Un des derniers vestiges de la famille Agouzzal, Chimicolor, est sur le point de disparaĂźtre. En tĂ©moigne la vente aux enchĂšres du terrain, siĂšge de la sociĂ©tĂ©. Avec la fermeture de cette usine, câest une autre page de lâhistoire industrielle marocaine qui se tourne.
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Câest dans lâaprĂšs-midi du 25 octobre, au tribunal de commerce de Casablanca, quâaura lieu la vente aux enchĂšres du terrain qui fait office de siĂšge de Chimicolor, la cĂ©lĂšbre fabrique de produits chimiques et de peinture appartenant au groupe Agouzzal. Le prix dâouverture des enchĂšres est fixĂ© Ă 27â122â500 dirhams. La sociĂ©tĂ© ne peut plus honorer les crĂ©dits contractĂ©s auprĂšs du CrĂ©dit Agricole du Maroc (CAM). Mais comment un des fleurons de lâindustrie du pays en est-il arrivĂ© lĂ â?
Flash-back.âHaj Agouzzal, fondateur du groupe, est de plus en plus dĂ©passĂ© par les Ă©vĂ©nementsâ: libĂ©ralisation du secteur, arrivĂ©e de nouveaux acteurs plus compĂ©titifs, concurrence de plus en plus agressive,... Toutes ces mutations nâont pas suscitĂ© le besoin de moderniser le mode de management. Bien au contraire.
Moulay Messaoud continuera Ă diversifier Ă outrance ses activitĂ©s, au lieu de sâattaquer Ă la restructuration de son groupe. Autre facteur qui prĂ©cipitera son dĂ©clinâ: la transmission tardive de lâempire quâil a bĂąti. Celle-ci nâinterviendra quâen 2008. A lâissue dâun nouveau pacte dâactionnaires, câest son fils Moulay Brahim qui prendra enfin les rĂȘnes du groupe Agouzzal. Mais ce sera dĂ©jĂ trop tard. Les finances sont au plus mal et les dettes ne cessent de sâaccumuler.
Au 31 dĂ©cembre 1997, les dettes du groupe Agouzzal caracolent Ă plus de 135,6 millions de dirhams. Celui-ci dĂ©cide alors de solliciter CAM pour un reprofilage de sa dette. Lâaccord final est signĂ© le 23 octobre 1998 pour le dĂ©blocage de 43 MDH. Le montant est alors utilisĂ© pour Ă©ponger les dettes des Tanneries du Maroc et dâUniversal Computer, appartenant au mĂȘme groupe.
En parallĂšle, CAM abandonne prĂšs de 30 millions de dirhams dâintĂ©rĂȘts et intĂ©rĂȘts de retard. Au final, le groupe ne doit plus que 61,6 millions de dirhams Ă la banque publique. Le mĂȘme accord prĂ©voit lâoctroi, Ă la filiale Chimicolor, dâun crĂ©dit long terme de plus de 32,8 MDH au taux de 9% sur 9 ans, avec un diffĂ©rĂ© de 9 mois.
Dans un document annexé au contrat de crédit, daté du 15 octobre 1998, Messaoud Agouzzal concÚde, en contrepartie de ces sommes, le nantissement du fonds de commerce de Chimicolor.
Deux ans plus tard, en mars 2000, la filiale obtient un nouveau crĂ©dit de BMCE Bank, cette fois-ci, dâun montant de 950â000 dirhams. Pour garantir le prĂȘt, un nantissement sur le matĂ©riel et outillage est exigĂ©.
La mĂȘme annĂ©e, alors que le paiement des Ă©chĂ©ances du crĂ©dit accordĂ© par CAM nâest pas bouclĂ©, lâentreprise procĂšde au transfert du siĂšge social de place Dakarqui qui Ă©tait nanti, au km 6.9, sur la route de Benslimane (actuellement Okba Bnou Nafii). Le changement est enregistrĂ© au tribunal du commerce Ă la date du 12 juillet 2001.
MalgrĂ© tous ces financements bancaires, Chimicolor enregistre, en 2000, un dĂ©ficit de 3â279â688,66 dirhams (archives des Nouvelles du Maroc, Ă©dition du 8 juin 2001, 3e rĂ©solution du conseil dâadministration de Chimicolor).
Le 23 juillet 2001, la sociĂ©tĂ© effectue une manĆuvre quelque peu inhabituelle sur laquelle planent plusieurs zones dâombre. Le mĂȘme jour, Agouzzal renfloue le capital de Chimicolor pour le rĂ©duire aussitĂŽt.
Ainsi, le capital passe de 23 Ă 80 MDH, par Ă©mission de 370â000 actions nouvelles au prix unitaire de 100 dirhams, pour Ă©ponger les crĂ©ances liquides et exigibles. Le reliquat, soit 20 MDH, est incorporĂ© au capital de la sociĂ©tĂ© via une attribution dâactions gratuites.
A la mĂȘme date, le capital est donc ramenĂ© de 80 millions Ă 30 millions de dirhams. Deux questions demeurent sans rĂ©ponseâ: comment Agouzzal a-t-il financĂ© cette augmentation de capitalâ? OĂč sont passĂ©s les 7 millions de dirhams, diffĂ©rence entre augmentation et baisse de capital de Chimicolorâ?
«âLe coup dâaccordĂ©on sert Ă apurer une partie ou la totalitĂ© des dettes dâune entreprise. Au passage, les actionnaires minoritaires peuvent ĂȘtre Ă©cartĂ©s du tour de tableâ», explique un expert comptable.
Mais lâopĂ©ration ne sauvera pas Chimicolor. Les crĂ©dits sâaccumulent jusquâau moment oĂč la sociĂ©tĂ© est en cessation de paiement. En mars 2004, soit 3 ans avant le terme du premier prĂȘt, Chimicolor dĂ©croche auprĂšs de CAM un nouveau crĂ©dit de reprofilage de 29,61 millions de dirhams au taux de 7,5%, en contrepartie du nantissement de son fond de commerce. Un mois plus tard, la mĂȘme banque lui accorde un troisiĂšme crĂ©dit de 10 millions de dirhams, en Ă©change du nantissement des stocks de marchandises.
MalgrĂ© toutes ses tentatives de sauvetage, Chimicolor ne peut toujours pas honorer ses engagements Ă lâĂ©gard de sa banque. Au 1er juin 2005, le compteur des dettes remonte Ă 34 millions de dirhams. Moulay Messaoud Agouzzal, dĂ©cide alors de jouer banco.
Il hypothĂšque 5 terrains Ă Casablanca en contrepartie dâune extension de sa dette. Celle-ci passe de 29,61 Ă 44,61 millions de dirhams au taux de 7,5%. De plus, Agouzzal met tout le matĂ©riel et les marchandises appartenant Ă la sociĂ©tĂ© Ă la disposition de la banque, contre 10 autres millions de dirhams. Ces montants Ă©taient supposĂ©s Ă©ponger toutes les dettes. Mais malgrĂ© lâimportance des sommes empruntĂ©es, la situation financiĂšre de Chimicolor va Ă la dĂ©rive.
Opacité totale
Les dĂ©clarations dâimpĂŽts ne rĂ©vĂšlent aucun arriĂ©rĂ© mais la Caisse nationale de sĂ©curitĂ© sociale (CNSS) dĂ©cide de passer Ă lâoffensive (cf. encadrĂ©).
Chimicolor, comme lâensemble du groupe, est frappĂ©e dâune opacitĂ© totale. Aucune information financiĂšre ou stratĂ©gique ne filtre. Pire. La plupart des coordonnĂ©es (tĂ©lĂ©phones, fax, etc.) ne sont plus Ă jour.
Si Chimicolor est placĂ©e en liquidation judiciaire, quel sera le sort rĂ©servĂ© aux salariĂ©sâ? Nul ne le sait. Pour lâun des employĂ©s interrogĂ©s, ayant requis lâanonymat, «ârien nâa changĂ© ou presqueâ». Lâentreprise serait toujours en activitĂ© et les salariĂ©s continueraient de percevoir leurs salaires Ă la fin de chaque mois. «âMais pour dĂ©fendre leurs intĂ©rĂȘts, ils ne sont affiliĂ©s Ă aucun syndicatâ», avoue-t-il.
Ce qui pourrait jouer en leur dĂ©faveur dans le cas dâun arrĂȘt dĂ©finitif des activitĂ©s. «âSeuls quelques reprĂ©sentants des salariĂ©s essaient, tant bien que mal, de dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts de leurs collĂšguesâ», confie lâemployĂ©.
Entre-temps, la direction de Chimicolor a changĂ© de main. Bien quâil soit Ă la retraite, Ahmed Dacheikh, ancien directeur commercial de Chimicolor, chapeaute aujourdâhui toute lâactivitĂ©. «âCâest sur ses Ă©paules que repose dĂ©sormais tout le poids de lâentrepriseâ», affirme le mĂȘme salariĂ©.
ContactĂ© par actuel, Dacheikh nâa pas donnĂ© suite Ă notre requĂȘte. Quant Ă Brahim Agouzzal, prĂ©sident du groupe, il serait «âen voyage Ă lâĂ©trangerâ». Surprenant, Ă la veille dâune vente aux enchĂšres.
Abdelhafid Marzak |