Deux ans aprĂšs les inondations, les entreprises craignent toujours le pire. Les travaux publics ont commencĂ© avec du retard. Dans lâimmĂ©diat, ils privilĂ©gient des plans de protection au cas par cas.
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Eviter en 2010 de revivre les derniĂšres annĂ©es dâinondations qui ont coĂ»tĂ© cher Ă Tanger, câĂ©tait une promesse. Pour lâinstant, les industriels peuvent surtout remercier la clĂ©mence du ciel car du cĂŽtĂ© de lâHĂŽtel de ville, ils nâont toujours rien vu venir. Peu de relations, pas dâaction, la dĂ©mission rĂ©cente du maire ayant dĂ©finitivement enterrĂ© le problĂšme. «âMais nous nâen attendions rien de toute façonâ», reconnaĂźt Adil RaĂŻs. Le prĂ©sident de lâAssociation de la zone industrielle de Tanger (AZIT) nâest pas blasĂ© mais pragmatique. En 2009, ce sont les responsables rĂ©gionaux qui ont gĂ©rĂ© lâurgence, pas la mairie. Lâorganisation du plan ORSEC pour aider les sinistrĂ©s a Ă©tĂ© supervisĂ©e par le wali et le gouverneur de la prĂ©fecture. DĂ©but 2010, les industriels ne comptaient donc dĂ©jĂ plus sur les Ă©lus de Tanger. Dâautant que la situation a Ă©voluĂ©. A lâentrĂ©e de lâAZIT, deux murs de bĂ©ton sont en construction sur le petit canal qui jouxte la premiĂšre rangĂ©e dâusines. Il Ă©tait temps. Ici, tout le monde a encore Ă lâesprit les dĂ©gĂąts causĂ©s par les pluies diluviennes.
Tanger connaĂźt le pire
Hiver 2008, Tanger connaĂźt le pire. PrĂšs de deux centimĂštres dâeau tombent en moins de cinq heures. Plusieurs axes routiers sont coupĂ©s, la protection civile est dĂ©passĂ©e par les centaines dâĂ©vacuations dâurgence et les 130 usines de la zone industrielle de Mghogha sont submergĂ©es.
Fin octobre, la presse fait Ă©tat de quatre morts. Les Forces ArmĂ©es Royales sont envoyĂ©es en renfort. FinanciĂšrement, les pertes atteignent des recordsâ: les usines sont inondĂ©es jusquâĂ 1,60âm, les Ă©quipements noyĂ©s et les salariĂ©s poussĂ©s, au mieux, au chĂŽmage technique. Des dizaines dâentreprises mettent la clĂ© sous la porte. Une fois les routes assĂ©chĂ©es, les autoritĂ©s reçoivent un sĂ©rieux coup de semonce et les hautes instructions tombent, dont lâordre de terminer au plus vite les Ă©tudes techniques nĂ©cessaires aux grands travaux. Le rĂ©sultatâ: un projet estimĂ© Ă 291âmillions de dirhams est financĂ© par lâEtat. Il prĂ©voit lâĂ©largissement sur 7,5âkilomĂštres du canal de Mghogha et la construction de deux barrages pour contrĂŽler le dĂ©bit par grandes pluies. Des barrages sont programmĂ©s, mais le premier coup de pelle continue de se faire attendre. «âNous sommes satisfaits de cet engagement mais encore une fois, il y a eu dâĂ©normes pertes de temps : entre les phases dâĂ©tudes, les appels dâoffre et le lancement des travaux, les dĂ©lais ont Ă©tĂ© bien trop longs.â»
Et lâhiver 2009 arrive avec ses nouvelles pluies. Ce ne sont pas les travaux qui sauvent alors les usines des eaux mais la relative faiblesse des inondations. Et quand le 24 dĂ©cembre, la pluie inonde une fois de plus la zone, Adil Rais assure que «âla situation ne doit rien au hasard mais est la consĂ©quence dâinnombrables erreursâ». En cause lâurbanisation, la voirie, le systĂšme dâĂ©vacuation des eaux et les rĂ©habilitations qui tardent. Lâoued de Mghogha se laisse donc vite dĂ©border par des vents de 108âkm/h et une pluie diluvienne. Le 25 dĂ©cembre, Adil Rais envoie une lettre ouverte au Premier ministre. Les entreprises demandent notamment des mesures dâaccompagnement financier qui les aideraient Ă rĂ©gler au moins les pĂ©nalitĂ©s et intĂ©rĂȘts de retard sur les cotisations de la CNSS et les paiements de la TVA. En deux ans, les dĂ©gĂąts directs et indirects leur ont coĂ»tĂ© plus de 1,3âmilliard de dirhams. «âSeules les grandes usines avaient les moyens de sauver les meubles, dâautant que les compagnies dâassurance nâont rien fait.â»
Les remboursements sont rares
Deux ans plus tard, les remboursements sont rares. Les sociĂ©tĂ©s Ă©trangĂšres ont effectivement tenu leurs engagements, mais elles sont minoritaires et au Maroc, seul le groupe Sinia a tenu sa promesse. «âMalheureusement, aujourdâhui, aucun assureur marocain nâaccepte de sâengager.â» Mghogha est dĂ©cidĂ©ment une zone Ă haut risque. Pour autant, les travaux ont dĂ©butĂ©. LâĂ©largissement et le renforcement du grand canal sont en cours, tout comme la construction du barrage de Mechlaoua situĂ© Ă quelques kilomĂštres de Mghogha. De plus, lâĂ©tude du second barrage de Ben Amer est terminĂ©e et les premiers ouvriers sont attendus pour le dĂ©but du printemps 2011, avec dĂ©jĂ quelques semaines de retard par rapport au calendrier initial.
LâONCF a Ă©galement Ă©tĂ© sommĂ© dâintervenir. Il a dĂ» revoir trois de ses galeries qui empĂȘchaient lâĂ©coulement des eaux vers la mer et proposer des ouvertures supplĂ©mentaires. Rabat sâest donc investi et organisĂ©. Toutes les dĂ©cisions prises par le secrĂ©tariat dâEtat chargĂ© de lâEau et de lâEnvironnement ont Ă©tĂ© suivies, localement, par lâAgence pour le dĂ©veloppement des provinces du Nord. Mais chat Ă©chaudĂ© craint lâeau froideâ: certains industriels nâont nullement lâintention de tenter le diable en attendant la fin des travaux.
Ampleur des travaux
Ils ont pris leurs propres mesures de protection. Lâusine flambant neuve de Jacob Delafon sâest donc entourĂ©e dâun Ă©pais mur, tandis que le grillage permĂ©able du fromager Bel, premier site mondial du groupe français, est remplacĂ© par de la brique. Mais une fois de plus, vu lâampleur des travaux, seules les grandes entreprises ont les moyens de suivre.
Pour cet hiver, les usines de Moghogha entendent donc faire accĂ©lĂ©rer leur projet dâĂ©tude adaptĂ© au cas par cas. Selon la taille de lâentreprise. ValidĂ© par la wilaya et sous contrĂŽle de lâAgence du Nord, ce plan prĂ©voit des portes Ă©tanches, de nouvelles canalisations dâeaux usĂ©es ou encore une protection de stocks. «âAujourdâhui, les entreprises les plus fragiles restent des sites de non-protection.â»
La secrĂ©taire de lâassociation se souvient de lâentrepreneur voisin obligĂ© de porter Ă bout de bras quelques employĂ©es effrayĂ©es. «âCâĂ©tait vraiment incroyable. Il nageait dâune rive Ă lâautreâ!â» Deux ans plus tard, Adil Rais fait le pointâ: «âSommes-nous plus protĂ©gĂ©s quâavantâ? A priori oui.â» Mais les entrepreneurs ne lĂšvent ni la garde ni leur protection en bĂ©ton. Lâhiver commence Ă peine.
Maud Ninauve |