Cousins par le sang, ils sont « frĂšres » de coeur, rĂ©unis dans une mĂȘme passion. Celle de la qualitĂ© de lâhĂŽtellerie-restauration. Rencontre avec les crĂ©ateurs de lâĂcole hĂŽteliĂšre de GenĂšve, Ă Casablanca.
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Le Maroc en rĂȘvait. Les Kouhen lâont fait ! Lâindustrie hĂŽteliĂšre du Maroc, qui voit exploser ses capacitĂ©s dâaccueil, peinait Ă recruter du personnel qualifiĂ©. Lâannonce de la crĂ©ation de lâĂcole hĂŽteliĂšre de GenĂšve arrive Ă point nommĂ© (voir encadrĂ©). Les premiĂšres promotions de jeunes formĂ©s au middle management â un segment en quĂȘte de titulaires locaux â seront opĂ©rationnelles dâici Ă deux ans. Avec lâun des plus beaux labels qui soient : celui de la prestigieuse Ă©cole suisse, rĂ©fĂ©rence mondiale en termes de qualitĂ© dâenseignement et dâapprentissage aux mĂ©tiers de lâhĂŽtellerie et de la restauration. Une initiative que la profession doit au volontarisme de Nabil et Mounir Kouhen.
Kouhen, vous avez dit Kouhen ? Sauf le respect qui leur est dĂ» â et de fait il lâest, eu Ă©gard aux valeurs que portent et leur parcours et ce projet â leur association patronymique fait irrĂ©pressiblement penser aux frĂšres Coen. Pour qui connaĂźt la filmographie des deux cinĂ©astes amĂ©ricains, ce sont leurs deux derniĂšres oeuvres qui viennent Ă lâesprit. Lorsque Brad Pitt et George Clooney Ă©gratignent le mythe du hĂ©ros hollywoodien dans Burn after reading, ou lorsque les deux compĂšres revisitent leur enfance dans une oeuvre totalement dĂ©jantĂ©e, pourtant intitulĂ©e A serious man. Nabil et Mounir ne sont toutefois pas frĂšres. Seulement des cousins. Et Ă dĂ©faut dâĂȘtre frĂšres de sang, ils sont, depuis leur plus tendre enfance, frĂšres de coeur. Et aujourdâhui de raison, en portant leur sociĂ©tĂ© commune â K2 Corporation â au service de lâindustrie hĂŽteliĂšre.
Ă lâinstar des frĂšres Coen, les cousins Kouhen semblent dĂ©jouer toutes les rĂšgles. Sans se dĂ©partir, non sans humour, de la rigueur nĂ©cessaire Ă tout projet Ă©conomique ou industriel. Pour peu quâon les y invite, ces « serious men » peuvent volontiers donner lâimage de deux ados complices qui auraient rĂ©ussi un joli coup, aprĂšs avoir refait le monde au terme de discussions acharnĂ©es et dâopiniĂątres Ă©changes.
Vocations affirmées
Rien ne les prĂ©destinait Ă faire oeuvre commune dans le secteur de lâhĂŽtellerie. Les deux frĂšres, câĂ©tait leurs pĂšres. « Ils Ă©taient dâailleurs plus amis que frĂšres », reconnaĂźt Mounir. Lâun mĂ©decin, lâautre dans le secteur du textile. Pas de quoi inspirer une quelconque vocation hĂŽteliĂšre. Il nâempĂȘche, en dĂ©pit des cinq annĂ©es qui les sĂ©parent â Nabil est nĂ© en 1965, et Mounir en 1970, tous deux Ă Casablanca â les deux cousins auront lâoccasion de se croiser et de se recroiser entre le Maroc et la France, entre parcours dâĂ©tudes et rencontres familiales. La famille, prĂ©cisĂ©ment, aime voyager. Et Nabil ne reste pas indiffĂ©rent Ă lâambiance des hĂŽtels. Dans les annĂ©es 80, lâHĂŽtel Club dâAgadir le marquera suffisamment pour que le jeune ado de 15 ans se laisse sĂ©duire par un mĂ©tier exigeant, mais oĂč le plaisir du service lâemporte souvent sur les contraintes de lâindispensable rigueur. Mounir, lui, affirmera trĂšs tĂŽt, aux yeux de sa famille, sa vocation dâ« homme dâaffaires ».
Nul ne sâĂ©tonnera donc de voir dĂ©barquer Nabil Ă Paris, pour un entretien dâemÂŹbauche au Hilton, Ă l'issue de sa formation hĂŽteliĂšre Ă Toulouse. Et Ă Paris, câest Mounir, alors Ă©tudiant en gestion Ă Paris-Sorbonne, qui lâaccueille. « Nous Ă©tions tellement contents de nous retrouver, se rappelle Nabil, que jâai zappĂ© le rendez-vous de mon entretien ! » Ă oublier dans les Ă©coles de management ! Cela nâempĂȘchera pas le jeune diplĂŽmĂ© de faire ses premiers pas au sein de la prestigieuse chaĂźne hĂŽteliĂšre et dâengager ainsi un parcours professionnel qui le conduira Ă apprendre toutes les ficelles du mĂ©tier â des mĂ©tiers â au grĂ© des postes et des responsabilitĂ©s, en France comme au Maroc, au sein des plus grands palaces que comptent ces deux pays. Lâex-directeur gĂ©nĂ©ral du Tour Hassan, Ă Rabat, ou du Riad Salam, Ă Casablanca, nâa rien oubliĂ© du patient apprentissage aux cĂŽtĂ©s des vieux routiers de lâhĂŽtellerie. De quoi faire naĂźtre une nouvelle vocation de formateur ?... AssurĂ©ment.
Ces deux lĂ Ă©taient faits pour sâentendre et se rejoindre sur un projet commun. Car si Mounir sâest trĂšs tĂŽt rĂȘvĂ© en businessman, en « entrepreneur », « ça a toujours Ă©tĂ© autour des mĂ©tiers du plaisir », reconnaĂźt-il. Sa maĂźtrise de gestion en poche, le jeune Kouhen, de retour au pays, entend se lancer dans la distribution alimentaire. Trop tĂŽt dans un secteur dominĂ© par les petits Ă©piciers indĂ©pendants ? Manque de moyens pour le jeune diplĂŽmĂ© ? Sans doute un peu des deux Ă la foisâŠLâexpĂ©rience des supĂ©rettes sera de courte durĂ©e. Place aux projets industriels et de services.
Parcours parallĂšles
La crĂ©ation dâune sociĂ©tĂ© spĂ©cialisĂ©e dans les consommables pour ⊠la restauration et lâhĂŽtellerie (dĂ©jĂ !), puis lâacquisition de la sociĂ©tĂ© Comaner vont offrir Ă Mounir lâoccasion de dĂ©montrer ses capacitĂ©s de gestionnaire. Comaner Group dĂ©cline aujourdâhui ses activitĂ©s dans lâindustrie (production et exportation de produits marocains), dans les services (exportation dâingrĂ©dients vers le marchĂ© africain), la presse professionnelle (Food magazine, bientĂŽt rejoint par CHR Mag, en kiosque dĂšs novembre prochain) et tout rĂ©cemment dans⊠lâhĂŽtellerie restauration avec lâouverture, Ă Casablanca, du Doge.
Les parcours des deux cousins auraient pu demeurer parallĂšles. Mais leurs passions respectives les ont rĂ©unis lorsque Nabil sâest piquĂ© de formation. « AprĂšs avoir crĂ©Ă© ma sociĂ©tĂ© de conseil, je suis intervenu dans des Ă©coles et jâai ressenti une rĂ©elle satisfaction en observant combien les Ă©tudiants Ă©taient demandeurs. Jâai dĂ©couvert en moi quelque chose â que je nâimaginais pas â Ă transmettre. Lorsque de grands professionnels viennent offrir leur formation, les jeunes sont intĂ©ressĂ©s ! » Preuve en est avec le cycle de formation organisĂ© rĂ©cemment par Nabil au bĂ©nĂ©fice des nouveaux collaborateurs de Mazagan. LâidĂ©e de la crĂ©ation dâune Ă©cole dĂ©diĂ©e sĂ©duira donc Mounir, au point que leur « vision commune » va trĂšs vite se concrĂ©tiser en projet commun.
Une référence internationale
« Vas-y, fonce ! mâa dit Mounir lorsquâil voyait que, depuis trois ans, je tournais autour du pot⊠LĂ , ça a boostĂ© K2 ! Ce projet, câest notre vision Ă tous les deux. Si nous nâavions pas eu cette mĂȘme vision, nous ne lâaurions pas fait. Nous sommes dâaccord pour mettre la barre trĂšs haut tant pour la sĂ©lection des candidats que pour la formation. DâemblĂ©e, lâĂ©cole est au niveau des standards europĂ©ens. »
Contact est donc pris en 2006 avec lâĂcole hĂŽteliĂšre de GenĂšve. « Câest la rĂ©fĂ©rence internationale, reconnaĂźt Nabil. GenĂšve rĂ©pondait au marchĂ©, celui du middle management qui apporte un mĂ©tier. Un mĂ©tier Ă apprendre en commençant par le bas de lâĂ©chelle, pour en gravir tous les Ă©chelons. Et GenĂšve apporte le savoir-ĂȘtre et le savoir-paraĂźtre Ă tous ses Ă©tudiants. »
Au dĂ©part, dĂ©clare Mounir, « nous avions lâidĂ©e de rĂ©aliser un grand campus, avec un hĂŽtel dâapplication. Mais, aprĂšs Ă©tude, nous nous sommes rendus compte quâil fallait dâabord sâinstaller en ville ». Ainsi est nĂ© le projet de lâĂcole hĂŽteliĂšre de GenĂšve Ă Casablanca. Un investissement de quelque 10 millions de dirhams, portĂ© par la sociĂ©tĂ© K2 Corporation, dont les actionnaires sont Comaner Group (Mounir) et NK Management (Nabil), sous licence exclusive de GenĂšve.
LâĂ©motion des deux « frĂšres » nâĂ©tait pas feinte voici quelques jours, lors de lâinauguration de leur Ă©tablissement, en prĂ©sence des professionnels genevois, dont certains assureront une partie de lâenseignement. OubliĂ©es, les facĂ©ties des Ă©tudiants parisiens ! Ce rendez-vous lĂ , ils ne lâauraient manquĂ© pour rien au monde. Le 1er octobre 2010, il y a fort Ă parier que les premiers Ă©tudiants â contrairement Ă leur directeur gĂ©nĂ©ral â nâoublieront pas la rentrĂ©e au sein de leur prestigieuse Ă©coleâŠ
Henri Loizeau |