glĂ©s dans le respect de nos engagementsâ», prĂ©cise Luis Masiello.
Les camions laissent couler le jus
En termes plus clairs, le dĂ©lĂ©guĂ© syndical CDT annonce une promesse dâaugmentation de salaire, conformĂ©ment aux derniers engagements du gouvernement El Fassi. Pour autant, cela sera-t-il suffisant pour calmer les ardeurs revendicatricesâ?
Plusieurs voix commencent dĂ©jĂ Ă sâĂ©lever contre les conditions de travail qui ne seraient pas conformes aux normes internationales, notamment en matiĂšre de santĂ© et de sĂ©curitĂ© des employĂ©s.
«âBien au contraire, nous observons des conditions de travail optimales avec Ă la clĂ© des campagnes de vaccination, lâaffectation de gants, de masques et de tenues pour protĂ©ger la santĂ© de nos Ă©quipesâ», soutient le directeur gĂ©nĂ©ral de Tecmed.
Idem pour lâĂ©tat de la flotte de camions auxquels lâon reproche de «âlaisser couler le jusâ» aprĂšs le ramassage des ordures. Sur ce registre, le comitĂ© rĂ©gional des Ă©tudes dâimpact sur lâenvironnement Ă Agadir a tirĂ© la sonnette dâalarme en juillet sur la dĂ©faillance de la gestion de la nouvelle dĂ©charge de Tamlest et le dĂ©versement illĂ©gal du jus dâordures connu sous le nom de lixiviat.
Ce dĂ©chet dangereux dont on interdit lâenfouissement, le rejet et le stockage en dehors des lieux spĂ©cifiques, risque, en cas de nĂ©gligence, de contaminer dangereusement la nappe phrĂ©atique.
Mais lĂ aussi, Luis Masiello se veut rassurant. «âNous avons initiĂ© la rĂ©habilitation de lâancienne dĂ©charge en deux phases avant sa fermeture. Dans la nouvelle dĂ©charge qui est ouverte depuis avril, la situation est parfaitement contrĂŽlĂ©e et le lixiviat est confinĂ© dans des citernes Ă©tanches.â»
Il faut reconnaĂźtre que pour lâheure, lâurgence des syndicats est ailleurs, car il est de bon ton de mobiliser les foules Ă la veille du lancement de la campagne Ă©lectorale des lĂ©gislatives. Pour ce faire, les revendications matĂ©rielles sâavĂšrent bien plus efficaces et plus motivantes.
Mais dans cette anarchie ambiante, les usagers ont Ă©galement leur lot de responsabilitĂ© puisquâils font preuve dâun manque manifeste de civisme. Sur ce volet, nul besoin de dĂ©monstration. Il suffit de sillonner les rues.
Les entreprises dĂ©lĂ©gataires imputent ce laisser-aller gĂ©nĂ©ral Ă lâabsence de contrĂŽle de lâautoritĂ© locale et, surtout, de sanctions dissuasives Ă lâencontre des contrevenants. La croissance dĂ©mographique aidant, la saletĂ© des rues fait dĂ©sormais partie du paysage quotidien et ne choque manifestement plus grand monde, encore moins les pouvoirs publics pourtant garants de la salubritĂ© des espaces⊠publics.
Et pas seulement dans les quartiers pĂ©riphĂ©riques. «âNous sommes tenus de procĂ©der au ramassage jusquâĂ 2 Ă 3 fois par jour alors que le contrat ne prĂ©voit quâune seule collecte quotidienne. Sans oublier le problĂšme de la dĂ©tĂ©rioration et du vol des bacs qui engendrent un surcoĂ»t pour lâentrepriseâ!â», dĂ©plore le DG de Tecmed.
Site bloqué par les riverains
Et lâautoritĂ© dĂ©lĂ©gante dans tout çaâ? Alors que dans les autres villes, les rapports sont jugĂ©s «ânormauxâ», la commune urbaine de MohammĂ©dia, elle, ferait preuve de laxisme, teintĂ©, sans doute, dâarriĂšre-pensĂ©es Ă©lectoralistes.
«âMalgrĂ© nos alertes rĂ©pĂ©titives, la commune de MohammĂ©dia ne nous a jamais proposĂ© de solution durable et efficace pour rĂ©gler dĂ©finitivement le problĂšme de la dĂ©charge. Nous continuons Ă assurer la prestation de maniĂšre prĂ©caire car les solutions proposĂ©es relĂšvent du bricolageâ», dĂ©nonce Luis Masiello.
AprĂšs le refus dâaccĂšs Ă la dĂ©charge de Bouznika, sous la pression des habitants, Tecmed sâest repliĂ©e sur un terrain nu situĂ© Ă Ain Tekki mis Ă sa disposition, in extremis, le 17 octobre. «âMais la solution sâest vite avĂ©rĂ©e inopĂ©rante. Le dĂ©versement des dĂ©chets sur ce site ayant Ă©tĂ© bloquĂ© par les riverains en lâespace de deux jours.â»
A lâheure oĂč nous mettions sous presse, aucune autre solution nâavait Ă©tĂ© proposĂ©e pour le dĂ©versement des dĂ©chets. «âEn marge, ce blocage a provoquĂ© de graves problĂšmes matĂ©riels et techniques, notamment la dĂ©tĂ©rioration de la flotteâ», justifie Luis Masiello.
Mais au sein de la commune urbaine de MohammĂ©dia, on accuse Tecmed de brandir, depuis plusieurs mois, le moindre prĂ©texte pour rompre le contrat et liquider «âen douceâ» son matĂ©riel dâĂ©quipement. En rĂ©alitĂ©, le mandat du gestionnaire dĂ©lĂ©guĂ© arrive Ă son terme Ă la fin de ce mois. A lâissue dâun appel dâoffres, câest Sita El BeĂŻda qui hĂ©rite de ce cadeau empoisonnĂ© alors que le problĂšme de la dĂ©charge sĂ©curisĂ©e nâest toujours pas rĂ©glĂ©.
Tecmed ne sâavoue pas pour autant vaincue. Elle remet en cause la validitĂ© de lâappel dâoffres. «âLa rĂ©glementation de la consultation impose que la note technique, qui intervient pour moitiĂ© dans la note finale, soit rendue publique avant lâouverture de lâoffre financiĂšre. Or cela nâa pas Ă©tĂ© le casâ», dĂ©nonce le DG de Tecmed.
Une rĂ©clamation a Ă©tĂ© adressĂ©e par lâensemble des soumissionnaires Ă la commune urbaine, au ministĂšre de lâIntĂ©rieur puis au secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du gouvernement. Sans rĂ©sultat. Lâaffaire est actuellement en passe dâĂȘtre soumise au tribunal administratif.
Mouna Kably & Abdelhafid Marzak |