Dâune crise Ă lâautre, le tissu industriel est mis Ă rude Ă©preuve. Mais les entreprises ne sont pas toutes logĂ©es Ă la mĂȘme enseigne. Certaines se sont restructurĂ©es et sont aujourdâhui prĂȘtes Ă affronter le pire, y compris Ă lâexport. Diagnostic.
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Alors que les patrons dâentreprises pensaient sâacheminer vers une sortie de crise liĂ©e aux subprimes, avec un minimum de dĂ©gĂąts, voilĂ que surgit la problĂ©matique de la dette souveraine des pays europĂ©ens et des Etats-Unis, relançant lâalerte.
Il est vrai que la plupart des opĂ©rateurs des secteurs du tourisme, du textile et des industries Ă©lectriques et Ă©lectroniques, Ă©taient dĂ©jĂ fĂ©briles depuis fĂ©vrier dernier, Ă©chaudĂ©s par les effets nĂ©fastes du printemps arabeâ: chute du nombre dâarrivĂ©es de touristes, repli des investissements directs Ă©trangers et essoufflement du volume des commandes Ă©trangĂšres adressĂ©es au Maroc.
Et ce, alors que les mutations gĂ©ostratĂ©giques que connaĂźt la rĂ©gion MENA nâont pas encore produit tous leurs effets tant sur les plans politique et social quâĂ©conomique. DâoĂč le manque de visibilitĂ© des investisseurs marocains et internationaux qui hĂ©sitent Ă se projeter dans lâavenir et donc Ă sâengager.
A ces bouleversements sâest donc greffĂ©e une autre crise internationale tout aussi brutaleâ: le surendettement des pays dĂ©veloppĂ©s qui met en lumiĂšre, pour la premiĂšre fois, leur vulnĂ©rabilitĂ© et surtout leur risque dâinsolvabilitĂ©.
Cette situation inédite depuis 1929 a pour effet de déstabiliser non seulement les pouvoirs publics mais aussi les opérateurs privés car elle réduit à néant leurs anticipations de reprise en 2011.
Dans ce climat de fortes tensions et dâincertitudes, il est opportun de se demander si certaines entreprises marocaines ont su faire preuve de rĂ©activitĂ© en remettant Ă plat leur stratĂ©gie et en se restructurant pour ĂȘtre fin prĂȘtes au moment de la reprise.
Combien, parmi elles, sont Ă mĂȘme, aujourdâhui, de rĂ©sister et, pourquoi pas, de saisir de nouvelles opportunitĂ©s que peut offrir la crise, pour investir et diversifier leur activitĂ©â?
Surprise, dans ce tableau dominĂ© par la morositĂ© et lâattentisme, tout nâest pas noir.
Le potentiel des grandes surfaces
Tout dâabord, les secteurs tournĂ©s exclusivement vers le marchĂ© local sont relativement Ă©pargnĂ©s. Câest le cas par exemple, de la grande distribution dont le potentiel de croissance fait des envieux.
Son expansion constante est portĂ©e par la politique de soutien du pouvoir dâachat mise en Ćuvre, ces derniĂšres annĂ©es, par lâEtat. Les augmentations de salaire concĂ©dĂ©es rĂ©cemment et le recrutement des jeunes diplĂŽmĂ©s chĂŽmeurs devraient, eux aussi, apporter de lâeau au moulin des grandes surfaces.
MĂȘme si le secteur est confrontĂ© Ă la chertĂ© du foncier qui freine lâextension des rĂ©seaux de points de vente Ă proximitĂ© des villes et la gĂ©nĂ©ralisation des plateformes logistiques pour faciliter les achats groupĂ©s et optimiser les coĂ»ts.
Autre secteur qui reste largement prĂ©servĂ© des tensions internationalesâ: les entreprises agro-industrielles qui, pour la plupart, produisent des biens de consommation courante destinĂ©s au marchĂ© local, et sont donc Ă lâabri des fluctuations de la demande Ă©trangĂšre.
Pour accompagner la croissance de la demande interne, et améliorer leur propre compétitivité face à la montée de la concurrence étrangÚre liée au démantÚlement douanier, ces unités ont modernisé leur outil de production, amélioré leur productivité et remis à plat leurs stratégies commerciales et marketing via une segmentation du marché.
Dâautre part, le secteur bancaire, extrĂȘmement rĂ©glementĂ© et peu exposĂ©, fait preuve dâune bonne rĂ©sistance. «âNon seulement, les banques locales dĂ©tiennent peu dâactifs Ă©trangers, mais rares sont les actifs marocains qui se trouvent entre les mains dâinvestisseurs Ă©trangersâ», relĂšve Abderrahim Benkirane, prĂ©sident de Harvest Consulting.
De ce fait, les banques marocaines nâont pas Ă©tĂ© affectĂ©es par la crise des subprimes et lâon peut affirmer, sans risque, que le secteur affichera une croissance bĂ©nĂ©ficiaire de 5% Ă 10% en moyenne, au cours de la prochaine dĂ©cennie.
Cette performance est dâautant plus rĂ©alisable que les banques marocaines ont deux dĂ©fis Ă releverâ: augmenter le taux de bancarisation et promouvoir de nouveaux relais de croissance, notamment Ă lâinternational.
Si cette stratĂ©gie dâexpansion en Afrique subsaharienne revĂȘt quelques risques, ces derniers restent limitĂ©s car, pour lâheure, la contribution de cette activitĂ© au produit net bancaire nâest pas trĂšs importante.
«âDe plus, ces pays sâinscrivent sur une tendance lourde de dĂ©veloppement Ă©conomique et financier, en dĂ©pit des pĂ©riodes dâinstabilitĂ©. Donc, ces marchĂ©s sont porteurs sur le long termeâ», conclut un banquier.
Lâimmobilier rĂ©siste encore
Par ailleurs, les grands groupes immobiliers ont rĂ©ussi Ă sortir leur Ă©pingle du jeu malgrĂ© la chute de la demande du logement haut standing en 2008. AprĂšs avoir annoncĂ© des investissements sur ce segment, au moment de son introduction en Bourse, Addoha rĂ©ajuste in extremis sa stratĂ©gie entre 2009 et 2010, en faveur du logement social, son vĂ©ritable cĆur de mĂ©tier.
«âParallĂšlement, le groupe dâAnas Sefrioui adapte la production haut standing aux exigences de la demande locale en portant les prix de vente de 10 MDH Ă moins de 5 MDH lâunitĂ©â», explique un spĂ©cialiste de lâimmobilier. Une rĂ©adaptation qui a permis au groupe dâapporter une bouffĂ©e dâoxygĂšne Ă sa trĂ©sorerie.
Quant au groupe Alliance DĂ©veloppement Immobilier (ADI), son cĆur de mĂ©tier reste le haut standing. Toutefois, en 2010, il rĂ©adapte sa stratĂ©gie en investissant le logement social. Mais la rĂ©ussite de cette mutation tient aussi Ă lâacquisition, Ă la mĂȘme pĂ©riode, de Somadiaz et EMT, deux entreprises de TP de rĂ©fĂ©rence, bien positionnĂ©es dans les chantiers dâinfrastructure.
«âCette dĂ©cision stratĂ©gique judicieuse a permis dâattĂ©nuer lâimpact de la baisse dâactivitĂ© sur le haut standing, en attendant de rĂ©colter les premiers fruits du repositionnement sur le logement social en 2010â», est-il expliquĂ©.
Un seul bĂ©molâ: le ratio dâendettement dâADI reste trĂšs Ă©levĂ© et devrait lâamener Ă rĂ©duire le rythme de croissance de sa production, Ă moins quâil ne dĂ©cide de renflouer ses capitaux propres.
Mais globalement, les sociĂ©tĂ©s immobiliĂšres ont rĂ©ussi leur adaptation Ă la crise et sont en mesure de profiter dâune reprise Ă venir. Les analystes tablent sur un retour de croissance du haut standing au deuxiĂšme semestre 2012, au lieu de fin 2011.
Quant au secteur tĂ©lĂ©coms, il connaĂźt une Ă©volution anticyclique, surtout pour la branche «âVoixâ» (tĂ©lĂ©phone). En revanche, la branche «âDataâ» est affectĂ©e par la montĂ©e de la concurrence. «âOr le marchĂ© marocain est portĂ© Ă 98% par la voix et repose sur une demande locale dynamiqueâ», estime ce spĂ©cialiste.
Ce qui explique que, contrairement aux opĂ©rateurs internationaux comme Egypt Telecom, Maroc Telecom nâa pas subi une forte baisse de son revenu depuis 2008 car la croissance des dĂ©penses en communications tĂ©lĂ©phoniques des Marocains est forte alors que les marges de lâopĂ©rateur historique demeurent Ă©levĂ©es, tout comme le prix Ă la minute.
«âLes Marocains figurent parmi les plus gros consommateurs dans les pays Ă©mergents, avec 52âmn/mois. Si les tarifs baissent, les minutes consommĂ©es augmenteront davantage et lâARPU (revenu moyen par personne) de Maroc Telecom finira par se stabiliserâ», assure un analyste.
Ce qui est conforme aux prĂ©visions de Maroc Telecom pour lâensemble de lâannĂ©e 2011 puisque lâopĂ©rateur table sur un repli de son chiffre dâaffaires du fait des baisses de prix et une stabilisation de sa marge opĂ©rationnelle.
Les cimentiers mieux lotis
Parmi les secteurs les mieux prĂ©parĂ©s Ă lâaprĂšs-crise, les cimenteries. Les trois filiales de multinationales, Ă savoir Lafarge Maroc, Cimar et Holcim, ont anticipĂ© la flambĂ©e des cours des combustibles en investissant, trĂšs tĂŽt, dans les Ă©nergies renouvelables.
Un choix stratégique déterminant sachant que le coût énergétique représente 2/3 des charges variables. De ce fait, ces trois sociétés devraient voir leurs marges augmenter dans les prochaines années.
GrĂące Ă ces investissements et malgrĂ© la surproduction actuelle de ciment, les trois leaders bĂ©nĂ©ficient dâune avancĂ©e trĂšs nette par rapport aux nouveaux entrants, notamment Ciments de lâAtlas et ses deux unitĂ©s de production.
Mouna Kably |