Ce secteur stratĂ©gique brasse 16 milliards de dirhams par an et rapporte 10 milliards de dirhams par an Ă lâEtat. Mais il reste la chasse gardĂ©e des multinationales. Quand des outsiders lorgnent une part du gĂąteau, câest la levĂ©e de bouclier. Le bras de fer ne fait que commencer.
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Le secteur du tabac fait encore parler de lui. Six mois aprĂšs le bras de fer opposant Altadis Ă lâadministration des Douanes suite Ă lâinstauration du marquage fiscal, voilĂ que la libĂ©ralisation du secteur enclenchĂ©e en janvier 2011 montre dĂ©jĂ de sĂ©rieuses limites.
Depuis la levĂ©e des barriĂšres Ă lâentrĂ©e, seules les multinationales Japan Tobacco Inc (JTI) et British American Tobacco (BAT) ont dĂ©crochĂ© lâautorisation de distribuer leurs propres marques comme Winston, Camel, Dunhill ou encore Kent.
Dâautres outsiders, notamment le Marocain K-Dis et lâEspagnol Comet, sont toujours en attente du sĂ©same, plus de trois mois aprĂšs le dĂ©pĂŽt de leur dossier au ministĂšre des Finances. MĂȘme sâil a manifestĂ© un vif intĂ©rĂȘt pour le marchĂ© marocain, lâopĂ©rateur ibĂ©rique, leader dans son pays, nâa pas encore arrĂȘtĂ© sa stratĂ©gie de pĂ©nĂ©tration.
En revanche, le temps presse pour K-Dis qui, lui, a déjà scellé un partenariat avec le leader égyptien Eastern Company, producteur de plus de 100 milliards de cigarettes par an sous ses marques propres comme Cléopùtre, ou celles des multinationales, fabriquées sous licence.
«âCâest dire la notoriĂ©tĂ©, le savoir-faire technique et le niveau de qualitĂ© du produit de notre partenaireâ!â», fait remarquer Kamil Ouazzani, directeur gĂ©nĂ©ral de K-Dis qui prĂ©voit de commercialiser les cigarettes ClĂ©opĂątre, comparables aux Marquises, la marque phare dâAltadis.
Les marques mondiales favorisées
Mais la soliditĂ© du partenariat de K-Dis avec lâentreprise publique Ă©gyptienne nâa pas convaincu les autoritĂ©s. Suite Ă la demande dâautorisation dâimportation et de distribution en gros des tabacs, formulĂ©e par K-Dis, les 17 et 23 juin, la Direction des entreprises publiques et de la privatisation (DEPP) informe le candidat par retour de courrier datĂ© du 14 juillet que «âle ComitĂ© de normalisation des produits de tabac et Ă©quipements connexes instituĂ© auprĂšs du dĂ©partement de lâIndustrie a Ă©tĂ© saisi en vue dâexaminer la conformitĂ© de la qualitĂ© sanitaire des produits de tabac importĂ©s au regard des normes en la matiĂšreâ».
Une disposition pour le moins insolite dont la lĂ©galitĂ© nâa Ă©tĂ© confirmĂ©e ni par la DEPP ni par le ministĂšre de lâIndustrie. Dâune part, JTI comme BAT, qui importent la totalitĂ© de leurs produits, nâont pas Ă©tĂ© soumis Ă cette procĂ©dure.
La raison avancĂ©e par lâadministration est que les produits des deux multinationales sont des marques mondiales qui Ă©taient dĂ©jĂ distribuĂ©es par la RĂ©gie des Tabacs, devenue depuis Altadis Maroc. Mais est-ce suffisant comme argumentâ?
Comment le lĂ©gislateur peut-il se fier uniquement Ă la notoriĂ©tĂ© des marques Ă©coulĂ©es par les deux mastodontes et appliquer une politique de deux poids, deux mesuresâ? Dâautre part, la loi 46/02, relative au rĂ©gime des tabacs, et en particulier lâarticle 15 portant sur la distribution en gros des tabacs manufacturĂ©s, nâimpose Ă aucun moment, lâoctroi du quitus Ă lâimportateur par un ComitĂ© de normalisation.
Pas plus quâelle ne fait rĂ©fĂ©rence Ă des normes sanitaires auxquelles doivent se conformer les produits distribuĂ©s sur le territoire national. Toutefois, le Service de normalisation industrielle marocaine (Snima) relevant du ministĂšre du Commerce et de lâIndustrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies confirme lâexistence dâun comitĂ© technique en charge de lâĂ©laboration des normes pour le tabac, produits de tabac et Ă©quipements connexes.
Ces normes font lâobjet du chapitre 8.8 du catalogue des normes marocaines. «âMais pour vĂ©rifier la conformitĂ© de la qualitĂ© sanitaire de nos produits au regard de ces normes, il faut prĂ©senter des Ă©chantillons au ComitĂ© de normalisation. Or, la mĂȘme loi nous interdit strictement dâimporter des Ă©chantillons tant que nous ne bĂ©nĂ©ficions pas de lâautorisation de commercialisationâ!â», sâindigne Ouazzani. Bienvenue chez Kafkaâ!
Selon la Direction de la normalisation relevant du ministĂšre de lâIndustrie, ce ComitĂ© a bel et bien Ă©tĂ© crĂ©Ă© Ă la veille de la libĂ©ralisation du secteur des tabacs, mais sa mission se limite Ă Ă©laborer des normes de qualitĂ© et non Ă vĂ©rifier la conformitĂ© de la qualitĂ© sanitaire des produits importĂ©s.
En attendant dây voir plus clair dans ce cafouillage administratif, K-Dis a dĂ©jĂ investi 25 millions de dirhams, acquis des entrepĂŽts ainsi quâune flotte de 50 camions, et recrutĂ© une vingtaine de salariĂ©s. Dans la foulĂ©e, le groupe prĂ©voyait de porter son investissement Ă 50 millions de dirhams et de sceller des contrats avec 820 dĂ©bitants, Ă raison de 10 par province ou prĂ©fecture, comme lâimpose la loi.
Mais Ă lâallure oĂč vont les choses, K- Dis comme Comet, devront faire preuve de persĂ©vĂ©rance, au moins jusquâĂ lâautomne prochain. En attendant lâentrĂ©e en scĂšne du Conseil de la concurrence qui devrait ĂȘtre saisi par la CGEM ou par le ministĂšre des Affaires Ă©conomiques et gĂ©nĂ©rales. Sauf quâĂ la veille des Ă©lections, il ne faut pas sâattendre Ă un miracleâŠ
Mouna Kably |