|
Sondages dâopinion La foire aux questions
actuel n°53, samedi 26 juin 2010
|
|
AprĂšs lâexplosion des sondages dans les annĂ©es 2000, le marchĂ© entame dĂ©sormais un nouveau virage. Les cabinets locaux et les enseignes internationales se positionnent. Le point sur un secteur en pleine mutation.
***
Que valent les enquĂȘtes et sondages commentĂ©s et diffusĂ©s, ici et lĂ , par diffĂ©rents mĂ©dias ? La collecte dâinformations est-elle toujours menĂ©e avec la rigueur requise, pour garantir la fiabilitĂ© des rĂ©sultats ? Les conclusions qui en dĂ©coulent reflĂštent-elles les positions de la population cible ? Autant de questions qui agitent ceux qui sâintĂ©ressent Ă lâanalyse de lâopinion publique et Ă celle des consommateurs. Un tel engouement pour les Ă©tudes dâopinions, palpable depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000, est un signe dâouverture de la sphĂšre publique et dâune plus grande libertĂ© dâexpression du citoyen. Mais il est Ă©galement liĂ© Ă la volontĂ© des annonceurs privĂ©s et publics dâĂ©valuer la qualitĂ© de leurs prestations et de promouvoir une relation de proximitĂ© avec le grand public. On retrouve donc, parmi les secteurs demandeurs dâĂ©tudes, les multinationales positionnĂ©es dans les produits de grande consommation. Les opĂ©rateurs tĂ©lĂ©coms sont aussi en train de monter en puissance depuis quelques annĂ©es, sous lâeffet de lâouverture du secteur Ă la concurrence. Ă noter par ailleurs lâintĂ©rĂȘt croissant des grands groupes privĂ©s marocains et des entreprises publiques pour les enquĂȘtes de satisfaction.
Pourtant, certains consultants appellent Ă la prudence. Pour rĂ©ussir un sondage, plusieurs prĂ©alables sont requis. Et ce nâest pas un hasard si un nombre grandissant de cabinets locaux, dotĂ©s dâune bonne connaissance du terrain, concluent des partenariats avec des enseignes internationales de renom, pour bĂ©nĂ©ficier dâun transfert de savoir-faire, accĂ©der Ă des outils performants et affiner leur expertise. De mĂȘme, on observe depuis cinq ans, une accĂ©lĂ©ration du rythme dâimplantation de cabinets dâĂ©tudes Ă©trangers, Ă Casablanca en particulier. Câest la preuve que ce marchĂ© prend son envol. Embryonnaire au dĂ©but des annĂ©es 2000, sa taille est estimĂ©e en 2008 entre 150 et 200 millions de dirhams. ParallĂšlement, la demande a nettement Ă©voluĂ©.
Demande des partis politiques
Jusque-lĂ , elle portait essentiellement sur des Ă©tudes de marchĂ© et Ă©manait dâentreprises et dâannonceurs soucieux de lâimpact de leurs campagnes publicitaires. « DĂ©sormais, de plus en plus dâentreprises sont conscientes de lâintĂ©rĂȘt dâune Ă©tude de marchĂ© pour comprendre les tendances, mesurer la notoriĂ©tĂ© de leur marque, Ă©valuer lâimage de lâenseigne, tester un produit et garantir un meilleur retour sur investissement », explique Amina Habi, account manager Ă TNS Maroc. Mais depuis peu, les sondages dâopinions et enquĂȘtes sociales gagnent du terrain, sous lâeffet de la demande de partis politiques et dâassociations civiles, en particulier en pĂ©riode de campagne Ă©lectorale, ainsi que des mĂ©dias dĂ©sireux dâanalyser une problĂ©matique particuliĂšre.
Sans oublier les organismes internationaux engagĂ©s dans des Ă©tudes Ă caractĂšre rĂ©gional ou mondial. « Plus lourdes que les Ă©tudes de marchĂ©, les Ă©tudes sociales restent tributaires de financements extĂ©rieurs. Aussi, sont-elles souvent lancĂ©es conjointement, par voie dâappel dâoffres, par le bĂ©nĂ©ficiaire, en gĂ©nĂ©ral un ministĂšre, et lâorganisme international, en tant que bailleur de fonds », prĂ©cise Brahim Boubkry, directeur dâĂ©tudes de LMS-CSA. Selon lui, les sondages dâopinion se sont multipliĂ©s depuis les attentats du 11 septembre 2001, avec la volontĂ© accrue des Ătats-Unis dâĂ©valuer leur image auprĂšs de la population du monde arabe. Les attentats du 16 mai 2003 ont Ă©galement suscitĂ© un nouvel intĂ©rĂȘt pour les sondages dâopinions, notamment pour mesurer la popularitĂ© dâOussama Ben Laden ou des mouvements islamistes. « Ă lâĂ©tranger, les mĂ©dias sont de gros consommateurs de sondages. Au Maroc, ils demeurent encore limitĂ©s par le manque de moyens financiers. Mais Ă terme, ils pourraient donner un vĂ©ritable coup de pouce Ă ce marchĂ© en Ă©closion », anticipe Boubkry.
ConcrĂštement, les Ă©tudes de marchĂ© comme les sondages et enquĂȘtes sociales font tous appel Ă la mĂȘme mĂ©thodologie : Ă©laboration du questionnaire, sĂ©lection de la mĂ©thode dâĂ©chantillonnage, formation dâune Ă©quipe dâenquĂȘteurs qualifiĂ©s, analyse des rĂ©sultats et formulation des recommandations. « Si nos outils et techniques sont dĂ©veloppĂ©s au niveau du groupe, Ă lâĂ©chelle mondiale, nous nous appuyons sur notre Ă©quipe dâanalystes locaux pour interprĂ©ter les rĂ©sultats des enquĂȘtes car elle possĂšde une parfaite connaissance du terrain et de la culture du pays », prĂ©cise Jean-François Meyer, directeur gĂ©nĂ©ral dâIPSOS Maroc, implantĂ© Ă Casablanca depuis quelques mois pour garantir une relation de proximitĂ© avec les multinationales clientes du groupe et prospecter de nouveaux clients. Mais si les techniques de sondages et les mĂ©thodologies dâenquĂȘte restent identiques, lâinterprĂ©tation des rĂ©sultats appelle, elle, quelques prĂ©cautions. Ă titre dâexemple, la rĂ©ponse Ă une question par lâexpression « un peu » peut vouloir dire « non » ou « pas du tout ». DâoĂč la nĂ©cessitĂ© de maĂźtriser les nuances de la culture locale pour fournir une interprĂ©tation juste des rĂ©sultats, en minimisant le risque dâerreur. Câest Ă ce prix que le cabinet dâĂ©tudes, quâil soit local ou international, peut apporter un conseil adaptĂ© et un accompagnement efficace sâinscrivant dans la durĂ©e.
|
Attention aux faux sondages !
En concoctant, dĂšs 2006, un projet de loi restrictif, le Maroc a failli mettre le holĂ au foisonnement de sondages, jugĂ©s douteux ou peu crĂ©dibles par les pouvoirs publics. Heureusement, les Ătats-Unis auraient fait pression pour arrĂȘter le processus dâadoption et le texte est, depuis, tombĂ© aux oubliettes. « Cette loi Ă©tait trĂšs contraignante. Mais le risque est grand de renouer avec un durcissement de la lĂ©gislation, en cas dâabus ou dâabsence de rigueur dans la rĂ©alisation des enquĂȘtes dâopinions », prĂ©vient Brahim Boubkry. Il pourrait mĂȘme y avoir durcissement du lĂ©gislateur, sans que la loi ne soit officiellement adoptĂ©e⊠Ce projet de loi, relatif aux sondages dâopinions, impose Ă toute personne physique ou morale dont lâactivitĂ© consiste Ă effectuer des enquĂȘtes et sondages, de dĂ©poser une dĂ©claration dâexistence auprĂšs dâune instance nouvelle Ă crĂ©er, la commission dĂ©ontologique des sondages. De plus, cette dĂ©claration doit ĂȘtre renouvelĂ©e chaque annĂ©e. Ă noter quâaucune distinction nâest faite entre enquĂȘtes Ă but commercial et sondages dâopinion. En outre, une dĂ©claration prĂ©alable auprĂšs de la commission dĂ©ontologique est requise quinze jours avant le lancement de toute enquĂȘte dont les rĂ©sultats sont destinĂ©s Ă ĂȘtre diffusĂ©s auprĂšs du grand public. Par ailleurs, les personnes physiques en charge de lâopĂ©ration ne doivent pas ĂȘtre salariĂ©es dâentreprises de presse, TV ou radio. De mĂȘme, le capital des personnes morales ne peut ĂȘtre dĂ©tenu pour plus de 10 % par les mĂ©dias, ces derniers Ă©tant dans le viseur des pouvoirs publics. Enfin, le lĂ©gislateur estime que les questions ne doivent pas ĂȘtre de nature Ă induire en erreur les personnes interrogĂ©es ou Ă orienter les rĂ©ponses. Reste Ă savoir le sort rĂ©servĂ© aux sondages internationaux pour lesquels le cabinet local, mandatĂ© sur le terrain, nâa pas contribuĂ© Ă la formulation des questions. M.K |
EnquĂȘteur, mode dâemploi
Le rĂŽle de lâenquĂȘteur est de repĂ©rer la personne correspondant aux critĂšres prĂ©requis, de lui expliquer le questionnaire et de recueillir ses rĂ©ponses. Titulaire souvent dâun Bac+2, il doit avoir un profil adaptĂ© au sujet de lâĂ©tude. Ainsi, pour les sondages Ă mener auprĂšs de la communautĂ© mĂ©dicale, les enquĂȘteurs sont en gĂ©nĂ©ral choisis parmi les Ă©tudiants en mĂ©decine.
AuprĂšs du grand public, le face-Ă -face est le moyen privilĂ©giĂ© pour la collecte des donnĂ©es Ă cause de la forte proportion de la population analphabĂšte. Pour Brahim Boubkry, directeur dâĂ©tudes de LMS-CSA, il sâagit dâun des obstacles majeurs, surtout dans le monde rural. LâenquĂȘteur doit donc ĂȘtre en mesure de dĂ©passer cet Ă©lĂ©ment pour recueillir la bonne information.
LâenquĂȘte par tĂ©lĂ©phone quant Ă elle est utilisĂ©e pour des cibles professionnelles comme les clients de banques ou les salariĂ©s dâentreprises. Et lĂ , câest le niveau de formation de lâenquĂȘteur qui pose problĂšme. « Ils sont de plus en plus rares Ă maĂźtriser le français pour dialoguer correctement avec une certaine frange de la population », dĂ©plore Boubkry. Internet, de son cĂŽtĂ©, ne sert pas encore de plateforme de sondage Ă grande Ă©chelle.
|
Ă votre avis...
Jean-François Meyer, Directeur gĂ©nĂ©ral dâIPSOS Maroc « Un contrĂŽle rigoureux » En France, les populations sont saturĂ©es par les multiples sondages, quâils soient tĂ©lĂ©phoniques ou via Internet. Par contre, au Maroc, les gens sont heureux de sâexprimer, surtout si on leur garantit lâanonymat, car le phĂ©nomĂšne est encore nouveau. Les gens se prĂȘtent bien Ă lâexercice, Ă condition de prendre quelques prĂ©cautions. Ainsi, il faut recourir davantage aux enquĂȘtrices quâaux enquĂȘteurs pour solliciter les femmes dans leur domicile familial. La sĂ©lection des enquĂȘteurs se fait donc selon la population visĂ©e. Il faut veiller Ă ce quâils aient le sens du contact humain, quâils soient suffisamment qualifiĂ©s pour expliquer de façon accessible les questions posĂ©es et quâils respectent les rĂšgles de dĂ©ontologie. Un contrĂŽle rigoureux est dâailleurs mis en place pour minimiser les risques de fraudes et dâerreurs.
Brahim Boubkry, Directeur associĂ© de LMS associĂ© « Un marchĂ© concentrĂ© » Le marchĂ© des Ă©tudes est concentrĂ© Ă Casablanca pour le secteur privĂ©, et Ă Rabat pour le secteur public. Ce qui explique la concentration de lâoffre des cabinets sur cet axe. Dans les Ă©tudes de marchĂ©, les enquĂȘtes de satisfaction et les visites mystĂšre ont actuellement le vent en poupe. Parmi les demandeurs, les banques, les assurances, la Redal, lâONCF, lâONP, lâANRT, ONMT et lâADM, Maroc Telecom, sans oublier, les cimentiers et les pĂ©troliers. Quant au coĂ»t de lâopĂ©ration, il varie selon la complexitĂ© du questionnaire, lâĂ©tendue de lâĂ©chantillonâŠA titre indicatif, le test dâun spot publicitaire auprĂšs de 300 personnes rĂ©sidant Ă Casablanca, requiert en moyenne un investissement de 45 000 dirhams. Pour une enquĂȘte sur lâensemble du territoire, basĂ©e sur un questionnaire relativement complexe, il faut compter entre 600 000 et 700 000 dirhams.
Amina Habi, Account manager de TNS « Un travail dâanalyse » Pour rĂ©ussir une opĂ©ration de sondage, il faut : - dĂ©finir les objectifs, le pĂ©rimĂštre et lâapproche mĂ©thodologique avec le client ; - dĂ©velopper des outils de collecte des donnĂ©es adaptĂ©s au contexte ; - retenir un Ă©chantillon reprĂ©sentatif et de taille optimale pour minimiser le risque dâerreur ; - choisir le moment adĂ©quat pour lâenquĂȘte (dĂ©but ou fin de journĂ©e, semaine ou week-endâŠ); - constituer une Ă©quipe (chargĂ© de projet, superviseurs, enquĂȘteurs) qui maĂźtrise le processus ; - dĂ©finir le profil des enquĂȘteurs correspondant au type et Ă la cible du projet ; - initier des contrĂŽles rigoureux de la qualitĂ© ; - effectuer un travail dâanalyse profond pour aboutir Ă des recommandations prĂ©cises et rĂ©alistes. |
|
|
|