Associations, rĂ©seaux spontanĂ©s⊠De nouvelles formes dâorganisations revendicatives investissent le terrain. Elles semblent mĂȘme mobiliser plus dâadhĂ©rents que les syndicats traditionnels. Une nouvelle Ăšre de combat social collectif sâannonce.
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Les sit-in et marches de protestation se succĂšdent mais ne se ressemblent plus. Que ce soit devant le Parlement Ă Rabat ou devant le siĂšge dâune grande entreprise, les grĂ©vistes brandissent toujours des banderoles.
Mais elles sont de moins en moins estampillĂ©es des «âlogosâ» et slogans classiques des centrales syndicales traditionnelles. Il faut dire que ces derniers temps, plusieurs mouvements de contestation, que ce soit dans le privĂ© ou le public, sont dĂ©crĂ©tĂ©s et encadrĂ©s par des collectifs, des coordinations ou des associations.
Ces nouveaux relais reprennent et adoptent les causes défendues jusque-là par les syndicats, et en font désormais leur cheval de bataille. Ainsi, aprÚs les premiÚres actions contre la cherté de la vie et la dilapidation des deniers publics, menées tambour battant par différentes coordinations à travers le Royaume, des thÚmes propres aux milieux ouvriers et professionnels commencent à mobiliser davantage les masses.
LancĂ© timidement ici et lĂ au cours des cinq derniĂšres annĂ©es, ce mouvement a pris de lâampleur dans le sillage du «âprintemps arabeâ», avec la montĂ©e des tensions sociales au Maroc.
De nouvelles formes plus structurées et plus étoffées voient le jour et, les réseaux de communication sociale (facebook, twitter et autres) aidant, elles investissent le terrain, épousant les causes des différents secteurs.
«âDĂ©sabusĂ©s et lassĂ©s des promesses rarement tenues des syndicats, les ouvriers et employĂ©s tentent de nouveaux canaux de pression, Ă la recherche de plus dâefficacitĂ©â», explique Me Abdelmounim RifaĂŻ. Dâautant que le syndicalisme au Maroc, qui a connu son apogĂ©e dans les annĂ©es 80 et 90, traverse aujourdâhui une crise sans prĂ©cĂ©dent, comme en tĂ©moigne la chute constante du taux de syndicalisation qui ne dĂ©passe pas les 10%, Ă en croire Ali Lotfi, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâODT.
ParallĂšlement, le chĂŽmage ne cesse de sâaggraver tout comme la prĂ©caritĂ© de lâemploi. «âEn proie Ă des luttes intestines, les syndicats ne sont plus Ă la hauteur des enjeux actuelsâ», dĂ©plore un ancien membre dâun syndicat traditionnel, en rĂ©fĂ©rence aux derniĂšres scissions et dĂ©missions en sĂ©rie qui ont fragilisĂ© certains syndicats.
De lâavis gĂ©nĂ©ral, les centrales syndicales renvoient aujourdâhui une image brouillĂ©e, gangrĂ©nĂ©e par des clans, le clientĂ©lisme et lâabus de biens et de pouvoir. A cela sâajoutent les divergences de points de vue, la centralisation des dĂ©cisions, la crise de leadership et lâopacitĂ© de la gestion financiĂšre. RĂ©sultatâ: le pouvoir comme la crĂ©dibilitĂ© des syndicats ne cesse de sâĂ©roder.
Des syndicats à la déroute
«âForts de leur capacitĂ© de mobilisation, les syndicats pesaient de tout leur poids dans la prise de dĂ©cision des pouvoirs publics. Aujourdâhui, la question de leur efficacitĂ© et de leur utilitĂ© au terme de chaque dialogue social est sĂ©rieusement posĂ©eâ», fait remarquer le politologue Mohamed Darif.
Dans le mĂȘme sillage, Ali Lotfi renvoie au bilan syndical mĂ©diocre de ces cinq derniĂšres annĂ©es, comme le prouve la faible Ă©volution des taux des affiliĂ©s Ă la CNSS ou celui des bĂ©nĂ©ficiaires de lâassurance sociale et du systĂšme de retraite.
MĂȘme son de cloche du cĂŽtĂ© de salariĂ©s syndiquĂ©s qui fustigent les maigres rĂ©sultats du dernier dialogue social, une autre occasion ratĂ©e puisque le contexte Ă©tait plutĂŽt favorable. Il aurait permis Ă des syndicats forts de dĂ©fendre au mieux tous les cahiers revendicatifs ainsi que les intĂ©rĂȘts des classes les plus lĂ©sĂ©es.
«âQue signifie une augmentation de 600 dirhams pour quelquâun dont le salaire nâa pas bougĂ© depuis prĂšs de vingt ansâ?â» tonne Abdellatif Batha, enseignant et membre de la coordination nationale des enseignants (Ă©chelle 9), active depuis quelques mois et qui regroupe en son sein plus de 20â000 membres.
«âDepuis 18 ans, jâexerce en tant quâenseignant, Ă lâĂ©chelle 9, en attente dâune promotion qui tarde Ă venirâ», renchĂ©rit Yassir Touach, membre de la mĂȘme coordination. Aujourdâhui, ce dernier et des milliers dâautres enseignants dans la mĂȘme situation ont prĂ©fĂ©rĂ© prendre leur destin en main, et se regrouper au sein de cette coordination pour mieux dĂ©fendre leur cause.
«âDepuis des annĂ©es, les syndicats nâont pas revu leurs mĂ©thodes. Au lieu de focaliser sur les plus dĂ©favorisĂ©s, ils prĂ©fĂšrent sâen tenir aux gĂ©nĂ©ralitĂ©s en nĂ©gociant des packages et se fĂ©licitent dĂšs que le gouvernement leur concĂšde des miettesâ», dĂ©plore Touach.
Abondant dans le mĂȘme sens, Mustapha JĂąa, infirmier et membre de la coordination nationale de ce corps de mĂ©tier, estime que les syndicats auraient dĂ» remettre en question leurs mĂ©thodes en sâadaptant aux mutations de la sociĂ©tĂ© et au nouveau contexte dans lequel Ă©voluent les salariĂ©s des secteurs public et privĂ©.
«âLeur nĂ©gociations doivent intĂ©grer les revendications diffĂ©renciĂ©es des secteurs dâactivitĂ© et catĂ©gories professionnellesâ», prĂ©conise-t-il. Actifs depuis janvier dernier au sein dâune coordination nationale, les infirmiers, qui estiment ĂȘtre au premier rang du personnel exposĂ© aux risques hospitaliers, revendiquent une prime de risque alignĂ©eâââau moinsâââsur celle des mĂ©decins (entre 2â800 et 5â000 DH, selon le grade), contre 1â000 DH qui leur sont allouĂ©s actuellement.
Ces professionnels de la santĂ© rĂ©clament aussi une loi dâexercice et une commission nationale des infirmiers, deux revendications prioritaires pour mieux organiser leur mĂ©tier. Rappelons que le mĂ©tier dâinfirmier est toujours rĂ©gi par un Dahir de 1960.
Il faut résister à la pression
«âLâinfirmier se retrouve souvent Ă exercer sans couverture juridique. Ainsi, par exemple, les points de suture, qui sont normalement du ressort du mĂ©decin chirurgien, dans les faits, sont pratiquĂ©s par les infirmiers.
Mais, en cas de problĂšme, ce dernier nâest pas couvertâ», martĂšle Mustapha JaĂą. Face Ă de telles incohĂ©rences, ces salariĂ©s, «âoubliĂ©s des packages syndicauxâ», se sont rĂ©signĂ©s Ă investir le terrain pour «âĂȘtre plus visiblesâ» et se faire entendre par les autoritĂ©s publiques.
Comble de lâironie, certains syndicats nâont pas hĂ©sitĂ© Ă rejoindre les rangs de ces mouvements collectifs. Reste Ă savoir quelles sont les perspectives dâavenir pour ces nouveaux mouvements contestataires marocains. Sauront-ils constituer une alternative face Ă lâĂ©rosion du pouvoir des centrales syndicalesâ? Pour lâheure, leur dĂ©fi consiste Ă ne pas succomber Ă la pression des autoritĂ©s.
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