Logiciels, petit Ă©lectromĂ©nager, produits high-tech, jouets⊠Aucun secteur nâest Ă©pargnĂ© par le piratage ou la contrefaçon. Zoom sur un flĂ©au ravageur qui soustrait 20 milliards de dirhams Ă lâĂ©conomie nationale.
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Du dernier Harry Potter aux Oscars 2011, en passant par les premiers succĂšs de Georges Clooney, grĂące Ă la cĂ©lĂšbre place de Derb Ghallef et aux multiples revendeurs installĂ©s aux quatre coins du pays, les mordus des productions hollywoodiennes ont lâembarras du choix. Entre 7 et 12 dirhams, ils peuvent se procurer, sans Ă©tat dâĂąme, les derniĂšres nouveautĂ©s cinĂ©matographiques.
«ââEn lâespace de trois annĂ©es, je me suis constituĂ©e une collection enviable de plus de 500 films acquis essentiellement Ă Derb Ghallef et un peu partout sur les marchĂ©s Ă ciel ouvert de la mĂ©tropole, Ă des prix dĂ©fiant toute concurrenceâ», raconte, non sans fiertĂ©, cette jeune mĂšre de famille.
Un commerce fructueux, mais illicite, de films et albums piratés, est en pleine expansion, au grand bonheur des consommateurs et petits vendeurs. Et ce, au vu et au su des pouvoirs publics, et au grand dam des opérateurs des secteurs touchés de plein fouet par le piratage.
«âLâEtat fait un mauvais calculâ: pour avoir la paix sociale, il ferme les yeux sur ce trafic pratiquĂ© par de petits vendeurs. Il oublie que ce flĂ©au casse la chaĂźne de production et dĂ©truit des emploisâ», fustige Nabil Ayouch, prĂ©sident de lâAssociation marocaine de lutte contre le piratage (AMLP).
Paralysie dâun secteur
Cependant, de lâavis mĂȘme des reprĂ©sentants de cette association, pour prohibĂ© quâil soit, ce commerce ne reprĂ©sente que la partie visible de lâiceberg. Lâorigine du mal est Ă chercher plutĂŽt du cĂŽtĂ© des grands importateurs des supports vierges (VCD et DVD) qui empochent le jackpot en inondant le marchĂ©.
«âCe sont eux qui fournissent, Ă prix cassĂ©s, le matĂ©riel nĂ©cessaire et facilite ainsi lâacte de piratage et de contrefaçonâ», souligne le directeur commercial dâune sociĂ©tĂ© dâenregistrement qui tente, bon an mal an, de survivre.
«âCinquante millions dâunitĂ©s de supports vierges sont importĂ©es annuellement de la Chine, entre 0,20 et 0,30âdirham lâunitĂ©â», indique le prĂ©sident de lâAMLP. Selon lui, seule une infime partie intĂšgre le circuit formel, la majoritĂ© de ces supports vierges Ă©tant destinĂ©e aux copies illĂ©gales dâĆuvres artistiques locales et internationales.
ConsĂ©quence directeâ: la paralysie de tout un pan du secteur audiovisuel, de la crĂ©ation Ă la diffusion. «âLa situation est dramatique. Le taux de piratage dans le secteur atteint 93% en 2010, et a augmentĂ© de 55% en dix ansâ», dĂ©plore Nabil Ayouch. En corollaire, les entrĂ©es de salles de cinĂ©ma sont en chute libre de 93%, en lâespace de deux dĂ©cennies. De ce fait, les salles ont vu leur nombre rĂ©duit de 250 en 1980, Ă moins dâune cinquantaine en 2011.
Idem pour les studios dâenregistrement de musiqueâ; sur 51 structures en 2005, seule une poignĂ©e arrive encore Ă rĂ©sister au raz de marĂ©e du piratage. «âCâest dĂ©sespĂ©rant. Depuis vingt ans, les pouvoirs publics promettent dâĂ©radiquer ce flĂ©au, mais la situation ne fait quâempirerâ», se dĂ©sole un opĂ©rateur.
Se tourner vers le juridique
Il suffirait pourtant de veiller Ă la mise en Ćuvre de lâarsenal juridique existant qui, Ă en croire les opĂ©rateurs, nâa rien Ă envier Ă celui en vigueur dans les pays dĂ©veloppĂ©s. Face Ă la prolifĂ©ration du piratage, le Maroc a, dans le sillage de la communautĂ© internationale, renforcĂ© son dispositif juridique sur les droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle et industrielle conformĂ©ment aux dispositions de lâAccord commercial anti-contrefaçon (ACTA).
La loi 17/97 relative Ă la propriĂ©tĂ© industrielle prĂ©voit ainsi des sanctions civiles comme la confiscation des objets contrefaits et du matĂ©riel ayant servi Ă la rĂ©alisation de la contrefaçon, et lâindemnisation du titulaire de droit du prĂ©judice subi. En guise de sanctions pĂ©nales, le texte prĂ©voit le paiement dâamendes, voire mĂȘme des peines dâemprisonnement pouvant aller de 1 Ă 6 mois avec, en cas de rĂ©cidive, un doublement des peines.
« Limiter les importations »
De mĂȘme, la loi renforce le rĂŽle des services de douane en matiĂšre de refoulement de produits contrefaits. Si les opĂ©rateurs reconnaissent la soliditĂ© du dispositif juridique, ils estiment que sa mise en application est insuffisante.
Pour plus dâefficacitĂ©, ils proposent de renforcer les procĂ©dures de contrĂŽle et de traçabilitĂ© des importations. Ainsi, lâAMLP remet sur le tapis sa proposition formulĂ©e trois ans plus tĂŽt, portant sur la surtaxation des supports vierges importĂ©s.
Il sâagit de limiter les importations de ces articles en les soumettant Ă une surtaxe dont le produit servirait Ă alimenter un fonds de lutte contre le piratage. En attendant que la volontĂ© politique se raffermisse, les coups de filet et les saisies dâarticles piratĂ©s, opĂ©rĂ©s ici et lĂ , sont jugĂ©s insuffisants aux yeux des opĂ©rateurs des secteurs les plus touchĂ©s.
Autre solution prĂ©conisĂ©e : sâinspirer des stratĂ©gies mises en place ailleurs et qui ont fait leur preuve, comme lâadaptation des prix au pouvoir dâachat local et la recherche dâalternatives pour les petits revendeurs.
«âLa mĂ©thode rĂ©pressive et les sanctions ne peuvent produire, Ă elles seules, des rĂ©sultats durables. Il faut prendre en compte la condition des consommateurs et celle des petits producteursâ», estime Emmanuel DecasterlĂ©, expert international. Un aspect qui pourrait ĂȘtre intĂ©grĂ© dans le processus dâencouragement de lâindustrie locale.
Last but not least, il faudra sâattaquer au piratage individuel par Internet largement pratiquĂ© par les jeunes, via la sensibilisation et lâinformation. Les efforts promis devraient permettre de limiter, si ce nâest dâĂ©radiquer, le piratage tant au bĂ©nĂ©fice de la production marocaine quâĂ celui de la production Ă©trangĂšre. De toute maniĂšre, face Ă des mastodontes comme les pays asiatiques, le Maroc ne peut jouer indĂ©finiment la carte low cost.
Il nâa dâautre choix que de miser sur la valeur ajoutĂ©e. De plus, sâil veut dĂ©velopper la prĂ©sence de grandes enseignes comme la Fnac ou Virgin, il faudra bien se rĂ©soudre Ă assainir le marchĂ©. Le compte Ă rebours a commencĂ©.
Khadija El Hassani |