Lâappel dâoffres international lancĂ© par le conseil de la ville pour rĂ©aliser les Ă©tudes techniques de la tranche 2 de la corniche est passĂ© inaperçu. A la grande surprise du conseil de lâordre des architectes et des Ă©lus locaux, les rĂ©fĂ©rences, le support et la date de publication de lâappel dâoffres sont top secret.
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L es Casablancais nâont pas fini de compter les boules en inox qui inondent les trottoirs de la corniche. Quant aux adeptes de la marche en bord de mer, ils devront prendre leur mal en patience aussitĂŽt la saison estivale terminĂ©e.
Deux ans aprĂšs le relifting de la portion de la corniche qui surplombe les piscines, la ville enchaĂźne avec les travaux de la deuxiĂšme tranche. Celle-ci sâinscrit dans le prolongement de la premiĂšre, jusquâau futur Morocco Mall.
Dâune longueur similaire de 3,5 kilomĂštres, la deuxiĂšme tranche devrait connaĂźtre la mĂȘme durĂ©e de travaux, environ 18 mois, moyennant un budget hors taxes de 70 Ă 100 millions de dirhams.
Les Ă©tudes techniques, qui seront bouclĂ©es en octobre, ont Ă©tĂ© confiĂ©es, fin juin, au cabinet dâarchitectes de Rachid Haouch, celui-lĂ mĂȘme qui avait menĂ© les Ă©tudes puis les travaux de la premiĂšre tranche.
Il sera secondĂ© par un cabinet dâĂ©tudes portugais dont le nom nâa pas Ă©tĂ© dĂ©voilĂ©. Selon les sources proches du dossier, le marchĂ© «âEtudesâ» aurait Ă©tĂ© attribuĂ© Ă lâissue dâun mystĂ©rieux appel dâoffres international dont nul ne connaĂźt les rĂ©fĂ©rences.
MĂȘme sâil ne sâagit que de la phase dâĂ©tudes techniques, des voix commencent Ă sâĂ©lever contre la confidentialitĂ© de la dĂ©marche. En effet, aucun architecte interrogĂ©, ni le conseil de lâordre de la profession, pas plus que les membres du conseil de la ville nâont eu connaissance de cet appel dâoffres ou mĂȘme de lâattribution du marchĂ©.
«âInutile de chercher Ă recueillir des tĂ©moignages auprĂšs des conseillers ou des vice-prĂ©sidents du conseil de la ville, nul nâest au courant de la passation des marchĂ©s. Ces derniers sont exclusivement gĂ©rĂ©s par le maireâ», dĂ©nonce un membre du conseil sous couvert dâanonymat.
Il faut reconnaĂźtre que le dĂ©cret de 2007 qui rĂ©glemente les marchĂ©s publics, pĂšche par une dĂ©faillance que certains nâhĂ©sitent pas Ă exploiter. Ce dĂ©cret impose le recours systĂ©matique Ă lâappel dâoffres pour lâexĂ©cution de tout marchĂ© public dâune valeur supĂ©rieure Ă 5 millions de dirhams, mais il passe sous silence la phase «âEtudes techniquesâ».
Les architectes continuent, encore à ce jour, de se battre pour réglementer cette étape et proposer des réaménagements du décret afin de garantir plus de transparence.
En attendant, la dĂ©marche pour le moins opaque de la ville, interpelle bon nombre de dĂ©tracteurs de Mohamed Sajid, qui nâhĂ©sitent pas Ă dĂ©noncer le recours biaisĂ© de lâappel dâoffres. De plus, lâattribution du marchĂ© au mĂȘme architecte, Rachid Haouch, fait grincer les dents.
«âDes projets aussi emblĂ©matiques pour la ville de Casablanca, nĂ©cessitent un concours dâidĂ©es et la sĂ©lection dâun groupement dâarchitectes constituĂ© de cabinets reconnus et de jeunes architectes en dĂ©but de carriĂšre.
Câest le seul moyen dâenrichir la rĂ©flexion, dâĂ©changer les expĂ©riences tout en sâentourant dâun maximum de prĂ©cautionsâ», affirme un architecte urbaniste excĂ©dĂ© par lâexclusion systĂ©matique de la majoritĂ© de ses confrĂšres.
Choix des matériaux critiqué
Pour lâheure, il semble que les dĂ©s soient jetĂ©s⊠à moins dâun revirement de derniĂšre minute. «âLa deuxiĂšme tranche aura le mĂȘme cachet que la prĂ©cĂ©dente car il faut que lâensemble de la corniche ait la mĂȘme signatureâ», affirme sans dĂ©tour lâarchitecte favori du maire, Rachid Haouch.
En clair, les Casablancais auront droit Ă une large esplanade tout en marbre de Carrare, parsemĂ©e du mĂȘme mobilier urbain, des fameuses boules en inox et des palmiers. Il est Ă©galement prĂ©vu dâĂ©clairer la mer et de mettre en valeur le marabout de Sidi Abderrahmane en le dĂ©barrassant de son bidonville.
«âLes dunes et les vĂ©gĂ©taux seront protĂ©gĂ©s mais, pour permettre aux promeneurs de frĂ©quenter cet endroit la nuit, il faut lutter contre le trou noir. Pour cela, on peut prĂ©voir un Ă©clairage solaireâ», assure Haouch.
Si le concept dâesplanade piĂ©tonne est jugĂ© judicieux par la majoritĂ© de ses confrĂšres, le choix des matĂ©riaux suscite, en revanche, de violentes critiques. «âComment peut-on choisir du marbre blanc de Carrare, si cher et si salissant, pour des lieux de passage populairesâ?
Ce matĂ©riau est Ă peine recommandĂ© pour les salles de bain et les rĂ©ceptions de villa, et surtout pas pour les cuisines car il absorbe les graissesâ!â», sâindigne un architecte urbaniste. «âNon seulement, ce marbre est frileux et change de couleur, mais il est attaquĂ© par le selâ!â», renchĂ©rit un autre confrĂšre.
De plus, le coĂ»t dâimportation et de la pose du marbre de Carrare brut est estimĂ© Ă 400 dirhams le mĂštre carrĂ©, auquel il faut ajouter les frais de polissage. «âAu lieu du marbre, on aurait pu opter pour une pierre locale plus rĂ©sistante et moins chĂšre, ou pour du pavĂ© en ciment lavĂ©, fabriquĂ© localement et esthĂ©tique, Ă seulement 90 dirhams/m2â!â»
Quant aux cĂ©lĂšbres boules en inox, elles constituent, selon leur concepteur, la «âsignatureâ» de la corniche puisquâelles marquent les esprits et suscitent tant de commentaires.
Remplies de bĂ©ton armĂ© et fixĂ©es pour protĂ©ger les trottoirs, ces boules ont Ă©tĂ© installĂ©es moyennant un coĂ»t unitaire de 2â300 dirhams, selon des entreprises du secteur. Ce qui contredit les propos de Haouch qui a avancĂ© Ă actuel un prix de revient infĂ©rieur Ă 600 dirhams...
Hormis leur coĂ»t prohibitif, ces boules rĂ©sistent trĂšs mal Ă cet environnement corrosif et sâoxydent dâautant plus rapidement quâelles sont recouvertes dâinox de second choix.
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Et lâĂ©cologie ?
Quâen est-il des palmiers qui jalonnent toute lâesplanadeâ? Si les dĂ©tracteurs invoquent que le palmier du Sud nâest pas lâarbre de Casablanca, Haouch soutient, lui, que câest le seul arbre qui sâadapte au climat maritime, «âsurtout que nous avons une overdose de ficusâ!â».
A prĂ©ciser que ces palmiers proviennent dâune pĂ©piniĂšre du Sud et quâils sont les derniers de cette taille Ă ĂȘtre disponibles localement, avec une moyenne dâĂąge de vingt ans. Le coĂ»t unitaire de ces arbres varie entre 10 et 15â000 dirhams.
Idem pour lâĂ©clairage composĂ© de grands et petits mĂąts, respectivement de 10m et 3,5m de hauteur. «âOn aurait pu privilĂ©gier lâĂ©clairage solaire puisque le Maroc se positionne en leader dans ce domaineâ!â», lance un urbaniste Ă la fibre Ă©cologique.
De plus, lâinstallation de capteurs autonomes aurait permis de faire lâĂ©conomie des travaux de gĂ©nie civil encore inachevĂ©s Ă ce jour. Si lâamĂ©nagement global tient la route, le choix des matĂ©riaux est, lui, largement contestĂ©, et lâabsence de parking sous le passage piĂ©ton vivement dĂ©noncĂ©e.
RĂ©ussira-t-on Ă rectifier ââĂ tempsââ le tir avant le lancement effectif des travaux de la seconde trancheâ? Pour cela, il faudrait que les architectes, bureaux dâĂ©tudes, associations et Ă©lus locaux sâorganisent pour monter au crĂ©neau et faire entendre leur voix. Pour lâheure, câest loin dâĂȘtre le cas.
Mouna Kably |