Alors que ses condisciples choisissent dâĂȘtre traders Ă Wall Street, SaĂąd Zouak sort des sentiers battus. IngĂ©nieur environnemental, il crĂ©e trĂšs tĂŽt son cabinet et tisse un lien privilĂ©giĂ© avec la ville de New York et ses dĂ©partements. Histoire dâun parcours atypique.
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SaĂąd Zouak est lâarchĂ©type mĂȘme du self-made-man qui a tracĂ© son petit bonhomme de chemin aux Etats-Unis, aprĂšs y avoir effectuĂ© un parcours universitaire sans faute. Ce natif de MeknĂšs, pur produit de lâĂ©cole publique marocaine, prĂ©side, depuis maintenant deux dĂ©cennies, aux destinĂ©es de lâun des cabinets conseil new-yorkais les plus en vue, Airtek. A peine le baccalaurĂ©at en poche, rĂȘve amĂ©ricain en tĂȘte, il prend un billet pour New York. Avec un associĂ© amĂ©ricain, Zouak crĂ©e son propre cabinet une annĂ©e seulement aprĂšs avoir dĂ©crochĂ© son diplĂŽme dâingĂ©nieur au New Jersey Institute of Technology. Il dĂ©cide alors de se pencher sur les problĂ©matiques de lâenvironnement, Ă un moment oĂč celles-ci ne figuraient pas encore parmi les prioritĂ©s, ni des grands dĂ©cideurs ni des politiques. Mais le jeune Marocain est persuadĂ© dâavoir choisi la bonne voie alors que la plupart de ses compatriotes, comme dâailleurs ses condisciples amĂ©ricains, se laissent sĂ©duire par lâascension fulgurante des marchĂ©s financiers et les plus-values faramineuses engrangĂ©es par Wall Street.
«âDans les annĂ©es 90, les Ă©tudes dâingĂ©nieur spĂ©cialisĂ© dans lâenvironnement paraissaient ringardes aux yeux de mes camaradesâ», se souvient SaĂąd. Convaincu pourtant de son choix, il intĂšgre lâuniversitĂ© de New York pendant deux ans, avant de sâenvoler vers le Texas pour y dĂ©crocher un Bachelor of Chemical Engineering. Il passera une annĂ©e seulement au sein du grand cabinet Detail Associate, au cours de laquelle il suivra des cours du soir pour dĂ©crocher un master en environnement.
Un portefeuille étoffé
Le jeune ingĂ©nieur dĂ©cide aussitĂŽt de voler de ses propres ailes. «âJe me suis vite rendu compte que le secteur Ă©tait porteur et tant que le terrain Ă©tait encore vierge, il fallait se lancer rapidement pour saisir les opportunitĂ©s au bon momentâ», se souvient-il. Une dĂ©cision mĂ»rement rĂ©flĂ©chie qui lui portera chance. Depuis 1988 donc, Airtek ne cessera dâĂ©toffer son portefeuille clients qui, aujourdâhui, en ferait pĂąlir plus dâun. La ville de New York et ses diffĂ©rents dĂ©partements, des banques amĂ©ricaines basĂ©es aux Etats-Unis et en Chine, la plupart des multinationales amĂ©ricaines, des cabinets dâarchitectes et promoteurs de travaux dâinfrastructure, des hĂŽpitaux⊠SaĂąd Zouak a rĂ©ussi Ă tisser sa toile en intervenant partout aux Etats-Unis, au Canada et au Mexique, au grĂ© de la demande de ses clients et de leurs filiales, en sâappuyant sur une Ă©quipe de 65 ingĂ©nieurs polyvalents, triĂ©s sur le volet.
Par chance, les soubresauts de la crise financiĂšre nâont eu quâun impact limitĂ© sur le niveau de son activitĂ© grĂące Ă la diversification de ses donneurs dâordre. Son chiffre dâaffaires qui gravitait autour de 23 millions de dollars au cours des trois derniĂšres annĂ©es, est tombĂ©, cette annĂ©e, Ă 20 millions de dollars. «âDans un contexte de crise gĂ©nĂ©ralisĂ©e, notamment du crĂ©dit bancaire, nous avons rĂ©ussi Ă maintenir notre activitĂ© Ă un niveau trĂšs honorable, malgrĂ© le ralentissement ressenti depuis la fin 2009â», assure le jeune boss. Les projets Ă©tant, pour la plupart, planifiĂ©s sur trois ans, la chute de la demande est palpable depuis quelques mois Ă peine. Quoi quâil en soit, les commandes de la ville de New York ont continuĂ© Ă affluer grĂące Ă lâinjection de fonds de soutien de lâEtat fĂ©dĂ©ral.
Lâeffondrement des tours
Dans la foulĂ©e, quand on demande Ă SaĂąd Zouak si les attentats du 11 Septembre 2001 ont eu un impact nĂ©gatif sur ses affairesâ? «Pas du toutâ!â» reconnaĂźt-il spontanĂ©ment. En rĂ©alitĂ©, le plus gros marchĂ© quâait jamais remportĂ© le cabinet Airtek concerne le World Trade Center, aprĂšs la destruction des deux tours. «âNous avons Ă©tĂ© dĂ©signĂ©s par la ville de New York, en tant que cabinet indĂ©pendant, pour Ă©valuer le degrĂ© de toxicitĂ© des produits chimiques pulvĂ©risĂ©s sous forme de poussiĂšre tout autour de la zone dâeffondrement des toursâ», explique Zouak. Ce vaste chantier aura concentrĂ© les efforts dâAirtek durant huit annĂ©es consĂ©cutives pour les prĂ©lĂšvements et analyses de lâair, Ă la fois sur le site et en laboratoire. ParallĂšlement, des mesures dâurgence ont Ă©tĂ© prises avant la dĂ©molition des immeubles mitoyens qui Ă©taient affectĂ©s par la poussiĂšre toxique, afin dâĂ©viter sa propagation. «âDes millions de dollars ont Ă©tĂ© dĂ©bloquĂ©s pour assurer le suivi des opĂ©rations et la prise en charge des personnes contaminĂ©esâ», affirme le PDG dâAirtek.
Surfant sur la sĂ©vĂ©ritĂ© de la rĂ©glementation qui impose diverses Ă©tudes dâimpact avant lâoctroi de crĂ©dit ou dâautorisation de construire ou mĂȘme de vente de logements, le cabinet new-yorkais a rĂ©ussi Ă dĂ©velopper une expertise confirmĂ©e dans lâĂ©valuation environnementale des sites et des sols, lâhygiĂšne industrielle et les sciences des bĂątiments. Parmi les activitĂ©s en forte croissance, la certification des bĂątiments verts qui est non seulement exigĂ©e par les banques et la ville de New York mais qui constitue un argument marketing de poids pour les promoteurs immobiliers. «âDe plus en plus, il nous est demandĂ© de mener des Ă©tudes sur la qualitĂ© de lâair Ă lâintĂ©rieur de chaque appartement avant sa livraison. Celle-ci constitue un des Ă©lĂ©ments dĂ©terminants dans la fixation du prix de vente.â» Autre axe de dĂ©veloppement majeurâ: les plans dâhygiĂšne industrielle, de santĂ© et de sĂ©curitĂ© des travailleurs.
Transfert de savoir-faire
Mais la mission dâAirtek ne se limite pas Ă assurer des prestations et Ă dĂ©livrer des certificats comme lâexige la rĂ©glementation. Pour faciliter le transfert de savoir-faire, le cabinet met un centre de formation Ă la destination de ses clients⊠et mĂȘme de ses concurrents. «âIl y a de la place pour tout le monde et le plus important pour nous est de fidĂ©liser nos clients.â» Serein, SĂąad Zouak sait que son secteur est protĂ©gĂ© par une barriĂšre Ă lâentrĂ©e qui est dâordre rĂ©glementaire. Pour exercer et dĂ©livrer les certificats, les cabinets doivent ĂȘtre agrĂ©Ă©s par lâEtat de New York. Autant dire que ces derniers se comptent sur les doigts de la main. En attendant, le fondateur dâAirtek nourrit de sĂ©rieuses ambitions Ă lâinternational, en particulier dans la rĂ©gion du Moyen-Orient et de lâAfrique du Nord oĂč il entend intervenir pour la premiĂšre fois en 2011. Devinez oĂč sera implantĂ©e sa plateforme rĂ©gionaleâ? A Casablanca bien sĂ»r. La boucle est bouclĂ©e.
Mouna Kably |