Six ministres, une dĂ©lĂ©gation de cinquante chefs dâentrepriseâ: le Maroc a plaidĂ© mercredi Ă Paris la qualitĂ© de son modĂšle Ă©conomique, et explicitĂ© les rĂ©formes en cours. Objectifâ: maintenir la confiance des milieux dâaffaires français, perturbĂ©s par «âle printemps arabeâ».
***
Warningâ! Les investissements directs Ă©trangers (IDE) sont en net recul depuis le dĂ©but de cette annĂ©e, aprĂšs avoir progressĂ© de quelque 29% sur lâensemble de lâannĂ©e 2010, Ă 32,5 milliards de dirhams. Double warningâ! Alors que ââselon le ministre Yassir Zenaguiââ lâactivitĂ© touristique aurait continuĂ© Ă enregistrer une progression de 17% en janvier et de 15% en fĂ©vrier, les opĂ©rateurs touristiques sâalarment aujourdâhui dâune dĂ©saffection profonde des EuropĂ©ens pour les destinations du Royaume. DâAgadir Ă Marrakech, les dĂ©sistements et annulations se succĂšdent au point dâinquiĂ©ter trĂšs fortement les professionnels.
Le Maroc sâapprĂȘterait-il Ă payer les effets induits par le «âprintemps des pays arabesâ», qui voient les investisseurs tentĂ©s par lâattentisme, et les touristes choisir des destinations Ă moindre risque, ou rĂ©putĂ©es tellesâ? Surtout, le Maroc ââdont la France est le premier partenaire Ă©conomiqueââ paierait-il aujourdâhui son absence sur le terrain de la communicationâ? Câest Ă lâĂ©vidence pour tenter de conjurer lâun et lâautre de ces vrais/faux arguments que le Maroc sâest prĂ©sentĂ© en toute transparence ce mercredi Ă Paris devant quelque 600 chefs dâentreprise et reprĂ©sentants des milieux dâaffaires français, Ă lâinvitation du Club de chefs dâentreprise France-Maroc, sous lâĂ©gide du Medef et de la CGEM, les deux organisations patronales.
Nizar Baraka, ministre dĂ©lĂ©guĂ© chargĂ© des Affaires Ă©conomiques et gĂ©nĂ©rales nâen disconvient pas. «âIl est clair, affirme-t-il, que nous avons un problĂšme de communication. Nous avons Ă gĂ©rer un dĂ©ficit de communication intĂ©rieur, mais aussi extĂ©rieur. Nous devons donc nous efforcer de faire passer un message de vĂ©ritĂ©. Il nây a pas dâexception marocaine. Il faut reconnaĂźtre que le Maroc est affectĂ© par la crise qui traverse les pays arabes. Mais nous devons aussi affirmer notre rĂ©activitĂ©, et surtout notre capacitĂ© dâanticipation.â»
Les investisseurs français nâignorent rien de la rĂ©alitĂ© du «âprintemps des pays arabesâ». La Tunisie, lâEgypte et surtout le Maroc sont des pays partenaires de longue date, et rien de ce qui sây passe ne laisse indiffĂ©rents des milieux dâaffaires qui recherchent la stabilitĂ© Ă©conomique et sociale pour fiabiliser leurs investissements Ă lâĂ©tranger.
Â
DĂ©termination et confiance
De ce point de vue, le Maroc a pu un temps faire figure dâexception, mais les manifestations du 20 fĂ©vrier et celles qui ont suiviââ dont certaines marquĂ©es par la violence de casseurs, ou celle des forces de sĂ©curitĂ©ââ ont pu inquiĂ©ter des partenaires qui, peu ou mal informĂ©s, ont assimilĂ© la situation du Maroc Ă celle de ses voisins en pleine phase (r)Ă©volutionnaire. Le colloque organisĂ© cette semaine Ă Paris sur le thĂšme «âRĂ©formes et croissanceâ: la dynamique du Marocâ» avait donc un but, et un seulâ: afficher toute la dĂ©termination et la confiance du pays dans sa capacitĂ© Ă dĂ©passer les Ă©vĂ©nements de ce printemps pour rĂ©affirmer, si besoin est, que le Maroc tient le cap. Et expliquer que les rĂ©formes annoncĂ©es par le roi, rĂ©gionalisation et profonde mutation du systĂšme politique et de gouvernance, inscrites dans une nouvelle Constitution, forment le meilleur rempart pour la sĂ©curisation des investissements Ă©trangers.
Pour autant, le Maroc qui a rencontrĂ© cette semaine ses partenaires français nâest pas un Maroc aux abois, encore moins en position dĂ©fensive. «âLâEurope, observait lâun des membres de la dĂ©lĂ©gation marocaine, va devoir se rĂ©inventerâ! Le modĂšle europĂ©en sâĂ©puise⊠Et nous, la rive sud de la MĂ©diterranĂ©e, nous sommes LA solutionâ!â» Sentiment partagĂ© par Moulay Hafid Elalamy, prĂ©sident directeur gĂ©nĂ©ral de Saham, pour qui «âles milieux dâaffaires français ont des exigences immĂ©diates. Ils ont besoin de partenaires fiables. Or, nous leur apportons la compĂ©titivitĂ©â!â»
Â
« Démocratie et économie de marché vont de pair »
Câest donc un Maroc sans complexe qui sâest prĂ©sentĂ© Ă son premier partenaire europĂ©en. Laurence Parisot nâen disconvient pas. «âExiste-t-il un pays qui sache aussi bien mixer, mĂȘler, tisser les apports de toutes les traditions, les civilisations, les cultures, sous tous les registres Ă©conomiques et politiques, tout en prĂ©servant son identitĂ© profonde ?â» sâest interrogĂ©e la prĂ©sidente du Medef, en accueillant ses pairs et la dĂ©lĂ©gation marocaine. Saluant le discours du 9 mars et la volontĂ© du roi en faveur de la transition dĂ©mocratique, Laurence Parisot a rappelĂ© que «âdĂ©mocratie et Ă©conomie de marchĂ© vont de pair. Plus nous approfondissons la dĂ©mocratie, plus nous nous donnons de chances dans le progrĂšs Ă©conomique, dans la croissance et dans la prospĂ©ritĂ©â». Pour autant, devant un parterre de ministres en charge de lâĂ©conomie, de lâindustrie, de lâagriculture, du tourisme, de lâĂ©nergie⊠la prĂ©sidente des chefs dâentreprise français nâa pas manquĂ© de rappeler que si la France restait «âconfiante dans votre potentielâ», pour cela «âil faut nous laisser la possibilitĂ© dâaller plus loin encoreâ».
Â
Concurrence déloyale
Plus loinâ? Câest, pour nos partenaires, «âĂ©liminer la concurrence dĂ©loyale de lâinformel, clarifier mieux encore les rĂšgles du jeu pour les rendre plus transparentes et plus Ă©quitables, allĂ©ger la charge bureaucratique, faciliter les conditions qui permettent Ă une entreprise de sâinstaller et de grandirâŠâ» Autant de freins qui constituent autant dâobstacles pour les plus enthousiastes des investisseurs Ă©trangers, mais qui, levĂ©s, «âpermettraient de dĂ©multiplier les effets bĂ©nĂ©fiques de nos partenariats et de notre travail conjointâ», affirme la prĂ©sidente du Medef.
Pour que ce «âtravail conjointâ» puisse vivre et se dĂ©velopper, les ministres Amina Benkhadra, Salaheddine Mezouar, Aziz Akhannouch, Ahmed RĂ©da Chami, Yassir Zenagui et Nizar Baraka se sont faits ââle temps dâune matinĂ©eââ les avocats dâun Maroc entreprenant, porteur dâune vision et dâune stratĂ©gie Ă lâhorizon 2020, bon Ă©lĂšve de lâĂ©conomie internationale (et reconnu comme tel par les deux grandes agences de notation Standard & Poorâs et Fitch Ratings, comme par le Fonds monĂ©taire international). Rappelant «âla rĂ©silience de lâĂ©conomie marocaineâ», le ministre de lâEconomie et des Finances comme ses collĂšgues de lâIndustrie ou de lâAgriculture ont Ă©voquĂ© la «âlibĂ©ralisation du champ Ă©conomiqueâ», la «ârĂ©habilitation de lâentrepriseâ», le «ârenforcement de lâintĂ©gration du Maroc au sein de lâUnion europĂ©enneâ», le «âpositionnement du Maroc comme plate-forme de conquĂȘte sur le continent africainâ», la «âprofonde mutation de lâagriculture avec le Plan Maroc Vertâ», la «âpolitique de soutien aux PMEâ», celle de «âcolocalisation industrielleâ» chĂšre Ă Ahmed RĂ©da Chami qui voit ainsi se placer au Maroc «âune partie de la chaĂźne de valeurâ»âŠ
La liste est longue des atouts du Royaume pour favoriser les investissements Ă©trangers. Mais, vu dâEurope, et plus prĂ©cisĂ©ment de France, les Ă©vĂ©nements que connaissent les pays de la grande rĂ©gion du Maghreb, et au-delĂ , ont marquĂ© les esprits. «âIl y a eu un Ă©lectrochoc dans lâimaginaire de nos amis françaisâ», reconnaĂźt lâun des ministres prĂ©sents Ă Paris. «âNous avons eu nous aussi nos manifestations, dont certaines se sont terminĂ©es en actes de vandalisme. Et certains de nos partenaires ont pu se direâ: le Maroc est donc comme les autresâ?â». Et les slogans qui ont accompagnĂ© les manifestations ne sont pas passĂ©s inaperçus de lâautre cĂŽtĂ© de la MĂ©diterranĂ©e.
Â
Le poids de la corruption
InterrogĂ© sur le rejet de la corruption par les manifestants, Salaheddine Mezouar a reconnu devant les milieux dâaffaires que celle-ci constituait «âlâun des Ă©lĂ©ments dâinsuffisance du management local, qui a poussĂ© le citoyen Ă sâĂ©loigner de la politiqueâ». Il y a, a poursuivi le ministre de lâEconomie et des Finances, «âune nĂ©cessitĂ© de rupture forte, pour avancer dans les ambitions qui sont les nĂŽtres. Mais câest une rĂ©alitĂ© qui ne change pas seulement avec les textes ââlĂ©gislation ou rĂšglementsââ il faut aller plus loin et plus vite dans lâorganisation de la lutte contre la corruption. Il faut que le citoyen sâimplique, Ă travers des associations. Il faut lutter contre lâimpunitĂ©, et que le citoyen soit tĂ©moin de cette lutteâ». Une position partagĂ©e par le ministre de lâIndustrie qui sâest fĂ©licitĂ© publiquement de voir emprisonnĂ©s plusieurs Ă©lus locaux dâEl Jadida, inculpĂ©s pour corruption. Et dâĂ©voquer les premiers rĂ©sultats du site Web «âstop corruptionâ!â» qui a recueilli plus de 500 plaintes dont plus dâune centaine ont Ă©tĂ© instruites.
Au-delĂ des relations bilatĂ©rales France-Maroc, qui ont pu ĂȘtre troublĂ©es en ce dĂ©but dâannĂ©e par les mouvements en cours dans les pays arabes, les deux partenaires se sont accordĂ©s sur la nĂ©cessaire relance de lâUnion pour la MĂ©diterranĂ©e (UPM). «âLes difficultĂ©s, les dĂ©fis sont multiples, a rappelĂ© Laurence Parisot. Et un tel projet ne peut mettre que beaucoup de temps Ă se rĂ©aliser. Câest pour cette raison quâil ne faut pas lĂącher. Il faut profiter de lâĂ©lan nouveau engagĂ© depuis quelques mois pour faire renaĂźtre cette ambition.â» «âLe Maroc a toujours Ă©tĂ© un militant de lâUPM, a rĂ©pondu en Ă©cho Nizar Baraka. De mĂȘme, nous militons activement pour lâintĂ©gration du Grand Maghreb. Le mouvement en cours doit faire sauter les derniers verrous et permettre Ă la jeunesse de prendre toute sa place dans cette dynamique.â» Une dĂ©marche partagĂ©e par Salaheddine Mezouar pour qui «âles conditions sont aujourdâhui propices pour accĂ©lĂ©rer le cours de lâHistoire. Les rĂ©alitĂ©s politiques et sociales vont imposer le Maghreb que nous appelons de nos vĆuxâ».
Henri Loizeau, Ă Paris |