Sale temps pour les gestionnaires dĂ©lĂ©guĂ©s. Outre la contestation de la rue qui monte dâun cran, ils doivent faire face aux critiques virulentes du rapport de la Cour des comptes. Ce mode de gestion du service public semble atteindre ses limites.
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Accablantâ! Câest le moins que lâon puisse dire du rapport de la Cour des comptes qui vient de tomber, et dont une bonne partie passe au peigne fin les dysfonctionnements et insuffisances de la gestion dĂ©lĂ©guĂ©e.
Gabegie financiĂšre, Ă©carts dâinvestissements, distribution anticipĂ©e des dividendes, manque de planification stratĂ©gique⊠la liste des manquements relevĂ©s entre 2008 et 2009 ne sâarrĂȘte pas lĂ â!
Que ce soit en matiĂšre dâinvestissements, de gestion commerciale ou de gestion tout court du service public, aucun des trois concessionnaires dâassainissement liquide et de distribution dâeau et dâĂ©lectricitĂ© ââLydec (Casablanca), Redal (Rabat) et Amendis (Tanger)ââ ne peut se targuer dâavoir honorĂ© complĂštements ses engagements.
Pis, faisant fi des termes des conventions, ils ont procĂ©dĂ© systĂ©matiquement Ă la distribution anticipĂ©e des dividendes. Câest le cas en particulier de Lydec dont la libĂ©ration tardive du capital conjuguĂ©e Ă la distribution anticipĂ©e des dividendes a eu pour consĂ©quence directe lâaffaiblissement de sa capacitĂ© de financement.
A cĂŽtĂ©, les magistrats ont Ă©pinglĂ© un recours jugĂ© abusif des trois concessionnaires Ă lâassistance technique de leurs maisons mĂšres. Ce qui se traduit par des frais «ânon prĂ©vus par les contrats de gestion dĂ©lĂ©guĂ©e, et non appuyĂ©s de piĂšces justificatives et dont lâeffectivitĂ© et lâutilitĂ© ne sont pas dĂ©montrĂ©esâ».
Soit un «âtransfert dĂ©guisĂ© de dividendes vers la sociĂ©tĂ© mĂšreâ». Mais, fait notable, ses remarques rejoignent en grande partie les critiques de la rue. Normal, «âon commence Ă mieux cerner ce mode de gestion et Ă en mesurer les avantages et inconvĂ©nientsâ», estime Mehdi Lahlou, prĂ©sident dâAcme-Maroc (Association pour le Contrat mondial de lâeau).
Selon lui, la balance pencherait plutĂŽt du cĂŽtĂ© des inconvĂ©nientsâ: tarifs jugĂ©s excessifs, prestations en-deçà des attentes, engagements non tenus en matiĂšre dâinvestissements...
«âLes promesses faites lors du dĂ©marrage des diffĂ©rentes concessions, notamment celles relatives Ă un service meilleur, Ă un prix moindre, sont loin dâĂȘtre concrĂ©tisĂ©es.
Ce qui explique la colĂšre gĂ©nĂ©ralisĂ©e des usagers un peu partout Ă travers le paysâ», poursuit-t-il. Enfin, le bras de fer entre autoritĂ© dĂ©lĂ©gante, sociĂ©tĂ© civile et diffĂ©rents concessionnaires, allant parfois jusquâĂ la rĂ©siliation du contrat, comme pour Stareo Ă Rabat, illustre, dâaprĂšs lui, parfaitement le succĂšs mitigĂ© de ce mode de gestion.
Concurrence déloyale
Plus modĂ©rĂ©, cet Ă©lu de Rabat reconnaĂźt que le contexte imposĂ© aux dĂ©lĂ©gataires ne leur laisse pas beaucoup de marge de manĆuvre. Et cela, notamment pour Stareo, qui vient de jeter lâĂ©ponge, deux ans Ă peine aprĂšs lâentrĂ©e en vigueur de son contrat.
Il explique que la filiale de Veolia Environnement a dĂ» faire face Ă une concurrence dĂ©loyaleâ: transport informel et prise en charge directe par les diffĂ©rentes administrations du transport des fonctionnaires.
Selon cet autre Ă©lu de Casablanca, la mĂ©tropole pourrait ĂȘtre exposĂ©e au mĂȘme risque. Pour lâheure, Mdina Bus, filiale du groupe RATP, a rĂ©ussi Ă Ă©viter le pire ââde justesseââ grĂące Ă lâentrĂ©e de la CDG et de FinanceCom dans son capital (un scĂ©nario qui pourrait aussi se reproduire pour Stareo).
Mais le danger nâest pas tout Ă fait Ă©cartĂ©. Selon des sources proches du dossier, la situation financiĂšre de Mdina Bus est toujours critique. «âSi le dĂ©lĂ©gataire rĂ©siste, malgrĂ© un contexte dĂ©favorable, câest uniquement parce quâon lui a fait miroiter la possibilitĂ© de lui confier lâexploitation du tramwayâ», confie, en off, cette mĂȘme source. Bien entendu, Ă lâissue dâun appel dâoffresâ!
A Tanger, le tableau nâest pas plus reluisant. La contestation de la politique tarifaire dâAmendis ââautre filiale de Veolia Environnementâ â latente depuis plus de deux ans, est montĂ©e dâun cran derniĂšrement.
«âLa facture de lâeau a quasiment doublĂ© Ă Tanger et TĂ©touan depuis que ce service a Ă©tĂ© concĂ©dĂ© Ă Amendisâ», dĂ©nonce Me AbdelmounaĂŻm RifaĂŻ, prĂ©sident de la coordination locale de lutte contre la vie chĂšre (CLCVC).
Cette derniĂšre, rĂ©clame la rĂ©siliation pure et simple du contrat dâAmendis. En attendant, les sit-in Ă Tanger et Ă TĂ©touan sâenchaĂźnent et menacent Ă chaque fois de dĂ©gĂ©nĂ©rer. Mais, Ă en croire plusieurs sources, lâon semble sâacheminer vers un consensus pour la rĂ©vision du contrat.
Des contrĂŽles indispensables
Mais la question des tarifs ââbien que polĂ©miqueââ ne constitue que lâun des points de la renĂ©gociation future. En effet, beaucoup estiment que la politique dâinvestissement devrait aussi ĂȘtre revue.
Selon le rapport de la Cour des comptes, environ 264 projets programmĂ©s pour 2002-2008, dâune valeur de 832 millions de dirhams, nâont pas Ă©tĂ© lancĂ©s. Le dĂ©lĂ©gataire, lui, estime quâil a honorĂ© ses engagements.
«âNous avons rĂ©alisĂ©, depuis 2002, 2,3 milliards dâinvestissement et terminĂ© la dĂ©pollution de la baie de Tanger, enjeu majeur de la gestion dĂ©lĂ©guĂ©eâ», prĂ©cise Abdenbi Attou, directeur dâAmendis. Reste que, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, la responsabilitĂ© est partagĂ©e puisque les autoritĂ©s locales font preuve de laxisme en matiĂšre de contrĂŽle et de suivi.
Ainsi avant de remettre en question le principe de la gestion dĂ©lĂ©guĂ©e, il faudrait prĂ©voir des structures de contrĂŽle et de suivi efficaces. Pour pouvoir tirer, juste Ă temps, la sonnette dâalarme.
Khadija El Hassani |