Dans quelle mesure Lydec a-t-elle rempli sa mission de transfert de savoir-faireâ? La relĂšve sera-t-elle assurĂ©e par les cadres locaux, si la ville dĂ©cide de rompre le contrat Ă mi-parcours, câest-Ă -dire en 2012â? ElĂ©ments de rĂ©ponse.
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En juillet 2012, Lydec, premier concessionnaire dĂ©lĂ©guĂ© dâun service public au Maroc (distribution dâeau et Ă©lectricitĂ© et assainissement, lâĂ©clairage public nâintervenant que plus tard), bouclera 15 ans de prĂ©sence.
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Une date Ă marquer dâune pierre blanche. A mi-parcours du contrat qui arrive Ă son terme en 2027, la ville de Casablanca a, si elle le souhaite, la possibilitĂ© de reprendre son service public (en rachetant la pĂ©riode restante), et surtout si elle estime quâune relĂšve est prĂȘte pour assurer la continuitĂ© du service.
En tout cas, câest ce que prĂ©voit le contrat de concession conclu en 1997 entre la collectivitĂ© et la filiale du groupe Suez. «âCar sĂ»rement, comme le souligne un ancien cadre de Lydec aujourdâhui installĂ© Ă son propre compte, dans lâesprit des rĂ©dacteurs du contrat, Ă cette Ă©chĂ©ance, une expertise locale aurait eu le temps dâĂȘtre dĂ©veloppĂ©e pour assurer la relĂšve et la continuitĂ© du service.â»
DâoĂč la question qui se pose aujourdâhui avec acuitĂ©â: si une telle dĂ©cision venait Ă ĂȘtre prise, est-ce que la ville dispose de cette expertiseâ? Dans quelle mesure, Lydec a-t-elle rempli sa mission en matiĂšre de transfert de savoir-faire et de formation des compĂ©tences locales, une des bases qui sous-tendent le contrat de concessionâ?
A en croire dâanciens cadres de la filiale du groupe Suez, le tableau est peu reluisant sur ce registre et sans doute, au-delĂ mĂȘme de 2027, Lydec (ou un autre dĂ©lĂ©gataire) serait incontournable pour assurer la continuitĂ© de ce service public.
Des employés poussés au départ
«âParmi tous les griefs Ă©mis Ă lâencontre de Lydec et relevĂ©s dans le dernier rapport de la Cour des comptes, le plus grave reste sa dĂ©faillance en matiĂšre de transfert de savoir-faire et de formation des cadresâ», estime, sous couvert dâanonymat, un ancien haut responsable du concessionnaire dĂ©lĂ©guĂ©.
Avis partagĂ©s par plusieurs Ă©lus siĂ©geant au Conseil de la villeâ: «âLe choix de dĂ©lĂ©guer ce service Ă©tait largement motivĂ© par la volontĂ© de bĂ©nĂ©ficier du transfert de savoir-faire. Mais, au vu de la politique menĂ©e par Lydec, mĂȘme au terme du contrat, en 2027, nous nâaurons rien gagnĂ© sur ce registreâ», dĂ©plore un Ă©lu du PJD.
En effet, selon lui, lâentreprise a, dĂšs le dĂ©part, optĂ© pour un «ârajeunissementâ» de ces Ă©quipes accompagnĂ© dâune modernisation de ses structures, traduit aussitĂŽt par un dĂ©graissage de celles-ci.
Une stratĂ©gie conduite en fanfare par lâancienne Ă©quipe dirigeante et poursuivie par lâactuel top management de Lydec. ConcrĂštement, cela sâest traduit par des vagues de «âdĂ©parts volontairesâ» des agents, puis par une hĂ©morragie de cadres jugĂ©s «ârĂ©sistants au changementâ». LâopĂ©ration de dĂ©graissage enclenchĂ©e dĂšs le dĂ©but sâest ensuite poursuivie et Ă©tendue pour toucher des cadres dont certains assuraient des fonctions stratĂ©giques au sein de lâentreprise.
«âLâhĂ©morragie des cadres sâest alors exacerbĂ©e entre 2005 et 2010 et les licenciements nĂ©gociĂ©s Ă©taient maquillĂ©s en dĂ©parts volontaires, moyennant des sommes allĂ©chantesâ», reconnaĂźt cet ancien responsable de lâentreprise.
FatiguĂ©s par les conditions de travail jugĂ©es insupportables et discriminatoires, ces cadres finiront par jeter lâĂ©ponge. «âSouvent les missions confiĂ©es aux ingĂ©nieurs statutaires nâĂ©taient pas adaptĂ©es Ă leurs qualifications et aptitudes professionnelles.â»
Les missions stratĂ©giques sont confiĂ©es Ă des expatriĂ©s, ou sous-traitĂ©es dans le cadre de lâassistance technique. «âAlors que lâinformation commençait Ă circuler, les cadres marocains sont progressivement Ă©cartĂ©s. Lydec consent Ă payer cher ces dĂ©parts, certains ont coĂ»tĂ© plus de 5 millions de dirhamsâ!â» reconnaĂźt un ingĂ©nieur qui figurait dans la derniĂšre vague des cadres remerciĂ©s par le dĂ©lĂ©gataire.
«âLydec avait tout Ă gagner Ă se dĂ©barrasser de ces hauts cadres qui connaissaient les rouages de la gestion du service concĂ©dĂ©, et devenaient un lourd fardeau Ă gĂ©rerâ», renchĂ©rit un autre ancien responsable de lâentreprise.
Pourquoi le recours Ă lâextĂ©rieur ?
La direction gĂ©nĂ©rale nâa pas lĂ©sinĂ© sur les moyens pour se sĂ©parer de nombre de ses anciens cadres. Plus de 170 millions de dirhams auraient Ă©tĂ© dĂ©bloquĂ©s Ă cet effet, selon certaines estimations.
Aujourdâhui, la plupart de ces cadres se sont mis Ă leur propre compte et certains sont mĂȘme des prestataires de services auprĂšs de Lydec. Câest le cas de cet expert, ancien cadre de Lydec, dont le bureau dâĂ©tude sâest vu confier une mission technique de 15ââmillions de dirhams.
Mais, Ă en croire divers tĂ©moignages, ces marchĂ©s restent modestes comparĂ©s aux sommes versĂ©es aux experts français dans le cadre de lâassistance technique. Certains aspects ont dâailleurs Ă©tĂ© Ă©pinglĂ©s par les magistrats de la Cour des comptes dans le dernier rapport.
DâoĂč cette interrogation de certains cadresâ: «âPourquoi avoir recouru aux services coĂ»teux de lâassistance technique alors que des cadres locaux, des ingĂ©nieurs diplĂŽmĂ©s de grandes Ă©coles internationales et nationales, bĂ©nĂ©ficiaient de cette expertise et ne demandaient quâĂ la mettre au service de leur villeâ?â» Lydec a prĂ©fĂ©rĂ© les laisser partir et payer au prix fort les experts de Safege, un bureau de conseil français.
Au-delĂ de lâaspect financier, le recours Ă lâexpertise externe continue de nuire aux compĂ©tences toujours en fonction Ă Lydec, qui sont dĂ©sormais acculĂ©es Ă mener des missions ne relevant pas de leur cĆur de mĂ©tier.
«âLes missions Ă haute valeur ajoutĂ©e sont sous-traitĂ©es par des experts externes dans le cadre de lâassistance technique gĂ©nĂ©reusement rĂ©munĂ©rĂ©eâ», explique la mĂȘme source. Ainsi, par exemple, depuis la crĂ©ation de Lydec en 1997, tout ce qui touche aux schĂ©mas directeurs relĂšve de la responsabilitĂ© exclusive de Safege-C3E, bras armĂ© du groupe Suez environnement dans le domaine des Ă©tudes.
«âUne maniĂšre de permettre au concessionnaire de concocter, sur la base des Ă©tudes du bureau de conseil, filiale du groupe, des programmes dâinvestissement sur mesure et orientĂ©s selon ses objectifs et capacitĂ©s. Sans que personne ne trouve rien Ă redire. Et surtout pas la ville qui sâest toujours vu rĂ©pondre que la gestion du personnel de Lydec constituait une affaire interneâ»â!
Khadija El Hassani |