Lâaffaire General Contractor Ă peine close, voilĂ quâAl Omrane sâengage dans une nouvelle bataille dâexpropriation au profit dâune ville nouvelle.
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La tension monte Ă Sahel-Lakhyayta. Depuis quelques mois, ces deux communes rurales de la province de Settat, situĂ©es Ă quelque 20 kilomĂštres de Casablanca, sont agitĂ©es par les apprĂ©hensions des habitants. En cause, le projet de ville nouvelle de Sahel-Lakhyayta, pilotĂ© par Al Omrane, prĂ©vu sur 1â200 hectares pour offrir 38â000 logements qui accueilleront 180â000 habitants.
Pour mobiliser le foncier nĂ©cessaire Ă la deuxiĂšme tranche du projet, une procĂ©dure dâexpropriation est enclenchĂ©e. Le projet de dĂ©cret dâexpropriation «âpour utilitĂ© publiqueâ» est publiĂ© au Bulletin officiel du 16 juin dernier. Plusieurs propriĂ©taires terriens seront donc expropriĂ©s dâici peu. Lâensemble des superficies concernĂ©es est rĂ©parti entre trois communes ruralesâ: Ouled Jamaa, Khdara et Laassilat. Mais, câest la commune de Ouled Jamaa qui concentre lâessentiel des terres ciblĂ©es par lâexpropriation. Au total, lâon parle dâune superficie globale de 1â200 hectares dont 900 hectares, propriĂ©tĂ© des Domaines, qui doivent ĂȘtre libĂ©rĂ©s. Le reste appartient au privĂ©. De plus, Al Omrane compte acquĂ©rir 300 hectares supplĂ©mentaires auprĂšs du privĂ©, en prĂ©vision dâune future extension. «âLe holding a lâaccord des Domaines pour lâacquisition des 927 hectares et lâarrĂȘtĂ© de cession est dĂ©jĂ signĂ©â», assure Sayfeddine Kharchafi, directeur gĂ©nĂ©ral de la filiale Al Omrane Sahel. Mais pour libĂ©rer ces terres, ce sera une autre paire de manches. En effet, il sâagit de convaincre les locataires agraires qui les exploitent du bien-fondĂ© de lâargument «âutilitĂ© publiqueâ». La tĂąche sâavĂšre ardue, reconnaissent les dirigeants de la filiale qui ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© confrontĂ©s aux mĂȘmes difficultĂ©s au moment de la mobilisation du foncier pour le premier pĂŽle. Par ailleurs, Al Omrane doit intĂ©grer une nouvelle donneâ: le secteur vient dâĂȘtre ouvert Ă lâurbanisation et les habitants comme les exploitants savent que la valeur des terrains montera en flĂšche. Sans oublier les propriĂ©taires terriens rĂ©calcitrants Ă lâidĂ©e de cĂ©der leurs terres. Et pour cause, nombre dâentre eux planchent actuellement sur des projets dâinvestissement susceptibles dâĂȘtre rĂ©alisĂ©s sur leurs propriĂ©tĂ©s (voir encadrĂ© ci-dessous).
La population sâaccroche
Sur place, la population, constituĂ©e majoritairement de petits agriculteurs, dĂ©nonce lâexpropriation et sâaccroche Ă ses terres. «âNous avons toujours vĂ©cu et travaillĂ© ici. Nous nâavons aucune autre ressource que cette terre [...] Nous ne voyons pas pourquoi on lâabandonnerait pour un avenir incertainâ», se plaint un propriĂ©taire qui doit cĂ©der 51 hectares. Un autre, octogĂ©naire, qui a toujours vĂ©cu dans la rĂ©gion, au douar Ouled Jamaa, sâoppose Ă tout projet dâexpropriation et assure refuser toute indemnisation. «âIl est hors de question dâabandonner notre terre. Quel avenir pour un vieillard comme moiâ? A mon Ăąge, comment pourrais-je me convertir Ă une autre activitĂ©â?â», sâinterroge-t-il, dĂ©pitĂ©. MĂȘme inquiĂ©tude exprimĂ©e par son jeune voisin qui vient de dĂ©crocher une autorisation pour monter une petite unitĂ© dâavicultureâ: «âJe ne maĂźtrise pas de mĂ©tier autre que lâĂ©levage ou la petite agriculture. SpoliĂ© de ma terre, mon projet tombe Ă lâeauâ», constate-t-il amer.
Des montants jugés indécents
Le sort de A.âK., porteur dâun projet dâagriculture, est encore plus Ă©loquent. Alors que ses 5,5 hectares de vignobles, plantĂ©s il y a trois ans, commencent tout juste Ă porter leurs fruits, il se retrouve contraint de tout abandonner. Ses terrains sont Ă©galement frappĂ©s par lâexpropriation. «âPourquoi nous autorise-t-on Ă investir et Ă nous endetter si, quelques annĂ©es plus tard, lâon nous oblige Ă tout cĂ©derâ? OĂč est-ce que je puiserai lâĂ©nergie pour monter Ă nouveau un autre projetâ?â» sâinterroge-t-il. PropriĂ©taires et habitants des douars ne dĂ©colĂšrent pas lorsque sont Ă©voquĂ©s les montants, jugĂ©s indĂ©cents, de lâindemnisation Ă percevoir en cas dâexpropriation. Certaines rumeurs lâĂ©valuent Ă 35 dirhams le mĂštre carrĂ©. Or, la valeur du terrain agricole dans la rĂ©gion varie entre 500 et 600 dirhams le mĂštre carrĂ© contre 200 dirhams avant lâannonce dâexpropriation. De plus, depuis le changement de statut de ces terres, suite Ă lâouverture Ă lâurbanisation, les prix sont montĂ©s en flĂšche. Selon des sources sur place, le lot de terrain coĂ»te, aujourdâhui, entre 3â500 et 5â000 dirhams le mĂštre carrĂ©â! Et les surenchĂšres ne font que commencerâŠ
Toutefois, il faut prĂ©ciser que la plupart des terres ne sont pas immatriculĂ©es, et quâune bonne partie fait lâobjet de litiges dâhĂ©ritage, de dĂ©limitation des frontiĂšres et parfois de plusieurs hypothĂšques. Ce qui incite certains spĂ©culateurs, y compris «âde hauts responsablesâ», Ă procĂ©der aux achats de ces terrains pour les revendre plus tard, au prix fort, Ă lâEtat, confie-t-on. Du cĂŽtĂ© dâAl Omrane, lâon affirme que lâexpropriation sera effectuĂ©e dans les rĂšgles. «âIl nâest pas question de mettre les gens Ă la rue, ni de les spolier de leurs terres. Des discussions seront ouvertes pour trouver des terrains dâententeâ», assure le directeur gĂ©nĂ©ral dâAl Omrane Sahel. Il prĂ©cise que les dossiers seront traitĂ©s «âau cas par cas » pour veiller au bon dĂ©roulement de lâopĂ©ration dâexpropriation. «âOn ne forcera la main Ă personne. Au contraire, nous veillerons Ă ce que lâopĂ©ration se fasse Ă lâamiable et dans les meilleures conditions possibles.â» Et de rappeler que le projet de ville nouvelle prĂ©voit, entre autres, des logements Ă 140â000 dirhams pour reloger les habitants des douars. PiĂštre consolation pour ces ruraux habituĂ©s aux grands espaces. Bien entendu, en cas de litige et si la proposition de lâexpropriant nâest pas acceptĂ©e, les propriĂ©taires ont le droit dâintenter une action en justice. En attendant, les propriĂ©taires concernĂ©s ne doivent procĂ©der Ă aucun amĂ©nagement ni construction dans les zones en question. Dans les deux camps, on sait que lâattente risque dâĂȘtre longue.
Khadija El Hassani |