Les entreprises françaises, nombreuses dans le Royaume, portent un regard contrastĂ© sur les Ă©vĂ©nements actuels et leur Ă©ventuel impact. Premier secteur affectĂ©â: le tourisme.
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Quelles peuvent ĂȘtre, pour les milieux dâaffaires français, les consĂ©quences du «âprintemps marocainâ»â? La question mĂ©rite dâĂȘtre posĂ©e.
Elle fera mĂȘme lâobjet dâun rendez-vous exceptionnel le 23 mars prochain Ă Paris, sous lâĂ©gide du Club dâaffaires France-Maroc, avec la participation exceptionnelle de six ministres devant un parterre de quelque 700 chefs dâentreprises, Ă lâinvitation du Medef.
La France, faut-il le rappeler, est notre premier partenaire. La quasi-totalitĂ© des entreprises du CAC 40, lâindice de la Bourse de Paris, est prĂ©sente sur place.
Une myriade de PME françaises a une activité dans le Royaume, sans compter les entrepreneurs français qui ont choisi le Maroc pour travailler et créer leur entreprise.
Les rĂ©servations sont Ă lâarrĂȘt
Premiers touchĂ©sâ: les opĂ©rateurs touristiques. La chute des rĂ©servations, de -20â% Ă -60â% selon les villes, est dâautant plus rude que les mois de janvier et fĂ©vrier ont Ă©tĂ© exceptionnels grĂące au report des voyageurs en partance pour la Tunisie ou lâĂgypte «âdĂ©routĂ©sâ» vers le Royaume chĂ©rifien.
RenĂ©-Marc Chikli, le prĂ©sident du CETO, le syndicat professionnel des tour-operateurs français, dĂ©plore lâamalgame que peuvent faire les clients entre les destinations dâune mĂȘme «ârĂ©gionâ» soulignant que «âmĂȘme la Turquie pĂątit des Ă©vĂ©nements de Tunisie ou dâĂgypte alors quâil ne sây passe rien. Dans ce pays, les rĂ©servations sont Ă lâarrĂȘtâ!â»
Les clients des packages all inclusive ne font pas la diffĂ©rence entre le Maroc ou la Tunisie dĂšs lors quâil sâagit de passer quelques jours au soleil. Comme pour tous les vacanciers, la tranquillitĂ© est le souci numĂ©ro un avec la mĂ©tĂ©o.
Autre segment trĂšs touchĂ©â: les dĂ©placements professionnels et lâincentive. «âIl y a clairement une attente pour les congrĂšs et les conventionsâ», souligne pour sa part Marc ThĂ©pot, vice prĂ©sident de Risma (Accor), car lĂ aussi «âles organisateurs font lâamalgameâ».
Quant Ă la clientĂšle individuelle, «âelle est encore lĂ mais on attend un impact sur les rĂ©servations de mai et juin en ce qui concerne Sofitel, soit 70â% de notre activitĂ©â». Peu liĂ© aux tour-operateurs et maĂźtrisant sa commercialisation en direct, Accor sâestime relativement Ă©pargnĂ© pour lâinstant.
Matthieu Evrard, directeur du dĂ©veloppement international de Louvre HĂŽtels, qui exploite les cinq Golden Tulip au Maroc (230 millions de dirhams de CA en 2010 au Maroc), «âconstate depuis mars une chute assez prĂ©occupante de sa frĂ©quentationâ» dâautant plus quâil «âignore combien de temps cela va durerâ».
Le positionnement «âtourisme dâaffairesâ» de Golden Tulip lâexpose plus que les autres au marasme actuel.
Impact sur les prospects seniors
Le secteur immobilier, dĂ©jĂ en proie Ă des ventes en baisse et des prix en stagnation, voire en recul, nâavait pas vraiment besoin dâune nouvelle avarie.
«âCâest clair quâil y a une inquiĂ©tude de la part des clients Ă©trangers, il ne faut pas le nierâ», souligne Jean-Robert Reznik, prĂ©sident de Samanah Management Tourisme, Ă la tĂȘte du resort golfique Samanah de Marrakech (60â% du CA rĂ©alisĂ© auprĂšs des Ă©trangers), «âalors mĂȘme que les ventes avaient bien repris en dĂ©but dâannĂ©eâ».
Comme pour le tourisme, la mĂ©connaissance du pays joue son rĂŽle. Bruno Derville, le prĂ©sident des Senioriales, reconnaĂźt que «âla situation a un impact sur les prospects seniors plus sensibles au climat Ă©conomique et psychologique que la moyenne, surtout sâil sâagit dâun achat immobilier Ă lâĂ©trangerâ».
Lâenjeu est particuliĂšrement important pour les Senioriales qui ont choisi Marrakech pour leur premiĂšre implantation Ă lâĂ©tranger. Le groupe lance la construction dâune centaine de logements «âadaptĂ©sâ» au sein dâun vaste resort initiĂ© par Pierre & Vacances Center Parcs dĂ©nommĂ© lâOasis de Noria.
ContactĂ©e par actuel, la direction de P&V ne souhaite dâailleurs pas sâexprimer sur son projet marrakchi Ă la lumiĂšre des Ă©vĂ©nements actuels.
Des industriels rassurés
Moins exposĂ©s, les industriels voient la situation avec un certain recul. Chez Alstom, la direction gĂ©nĂ©rale indique que lâentreprise nâest pas touchĂ©e (cf interview du PDG Thierry de Margerie) et quâelle ne compte pas changer ses plans.
Safran, prĂ©sent au Maroc avec Aircelle, Snecma et Labinal, soit environ 1â500 salariĂ©s, ne voit pas en quoi la situation au Maroc pourrait donner lieu Ă une quelconque communication.
Une prise de position quâon retrouve aussi chez CFAO, trĂšs prĂ©sent notamment Ă travers la distribution automobile et qui sâest mĂȘme renforcĂ© avec la prise de contrĂŽle de la distribution de Nissan dans le Royaume.
Selha, un Ă©quipementier aĂ©ronautique, voit au contraire dans le Maroc «âun pays stable, avec des manifestations pacifiques et oĂč la royautĂ© nâest pas remise en causeâ», selon Christian Chesneau, le directeur commercial.
Lâun des trois sites de production de lâentreprise bretonne se trouve Ă Sidi MaĂąrouf oĂč elle emploie 230 salariĂ©s. Quant aux clients, «âce sont eux qui demandent une installation en zone low cost, ce qui leur garantit des tarifs plus compĂ©titifs quâen Europeâ».
Preuve de la confiance dans le pays, Selha confirme un développement de ses activités au Maroc dans les mois à venir.
«âLe dĂ©veloppement Ă©conomique, social et politique, la rĂ©action rapide et posĂ©e du roi sont de nature Ă nous donner confiance dans lâavenirâ», souligne Jean-Robert Reznik. Lâhomme dâaffaires poursuit ses investissements Ă travers deux programmes Ă Bouznika Bay et Ă Tanger.
Chez Accor, on se montre plutĂŽt rassurant sur le long terme, le secteur ayant traversĂ© de nombreuses crises telles que le 11-Septembre ou lâĂ©pidĂ©mie de SRAS tout en maintenant une croissance globale sur la dĂ©cennie.
Toutefois, des interrogations demeurent. Comment va se passer la saison estivale pour le tourismeâ? «âSachant que le pic des rĂ©servations pour lâĂ©tĂ© se situe en avril et mai, il vaut mieux que le printemps se passe dans le calme, sinon les clients vont se tourner vers dâautres destinationsâ», explique Vanguelis Panayotis, directeur du dĂ©veloppement du cabinet de conseil parisien MKG, spĂ©cialisĂ© dans le tourisme.
Selon Mohamed El Ouahdoudi, organisateur de salons professionnels (SICCAM, Convention France MaghrebâŠ) et intermĂ©diaire pour des entreprises françaises voulant sâimplanter dans le Royaume, «âles sociĂ©tĂ©s reportent leur visite Ă lâautomne lorsquâelles y verront plus clairâ».
Pour lui, «âil sâagit dâune ralentissement du fait de prospects ne connaissant pas le Maroc et faisant lâamalgame avec la rĂ©gion MENA dans son ensemble.â» Louvre HĂŽtels «âreste vigilant mais nâentend pas remettre en cause son programme dâouverture de 20 hĂŽtels Ă©conomiques Campanile et PremiĂšre classe Ă lâhorizon 2016â».
Maintenir la promotion de la destination
Pour lutter contre cette situation, quelles mesures prendreâ? Pour RenĂ©-Marc Chikli, les tour-operateurs doivent mettre en avant les tĂ©moignages de clients qui passent leurs vacances au Maroc.
Jean-Robert Reznik souhaite que le pays relance une action du type «âAnnĂ©e du Marocâ» sur les diffĂ©rents marchĂ©s Ă©metteurs europĂ©ens, mais aussi auprĂšs des Russes ou des AmĂ©ricains, notamment les golfeurs. Selon lui, cela passe par une meilleure desserte aĂ©rienne directe du Maroc.
Louvre HĂŽtels estime de son cĂŽtĂ© quâil faut maintenir «âles efforts exceptionnels dĂ©jĂ rĂ©alisĂ©s en matiĂšre de promotion de la destinationâ». Preuve que le gouvernement prend la mesure de lâenjeu, Yassir Zenagui a fait une escale Ă Paris dĂ©but mars en revenant du Salon mondial du tourisme de Berlin, le temps de rencontrer les professionnels du tourisme.
Un avant-goĂ»t de la rĂ©union du 23 mars Ă Paris, avec six ministres pour invitĂ©s. Objectifâ? Rassurer les milieux Ă©conomiques français et prouver que le Maroc est plus que jamais le bon endroit pour investir.
Cyril Bonnel, Ă Paris |