« Nous nâavons rien Ă cacher ! »
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Mis en cause pour sa gestion, le directeur gĂ©nĂ©ral du groupe Charaf-Fertima prĂ©cise les raisons qui lâont conduit Ă prendre des dĂ©cisions fondĂ©es, Ă ses yeux, sur des engagements de bonne gouvernance, dans le respect des rĂšgles prudentielles.
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Câest un patron amaigri, singuliĂšrement affectĂ©, qui livre en avant-premiĂšre Ă actuel ses arguments suite Ă lâattaque violente parue dans Jeune Afrique (n° 2â647) du 2 octobre.
Qui veut la peau dâAmine Kandil, directeur gĂ©nĂ©ral du groupe Charaf-Fertimaâ? Cette question reste, pour lâheure, sans rĂ©ponse. En tout cas, lâennemi cachĂ© du patron, jadis flamboyant, a manifestement frappĂ© fort et juste, en dĂ©pit de quelques approximations et contre-vĂ©ritĂ©s.
Le plus grand tort de Kandil est sans doute dâavoir vu grand en se prĂȘtant Ă une course effrĂ©nĂ©e aux parts de marchĂ©, en se frottant (peut-ĂȘtre sans le savoir) Ă de gros intĂ©rĂȘts, sans instaurer de garde-fous efficaces pour rester inattaquable. De lĂ vient sans doute sa vulnĂ©rabilitĂ©.
Le retournement de tendance survenu en 2008, au moment de la crise des matiĂšres premiĂšres, rĂ©vĂšlera au grand jour les mĂ©thodes archaĂŻques qui subsistent dans ce groupe familial, malgrĂ© les efforts dâouverture et lâadoption timide de mĂ©thodes de gouvernance modernes.
Gestion des stocks, de la relation client, de la relation fournisseur, du patrimoine foncier et mĂȘme de la relation bancaire. Tout est sujet Ă caution malgrĂ© les dĂ©clarations de bonne intention du manager (lire ci-contre). Moussahama tentera de venir Ă la rescousse.
Mais les archaĂŻsmes ont la peau dure et les mĂ©thodes modernes tardent Ă sâancrer. Aujourdâhui, peut-ĂȘtre un peu tard, Amine Kandil revoit ses ambitions, entend consolider les acquis, met un terme Ă la course au chiffre dâaffaires et annonce des chantiers de modernisation pour tenter dâamĂ©liorer la rentabilitĂ© de son groupeâ: nouveau systĂšme dâinformation, nouvelle plateforme logistique, nouvelles mĂ©thodes de recouvrementâŠ
Bonne gouvernance et transparence donc, mais avec des limitesâ: il restera discret sur son patrimoine Ă lâĂ©tranger et son mode de financement, invoquant le droit au respect de la vie privĂ©e. Sur ce volet-lĂ , nous resterons sur notre faim.
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actuel : Jeune Afrique vient dâĂ©voquer « la descente aux enfers » de votre groupe, en Ă©voquant des dĂ©saccords avec votre principal actionnaire, une « situation prĂ©occupante » et des dĂ©cisions non conformes au pacte qui vous lie. Au point que ce dernier a commanditĂ© un audit. Le cabinet Mazars a-t-il investi vos murs, par qui a-t-il Ă©tĂ© rĂ©ellement missionnĂ© et quelle est sa feuille de route ?
Amine Kandil : Mazars a Ă©tĂ© missionnĂ© par Moussahama (filiale de la BCP, ndlr), actionnaire du groupe Charaf. Nous avons immĂ©diatement acceptĂ© cet audit car nous nâavons rien Ă cacher.
Pourquoi Moussahama a-t-elle commandé cet audit ?
Notre actionnaire voulait des explications dĂ©taillĂ©es et validĂ©es par des experts sur certaines opĂ©rations initiĂ©es par le groupe. Pour ma part, je suis tout Ă fait conscient quâun investisseur institutionnel puisse exiger un rapport dâaudit, mĂȘme si tous nos comptes sont certifiĂ©s sans rĂ©serve par nos commissaires aux comptes.
Nous avons convenu de participer au cofinancement de cette opĂ©ration. Jâapprouve dâautant plus la dĂ©marche que cela met la pression sur nos commissaires aux comptes pour quâils fassent bien leur travail.
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Depuis quand Mazars est-il chez vous ?
Depuis le 8 aoĂ»t, nous avons en permanence deux Ă trois auditeurs du cabinet. JusquâĂ la parution de cet article dans JA, câĂ©tait un non-Ă©vĂ©nement car nous avons lâhabitude dâaccueillir dans nos locaux des auditeurs.
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Quelle est la feuille de route de Mazars ?
Elle a Ă©tĂ© Ă©mise par lâactionnaire et validĂ©e par nous. Ils ont accĂšs Ă tous les documents, mais en prioritĂ© aux documents de 2010 et 2011. La mission doit prendre fin vendredi prochain. Le rapport devrait tomber trĂšs rapidement et sera soumis Ă tous les actionnaires.
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La lettre que vous a adressĂ©e MaĂźtre Kettani, avocat de la BCP, fait mention de dĂ©prĂ©ciation massive dâactifs, entraĂźnant « un effet nĂ©gatif majeur sur la valorisation de la sociĂ©tĂ© », sans information prĂ©alable de votre partenaire. Quâen est-il exactement ?
En tant quâactionnaire, Moussahama a participĂ© Ă tous les conseils et toutes les dĂ©cisions. JusquâĂ la date de son entrĂ©e dans le capital, en juillet 2010, nous nâĂ©tions pas certains que Moussahama allait nous rejoindre. Nous avons continuĂ© Ă gĂ©rer lâentreprise normalement.
Dans ce courrier, il est en rĂ©alitĂ© question de «ârĂ©vision de la valorisationâ» de lâentreprise. Le contrat a Ă©tĂ© conclu sur la base dâune valorisation fixe, figĂ©e dans le temps. Sans doute, lâobjectif final est-il de revoir la valorisation de Charaf-Fertima.
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Moussahama vous a rejoint en juillet 2010. Quand avez-vous procĂ©dĂ© Ă la dĂ©prĂ©ciation dâactifs ?
Ces dĂ©cisions de gestion ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es, puis soumises au conseil, et lâactionnaire sâest prononcĂ©. Il sâagit de crĂ©ances litigieuses sur deux clients qui Ă©taient dans les comptes. Selon la rĂ©glementation, il fallait les passer en provisions.
Elles sont de lâordre de 40 Ă 50 MDH. Sur les autres dĂ©prĂ©ciations, nous avions une crĂ©ance sur un fournisseur qui nous doit une somme importante et faisait lâobjet dâune rĂ©serve dans les comptes depuis 2008.
Nous avons donc dĂ©cidĂ© dâassainir cette crĂ©ance et de dresser un inventaire complet des stocks pour passer dans les charges tout stock pĂ©rimĂ©. Il y a eu aussi des dĂ©prĂ©ciations concernant certains de nos 25 sites et usines. Toutes ces dĂ©cisions de management indispensables ont Ă©tĂ© ensuite portĂ©es au conseil.
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Pourquoi ne pas avoir procédé à ces dépréciations, qui se chiffrent à 187 MDH, plus tÎt ?
Ce montant est Ă rapporter sur trois ans. JusquâĂ mars 2010, pour moi, il Ă©tait encore possible de rĂ©cupĂ©rer nos crĂ©ances. Et nous avons toujours pour objectif de les recouvrer. Entre-temps, un client qui nous doit 22 millions de dirhams depuis 2009 a fait lâobjet dâune condamnation de peine de prison.
La justice a reconnu quâil devait nous rembourser. Sa sociĂ©tĂ© nâest plus en activitĂ© mais il dispose de biens et de garanties. Notez que nous ouvrons Ă nos clients de vrais dossiers de crĂ©dit et, depuis 2009, nous avons resserrĂ© les procĂ©dures dâoctroi. Dâailleurs, pour la premiĂšre fois, nous avons encaissĂ© cash 112 MDH dĂšs le dĂ©but de la campagne en cours.
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En resserrant les vannes du crĂ©dit, ne vous ĂȘtes-vous pas privĂ© de nouveaux clients ?
Mon chiffre dâaffaires me suffit, je veux consolider mes parts de marchĂ© et me concentrer sur lâamĂ©lioration de la rentabilitĂ©. En amĂ©liorant les dĂ©lais clients, en rĂ©duisant les charges et en optimisant la logistique.
Pour cela, nous nous dotons dâun nouveau systĂšme dâinformation, opĂ©rationnel avant fin 2011. Nous avons vendu un terrain Ă Casablanca Ă 52 MDH pour en acheter un autre Ă Jorf Lasfar Ă 51 MDH pour en faire une plateforme logistique.
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Quel est le montant de cette dĂ©prĂ©ciation dâactifs ? Si le conseil en a Ă©tĂ© informĂ©, pourquoi lâavocat de votre actionnaire vous en fait-il le reproche ?
Lâactionnaire lâa appris lors dâune rĂ©union, avant le conseil, dans le cadre dâun reporting pĂ©riodique. Concernant notre fournisseur local, je sais quâil est solvable. Et mĂȘme si la crĂ©ance est trĂšs importante, nous savions que nous allions la recouvrer. Mais, entre-temps, le CDVM a dĂ©cidĂ©, en mars, quâil fallait exiger un Ă©crit dĂ©finitif confirmant le paiement de cette crĂ©ance. Dans le cas contraire, elle devait passer dans les comptes.
Compte tenu de la nature de notre activitĂ© saisonniĂšre, le bouclage de nos comptes se fait Ă la veille de la date limite. Et on espĂ©rait recouvrer cette crĂ©ance jusquâĂ la derniĂšre minute. Donc la dĂ©cision a Ă©tĂ© prise in extremis pour ĂȘtre en conformitĂ© avec le CDVM, et lâon savait son impact nĂ©gatif sur nos comptes. Mais il Ă©tait difficile de prĂ©venir lâactionnaire six mois Ă lâavance.
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La relation avec les actionnaires institutionnels est basĂ©e sur des reportings pĂ©riodiques. Pourquoi ne pas sây ĂȘtre soumis ?
La mise en place de ce processus de reporting sâest faite progressivement, le temps de nous adapter Ă leurs exigences. Maintenant, le systĂšme est en place et fonctionne. Notre nouveau SI sera opĂ©rationnel en 2012, ce qui facilitera lâĂ©laboration des reportings.
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Que sâest-il passĂ© aprĂšs la rĂ©ception de ce courrier par avocat interposĂ© ?
SincĂšrement, je suis surpris de recevoir ce courrier le 26 mai 2011 alors que le conseil du 28 mars sâest dĂ©roulĂ© dans des conditions normales. AprĂšs consultation de notre avocat, nous avons sollicitĂ© une rĂ©union pour exposer tous les dĂ©tails, chiffres et contrats notariĂ©s Ă lâappui. La rĂ©union a eu lieu en juin et, au terme de la discussion, ils ont demandĂ© lâenvoi dâune mission dâaudit.
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Vos arguments ne les ont pas convaincus ?
Non, je comprends leur exigence de plus dâinformations Ă©tant donnĂ© leur statut dâinvestisseur institutionnel et leur appartenance Ă un groupe bancaire.
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LâĂ©vocation de lâaudit a lieu en juin et la mission nâest enclenchĂ©e quâen aoĂ»tâŠ
Pour des raisons de planning et de calendrier, la mission sâest dĂ©roulĂ©e trois mois aprĂšs. Cela veut dire aussi quâil nây avait pas pĂ©ril en la demeure.
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On parle dâun endettement de 550 MDH. Confirmez-vous ?
Ce montant est faux et je prĂ©fĂšre ne pas divulguer le vrai montant. La plus grosse partie de la dette est Ă moyen terme, dont une partie a fait lâobjet dâune conversion en actions. Lâautre partie est constituĂ©e de lignes de fonctionnement qui tournent normalement.
A date dâaujourdâhui, nous travaillons sereinement avec toutes nos banques, y compris la BCP. Nous ne sommes pas du tout en situation de demande dâautorisations exceptionnelles aux banques pour payer nos salariĂ©s chaque moisâ!
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Le rachat de Fertima nâest-il pas Ă lâorigine de tous vos maux ?
Non, nous travaillons depuis 2008 sur la fusion de deux sociĂ©tĂ©s de tailles Ă©gales, concurrentes, et aux cultures diffĂ©rentes. Mais lâannĂ©e 2008 a Ă©tĂ© catastrophique et les stocks ont Ă©tĂ© divisĂ©s par trois. Les producteurs dâengrais se sont arrĂȘtĂ©s de travailler pendant plusieurs mois. En 2009, la situation a commencĂ© Ă sâamĂ©liorer.
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Vous avez été mis en cause pour votre train de vie : appartements à Paris, compte en banque alimenté par une société offshore⊠Que répondez-vous à ces accusations ?
Je ne fais jamais de commentaire sur les éléments qui touchent à ma vie privée. Je ne répondrai donc pas à cette question.
Propos recueillis par Mouna Kably et Henri Loizeau |