Il faudra attendre dĂ©but 2011 pour Ă©valuer lâonde de choc provoquĂ©e par la crise europĂ©enne. Le dĂ©ficit commercial pourrait sâaggraver et les transferts MRE chuter, mais la demande locale devrait sauver la mise.
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Depuis mars dernier, le Maroc renoue avec une reprise, certes fragile, mais qui suscite tout de mĂȘme le retour de la confiance des opĂ©rateurs. La crise de la dette publique europĂ©enne et la gĂ©nĂ©ralisation des politiques de rigueur dans les pays de la zone euro risquent toutefois de freiner cet Ă©lan.
Le Royaume nâa pourtant eu de cesse, ces derniĂšres semaines, de lancer des signaux positifs en direction des investisseurs, tant locaux quâĂ©trangers. Ainsi, en dĂ©crochant la note «âInvestment Gradeâ» de la dette souveraine Ă long terme auprĂšs de lâagence Standard & Poorâs, le Maroc a aussitĂŽt annoncĂ© sa sortie imminente sur le marchĂ© international des capitaux. Mais depuis le dĂ©clenchement de la crise grecque, les Ă©vĂ©nements se sont accĂ©lĂ©rĂ©s et le TrĂ©sor pourrait ĂȘtre tentĂ© de diffĂ©rer son Ă©mission obligataire. Or, cette levĂ©e de fonds est indispensable pour la poursuite de sa stratĂ©gie et lâexĂ©cution du budget 2010. En effet, ces capitaux frais contribueraient au financement du dĂ©ficit du TrĂ©sor (prĂ©vu Ă 4â% du PIB par la loi de Finances), et permettraient dâĂ©viter lâeffet dâĂ©viction, tout en limitant le dĂ©ficit de la balance des paiements. Pour mĂ©moire, la politique de gestion active de la dette onĂ©reuse, mise en Ćuvre depuis deux dĂ©cennies, a permis au TrĂ©sor de ramener le poids de sa dette extĂ©rieure Ă 10â% du PIB, soit 78âmilliards de dirhams.
«âC'est le moment d'y allerâ»
Une marge de manĆuvre non nĂ©gligeable, confortĂ©e par une maĂźtrise satisfaisante des fondamentaux macroĂ©conomiques. «âAutant dâarguments qui permettent dâaffirmer que le Maroc doit profiter de la confiance internationale dont il jouit en matiĂšre de gestion de ses finances publiques pour lancer cette Ă©mission en 2010â», prĂ©cise Oumelghit Nabhane, stratĂ©giste cross asset Ă Attijari Capital Markets. De plus, le marchĂ© international dispose de liquiditĂ©s suffisantes, accessibles Ă des taux bas, qui permettent un financement Ă un coĂ»t intĂ©ressant. Si le Maroc diffĂšre sa sortie, poursuit-elle, ces liquiditĂ©s, actuellement disponibles, pourraient bĂ©nĂ©ficier Ă dâautres pays comme lâEgypte, la Turquie ou la Roumanie. «âLe Maroc doit saisir cette opportunitĂ© car il est aujourdâhui mieux notĂ© que la GrĂšce et affiche un avantage certain au niveau du spread souverain (ndlrâ: mesure du risque politique assumĂ© par l'investisseur)â», prĂ©cise Sarah El Yaalaoui, analyste Taux Ă Attijari Capital Markets. «âDonc, tant au niveau du rating que du spread, le Maroc est dans une position privilĂ©giĂ©e. Câest le moment dây allerâ!â», insistent les deux analystes.
LâĂ©mission obligataire nâest pas le seul baromĂštre de lâimpact de la crise europĂ©enne. Lâautre grande annonce Ă lâadresse de la communautĂ© financiĂšre et des investisseurs a trait Ă la crĂ©ation dâun hub financier rĂ©gional Ă Casablanca. Le Maroc marque lĂ sa volontĂ© de se positionner face Ă ses pays voisins, notamment la Tunisie et lâAlgĂ©rie, pour attirer un maximum de flux qui permettront de financer les grands projets programmĂ©s dans le cadre des stratĂ©gies sectorielles. Sur ce registre, le secteur touristique figure en bonne place puisque le Maroc a un besoin pressant de combler son dĂ©ficit de capacitĂ© et dâadapter son offre dans un marchĂ© en pleine mutation.
La dĂ©cision de lancer ce vaste chantier doit ĂȘtre replacĂ©e dans un contexte oĂč les investissements et prĂȘts privĂ©s Ă©trangers drainĂ©s par le Royaume sont en chute libre. A fin mars, ces flux ont plongĂ© de 52,3â%, pour atteindre 4,3 milliards de dirhams, soit le niveau le plus bas depuis 2005. DĂ©jĂ , en mars 2008, ils sâĂ©taient dĂ©tĂ©riorĂ©s de 40â%. «âCette tendance Ă la baisse, qui empire, a de quoi inquiĂ©terâ», relĂšve Oumelghit Nabhane. Toutefois, les prĂȘts octroyĂ©s notamment par le Japon (2 milliards de dirhams) ou la Banque mondiale (100 millions de dollars) sont de nature Ă compenser cette chute des IDE, sans oublier lâoption toujours ouverte de bĂ©nĂ©ficier, en cas de besoin, de prĂȘts auprĂšs de bailleurs de fonds internationaux comme le Club de Paris par exemple.
Perception favorable
Quoi quâil en soit, malgrĂ© les tensions internationales, le Royaume jouit dâune perception favorable au regard des chantiers engagĂ©s depuis une dĂ©cennie et de la maĂźtrise de ses fondamentaux. Autant de facteurs qui sont de nature à «âreboosterâ» le moral des opĂ©rateurs locaux, au moment oĂč les exportations reprennent des couleurs grĂące aux performances de lâOCP, tandis que les transferts MRE gagnent 13,75â% Ă fin mars, Ă 12 milliards de dirhams. «âMais face Ă lâenvolĂ©e du taux de chĂŽmage dans les pays dâaccueil, notamment lâEspagne, la tendance des transferts en devises devrait rester baissiĂšre, dâici la fin de lâannĂ©eâ», relativise Sarah El Yaalaoui. Et pour cause, les MRE, majoritairement Ă©tablis dans les pays de la zone UE, seraient les premiers Ă pĂątir des effets de la politique dâaustĂ©ritĂ©. «âAvec un taux de chĂŽmage de 20â%, lâEspagne vit un vĂ©ritable marasme qui ne manquera pas de nous impacter car il reste lâun des principaux pays Ă©metteurs de devises et de touristes pour le Marocâ», assure Abderrazak BenchaĂąbane, universitaire.
Le tourisme ne suscite pas toutefois dâinquiĂ©tude particuliĂšre. DĂ©jĂ , les recettes sâinscrivaient, Ă fin mars, en hausse de 12,7â%, Ă 10,3 milliards de dirhams. Le ministĂšre du Tourisme maintient ses prĂ©visions Ă 9,4 millions dâarrivĂ©es dâici Ă la fin de lâannĂ©e, contre 8,3 millions dâentrĂ©es en 2009. «âAucun indicateur ne nous permet dâanticiper une baisse de flux liĂ©e Ă la crise grecque, mĂȘme si elle venait Ă se gĂ©nĂ©raliser dans la rĂ©gionâ», affirme le ministĂšre. Pronostic confortĂ© par les analystes de la salle des marchĂ©s dâAttijariwafa bank. «âDĂ©sormais, le Maroc figure parmi les destinations mondiales et continuera de drainer une partie des flux touristiques.â»
Mais cela suffira-t-il Ă doper les avoirs extĂ©rieurs, en baisse de 5,8â% Ă 178,4 milliards de dirhams Ă fin marsâ? Rien nâest moins sĂ»r. «âSi les avoirs extĂ©rieurs continuent Ă rĂ©gresser, cela se traduira par une forte pression sur les liquiditĂ©s du marchĂ© interbancaire et Bank Al-Maghrib sera tenue, pour la quatriĂšme fois, de baisser le taux de la rĂ©serve obligatoireâ», expliquent les analystes. En lâespace de 18 mois, ce taux est passĂ© de 16 Ă 6â% et il pourrait tomber Ă 5â%, voire 4â% dâici fin 2010.
En attendant, les yeux restent rivĂ©s sur la zone UE. Si elle rĂ©ussit Ă surmonter cette crise de lâendettement public et renoue avec la croissance, le Maroc devra patienter prĂšs dâune annĂ©e avant de bĂ©nĂ©ficier dâun retour Ă la normale. En revanche, si la reprise europĂ©enne tardait Ă sâenclencher, les retombĂ©es sur lâĂ©conomie marocaine seraient lourdes de consĂ©quences.
Mouna Kably & Khadija El Hassani |
Le marché intérieur à la rescousse
Crise ou pas crise, les activitĂ©s tournĂ©es vers la demande intĂ©rieure devraient sauver la mise dâici la fin de lâannĂ©e⊠à lâexception du secteur automobile qui tarde Ă redĂ©marrer. Plus globalement, les activitĂ©s non agricoles devraient reprendre le dessus. En 2009, elles avaient perdu du terrain face Ă une rĂ©colte cĂ©rĂ©aliĂšre record de 102 millions de quintaux. En 2010, celle-ci sâĂ©tablirait autour de 70 millions de quintaux, «âce qui correspond Ă la moyenne de la dĂ©cennieâ», ajoutent les analystes de la salle des marchĂ©s Attijari Capital Markets. Toutefois, le secteur textile ne devrait pas sortir de sa morositĂ© mĂȘme si, depuis la fin du mois de mars, les carnets de commandes se sont quelque peu garnis. «âCe secteur clĂŽture le premier trimestre avec de mauvaises performances. En proie Ă des faiblesses structurelles, le textile requiert une profonde remise en question pour doper sa compĂ©titivitĂ© Ă lâinternational.â» Peu de chance pour que cette mutation sâopĂšre dâici la fin de cette annĂ©e. |
Sauvetage in Extremis
AprĂšs 4 mois de tergiversations, lâUE a enfin fait preuve de dĂ©termination en adoptant un plan de sauvetage de 750âmillions d'euros (MâŹ), en dĂ©but de semaine. Outre les 60âM⏠apportĂ©s par la Commission europĂ©enne sous forme de prĂȘts, 440âM⏠sont octroyĂ©s sous forme de garanties par les pays de la zone euro, soit un total de 500âMâŹ. De son cĂŽtĂ©, le FMI apporte une contribution additionnelle de 250âM⏠sous forme de prĂȘts. MĂȘme si elle sort fragilisĂ©e par la crise de la dette grecque, lâUE a fini par adopter une mesure Ă©nergique pour stabiliser la monnaie unique et rassurer, temporairement, les marchĂ©s. |
Le déficit commercial sur la pente raide
«âSi la crise actuelle venait Ă se gĂ©nĂ©raliser dans la zone UE, le risque dâincidences sur le Maroc serait important car le Royaume entretient avec lâEspagne, par exemple, des liens commerciaux Ă©troitsâ», relĂšve Mohamed Larbi Ben Othmane, professeur de droit Ă©conomique.
Par ailleurs, compte tenu de la structure des Ă©changes, les importations marocaines sont rĂ©glĂ©es, en grande partie, en dollars, tandis que les exportations sont, pour lâessentiel, adressĂ©es Ă la zone euro. De ce fait, si la monnaie europĂ©enne poursuit sa baisse face au dollar, le dĂ©ficit commercial du Maroc se creusera davantage dans les prochains mois. Les ventes de phosphates sauveront-elles la miseâ? Rien nâest moins sĂ»r. Le Maroc exporte, pour lâessentiel, du phosphate brut. Si le ralentissement de lâactivitĂ© industrielle des pays partenaires se confirme, la demande de phosphate brut pourrait baisser, impactant fortement les recettes dâexportations. |
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