Alors que lâĂ©tau se resserre sur le rĂ©gime libyen, les conjectures vont bon train sur les retombĂ©es du gel des avoirs de la famille Kadhafi, principal investisseur libyen au Maroc.
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Pas dâinquiĂ©tude. Officiels et opĂ©rateurs Ă©conomiques sont unanimes. Le gel des avoirs de la famille Kadhafi, par rĂ©solution onusienne, dans le sillage de la rĂ©volution en Libye, nâaura aucun impact sur les investissements au Maroc. Et pour cause, contrairement Ă ce que laisseraient croire quelques projets libyens parmi les plus visibles, comme les stations Oil Libya, Kenzi Tower Hotel Ă Casablanca ou encore Kenzi Menara Palace Ă Marrakech, les investissements de la Jamahiriya demeurent limitĂ©s au Maroc. «Hormis des investissements sporadiques et quelques partenariats privĂ©s maroco-libyens, le capital libyen nâest pas trĂšs prĂ©sent au Maroc», soutient-on Ă lâAgence marocaine de dĂ©veloppement des investissements (AMDI).
Jusquâen 2007, les investissements directs Ă©trangers (IDE) en provenance de la Libye Ă©taient minimes et plutĂŽt irrĂ©guliers. En tĂ©moignent les volumes qui ne dĂ©passeront pas les 20 millions de dirhams avant 2003. Ils passeront, ensuite, Ă 26 millions de dirhams, avant de tomber Ă 24 millions de dirhams en 2004.
Le mouvement se tarit alors jusquâen 2007, annĂ©e oĂč les flux vont subitement progresser de 51â% Ă 16,2 millions de dirhams. Mais câest lâannĂ©e 2008 qui restera dans les annales des relations Ă©conomiques maroco-libyennes avec un «rush» des capitaux libyens au Maroc. Le volume dâinvestissements enregistrĂ© alors est sans commune mesure avec les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, Ă 239 millions de dirhams.
«BĂ©nĂ©ficiant dâune impulsion politique, le climat des affaires entre Rabat et Tripoli sâest revigorĂ© avec lâarrivĂ©e en masse dâinvestisseurs libyens au Maroc. Ă leur tĂȘte, la Libyan Foreign Investment Company (Lafico), filiale du fonds souverain Libyan Investment Authority (LIA)», se rappelle un opĂ©rateur. Cependant, si une multitude dâaccords a Ă©tĂ© signĂ©e, seule une poignĂ©e de projets sera concrĂ©tisĂ©e. Ainsi, en est-il du mĂ©morandum dâentente entre Libya Africa Investment Portfolio et le groupe OCP qui portait sur la construction de trois usines de fabrication de produits dĂ©rivĂ©s des phosphates, pour un investissement global de 1 milliard de dollars (environ 7,5 milliards de dirhams). Le projet prĂ©sentĂ© Ă lâĂ©poque en grande pompe, nâest jamais sorti des cartons.
Idem pour lâautre gros investissement libyen portant sur la prospection pĂ©troliĂšre, lâapprovisionnement et la distribution des produits pĂ©troliers dans le sud du pays. PortĂ© par le groupe Tamoil, dĂ©tenu Ă 35â% par les Libyens et Ă 65â% par les AmĂ©ricains, il a permis la crĂ©ation de la sociĂ©tĂ© maroco-libyenne Tamoil Sakia. Cette joint-venture devait investir entre 100 et 150 millions de dollars dans ce projet. Mais ce projet ne verra jamais le jour.
Dix ans avant de voir le jour
Dâailleurs, mĂȘme le fameux Kenzi Tower Hotel, dans lequel le fonds Lafico a misĂ© 880 millions de dirhams, a dĂ» attendre une dizaine dâannĂ©es avant de voir le jour en 2009. Parmi les autres projets ayant abouti, le rachat par Oilibya de Mobil Maroc, filiale dâExxon Mobil. Ă noter cependant que Libya Oil Maroc qui gĂšre le rĂ©seau des stations Oilibya ne contrĂŽle que 8â% du marchĂ© national de la distribution du carburant.
Par ailleurs, le capital libyen est Ă©galement prĂ©sent dans lâhĂŽtellerie au travers de partenariats avec des opĂ©rateurs privĂ©s. Il sâagit notamment de Kenzi Menara Palace, qui a drainĂ© plus de 450 millions de dirhams Ă lâissue dâun partenariat avec le patron de la chaĂźne hĂŽteliĂšre, Kenzi, Abdellatif Kabbaj. Les Libyens ont Ă©galement dĂ©bloquĂ© 220 millions de dirhams pour acquĂ©rir et rĂ©nover lâhĂŽtel Solazur de Tanger.
Aujourdâhui, compte tenu de la tournure des Ă©vĂ©nements en Libye et suite Ă la dĂ©cision de lâONU de geler les avoirs de la famille Kadhafi, les pouvoirs publics doivent ĂȘtre soulagĂ©s de la faiblesse des capitaux libyens au Maroc. Dâautant que les investissements libyens se confondent largement avec les fonds propres de Kadhafi!
La stratĂ©gie libyenne dâinvestissements extĂ©rieurs repose, en effet, sur deux fonds souverains: Le Libyan Investment Corporation (LIC) et le Libya Africa Portfolio (LAP) pour lâinvestissement, tournĂ©s tous deux vers lâAfrique. Au Maroc, lâessentiel des capitaux libyens provient du LAP, via sa filiale LAFICO, tous deux frappĂ©s par la dĂ©cision de gel des avoirs. «Mais la prĂ©sence du capital marocain permettra dâattĂ©nuer lâimpact, en attendant que la situation se clarifie en Libye», tempĂšre Mohamed Benhamou, directeur du Centre marocain dâĂ©tudes stratĂ©giques. Avis partagĂ© par un analyste financier de la place qui estime que «sauf en cas de dĂ©cision stratĂ©gique requĂ©rant lâaval des partenaires marocain et libyen, les investissements dĂ©jĂ en place ne souffriront pas de la dĂ©cision de gel.
La partie marocaine assurera la gestion quotidienne, en attendant le dĂ©nouement de la situation en Libye.» Les autres investissements âbeaucoup plus raresâ portĂ©s par des opĂ©rateurs libyens privĂ©s, ne sont pas concernĂ©s. Il sâagit notamment de projets immobiliers Ă Rabat et Casablanca. Quoi quâil en soit, tant que le calme nâest pas revenu en Libye et que le gel des avoirs de la famille Kadhafi est en vigueur, le doute reste de mise.
Khadija El Hassani |
Lâargent de Kadhafi
La Libya Africa Portfolio (LAP) est le principal fonds souverain du pays. CrĂ©Ă© en 2006 par les Kadhafi, il pĂšserait entre 8 et 10 milliards de dollars. LAP est le bras armĂ© de lâinvestissement libyen, ou plutĂŽt de la famille Kadhafi, puisque ses membres contrĂŽlent et ordonnent les financements de projets sur le continent africain. Il est composĂ© essentiellement de la LAICO (Libya Africa Investment Company) et de la LAFICO (Libya Africa Financial Company) et plusieurs autres dĂ©rivĂ©s dont la LAAICO (Libya Arab Africa Investment Company). Câest par le biais de LAFICO que les Libyens ont investi au Maroc.
K.E.H. |
Echanges commerciaux, lâoffensive libyenne
Ă lâinstar des IDE, les Ă©changes commerciaux entre le Maroc et la Libye, tant Ă lâimportation quâĂ lâexportation, restent faibles et peu diversifiĂ©s. En 2009, ils sâĂ©taient Ă peine Ă©tablis Ă 722âmillions de dirhams contre 1,8âmilliard de dirhams en 2008. Une baisse qui semble se poursuivre en 2010 puisque sur les onze premiers mois, les Ă©changes ressortent Ă 618âmillions de dirhams, en recul de 4â% par rapport Ă 2009. Mais, fait remarquable, les importations lâemportent, et de loin sur les exportations marocaines vers la Jamahiriya. Ă fin novembre 2010, ces derniĂšres ont reculĂ© de 12â%, avec Ă peine 278âmillions de dirhams, alors que les importations ont progressĂ© de 38â%. Ainsi, notre balance commerciale est dĂ©ficitaire en faveur de la Libye qui devient de ce fait le 54e client du Maroc et son 55e fournisseur. Ă noter que les exportations vers la Libye portent essentiellement sur les produits alimentaires divers, les produits finis dâĂ©quipements industriels, les articles dâhabillement, les mĂ©dicaments, les produits de parfumerie, les fils et cĂąbles Ă©lectriques⊠Quant aux importations en provenance de ce pays, elles sont constituĂ©es dâengrais, de produits chimiques, de gaz et autres hydrocarbures.
K.E.H. |
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