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Du rififi chez les distributeurs MĂ©ditel
actuel n°46, samedi 8 mai 2010
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AprĂšs lâeuphorie du lancement de MĂ©ditel oĂč tout un chacun sâimprovisait distributeur, des vendeurs agrĂ©Ă©s sont aujourdâhui au bord de lâasphyxie financiĂšre. Les responsabilitĂ©s sont partagĂ©es, mais lâopĂ©rateur peut-il se payer le luxe dâune criseâ? Comment sortir de lâimpasseâ? Point de vue des deux parties.
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MalgrĂ© une dĂ©cision favorable de lâAgence nationale de rĂ©gulation (ANRT) au profit de MĂ©ditel et de ses distributeurs, des voix continuent de sâĂ©lever contre la politique qualifiĂ©e «âdâautocratiqueâ» de lâopĂ©rateur. DĂšs sa crĂ©ation, MĂ©ditel a fait preuve dâun laxisme surprenant dans la gestion des crĂ©ances Ă lâĂ©gard de ses distributeurs. Certains ont Ă©tĂ© tentĂ©s dâutiliser des fonds, qui ne leur appartenaient pas, Ă des fins autres que le dĂ©veloppement de lâactivitĂ© de MĂ©ditel. Une pratique classique mais dangereuse, si elle nâest pas cantonnĂ©e dans des proportions maĂźtrisĂ©es.
Au lieu dâarrĂȘter, dĂšs 2003, des plans de recouvrement draconiens, ou mĂȘme de provisionner des crĂ©ances, les gestionnaires de MĂ©ditel ont optĂ© pour une croissance trĂšs risquĂ©e. La fuite en avant sâest alors accĂ©lĂ©rĂ©e, jusquâau moment oĂč il a fallu constater les dĂ©gĂąts, et agir. Selon des sources bien informĂ©es, 100 MDH auraient ainsi Ă©tĂ© provisionnĂ©s en 2009.
«âEn fait, nos problĂšmes datent du lancement ratĂ© du Fixe rĂ©sidentiel et de la baisse des commissions sur les autres offresâ», affirme un distributeur sous couvert dâanonymat. Pour rappel, en 2006, MĂ©ditel avait lancĂ© «âTilifoune dialdarâ», un pack prĂ©payĂ© dont la connexion est assurĂ©e via un rĂ©seau radio. «âUn fiasco commercial qui a dĂ©tĂ©riorĂ© lâimage de MĂ©ditelâ», assure un autre distributeur. En fait, ces derniers pensaient rĂ©Ă©diter «âle coup du lancementâ» en captant des marges plus importantes sur la vente des packs que sur celle des recharges et bĂ©nĂ©ficier, ainsi, dâun bol dâoxygĂšne salutaire.
Un laxisme coûteux
Conscient de la gravitĂ© de la situation, Mohamed Elmandjra dĂ©cide pourtant de rĂ©Ă©quilibrer la structure des commissions dĂšs son arrivĂ©e aux commandes, en mars 2008. «âCela nous a apportĂ© une nouvelle bouffĂ©e dâoxygĂšne en 2009 qui sâest rapidement dissipĂ©e et nous revivons aujourdâhui les mĂȘmes difficultĂ©sâ», dĂ©plorent quelques distributeurs. Ces derniers dĂ©noncent un dĂ©sĂ©quilibre de la relation avec lâopĂ©rateur qui aurait pour effet de les confiner dans une situation de «âdĂ©pendance Ă©conomique permanenteâ», appelĂ©e couramment par les banquiers « syndrome du soutien abusif ».
DĂšs 2008, MĂ©ditel instaure une politique de quotas fortement contestĂ©e par des distributeurs car jugĂ©e opaque. «âAu contraire, la dĂ©marche est transparente puisque les quotas sont fixĂ©s, pour chaque segment (abonnements, prĂ©payĂ©sâŠ), selon la performance du distributeur et le nombre de ses points de vente dĂ©diĂ©s », soutient MĂ©ditel. En rĂ©alitĂ©, la mise en place des quotas vise Ă Ă©viter «âle dĂ©sastreâ», en tentant de maĂźtriser le risque.
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Concurrence directe
Ainsi, certains distributeurs comme Mobile Com, Bestmark et First Telecom, bĂ©nĂ©ficient de conditions jugĂ©es plus avantageuses qui dopent leurs marges. Ces trois opĂ©rateurs gĂ©nĂšrent 70% du chiffre dâaffaires global, selon MĂ©ditel, et annoncent une progression de plus de 20% de leur marge brute dâexploitation en 2009. «âCes performances sont rĂ©alisĂ©es grĂące Ă une gestion rigoureuse et une activitĂ© commerciale dynamique et exclusiveâ», soutient lâopĂ©rateur.
Par ailleurs, le marchĂ© se fait lâĂ©cho de lâacquisition rĂ©cente par MĂ©ditel dâun important rĂ©seau, suite au surendettement du distributeur. Les conditions de la transaction nâont pas Ă©tĂ© dĂ©voilĂ©es. « Cette entrĂ©e tonitruante dans lâespace concurrentiel de ses distributeurs, risque dâattiser les tensions et les critiques de concurrence dĂ©loyale », relĂšve un analyste. LâopĂ©rateur nie toutefois tout rachat et parle de regroupement entre distributeurs consentants (Lire interview pages 26 et 27).
Par ailleurs, MĂ©ditel a distribuĂ© gratuitement 1 million de cartes SIM aux MRE lors de la derniĂšre saison estivale, «âau lieu de nous les confier pour doper notre chiffre dâaffairesâ», dĂ©nonce un des contestataires. Pour MĂ©ditel, cette opĂ©ration visait Ă conquĂ©rir et fidĂ©liser des clients potentiels dĂšs leur arrivĂ©e, la carte Ă©tant assortie dâun solde de 10 dirhams de communications seulement. «âDurant leur sĂ©jour, ces MRE ont achetĂ© et payĂ© cash leurs recharges auprĂšs des distributeurs.â»
En outre, pour amĂ©liorer la capillaritĂ© de son rĂ©seau commercial et booster ses ventes de recharges, MĂ©ditel sâest tournĂ© vers le monde rural. «âLes distributeurs historiques ont jugĂ© lâopĂ©ration peu rentable ou inadaptĂ©e Ă leur organisation, nous avons donc sĂ©lectionnĂ© des revendeurs dotĂ©s dâune structure adĂ©quate pour sillonner les souks et villages, en faisant jouer la synergie entre divers produitsâ», explique lâopĂ©rateur. Mais des distributeurs pointent du doigt la concurrence dans leurs propres zones et le risque de cannibalisation du rĂ©seau existant. Certes, reconnaĂźt MĂ©ditel, il est difficile de passer au peigne fin un rĂ©seau de 1â100 points de vente. Toutefois, les revendeurs ruraux sĂ©lectionnĂ©s sont issus du terroir et la gamme de produits quâils proposent ne rĂ©pond pas Ă la demande de la population urbaine, mĂȘme des quartiers populaires. «âDe ce fait, pĂ©nĂ©trer en ville pour Ă©couler uniquement des recharges nâest pas une opĂ©ration rentable pour euxâ!â», assure MĂ©ditel.
Est Ă©galement dĂ©noncĂ©e la concurrence dĂ©loyale de MĂ©ditel sur le segment de lâEntreprise. «âSegment le plus juteuxâ!â», relĂšvent des vendeurs. En fait, lâopĂ©rateur dĂ©tient 60 points de vente et emploie 200 personnes dĂ©diĂ©es Ă la distribution. Elles ont pour mission de suivre des clients stratĂ©giques comme les grandes entreprises dont les exigences technologiques complexes ne peuvent ĂȘtre satisfaites par les distributeurs. «âEn rĂ©alitĂ©, il sâagit dâassurer la maĂźtrise directe de la clientĂšle la plus profitable et la plus solvableâ», soutient un distributeur.
On lâaura compris, le dialogue entre les deux parties mĂ©rite dâĂȘtre rĂ©tabli dâurgence pour que chacun assume sa part de responsabilitĂ©. Dans le cas contraire, il est fort probable que cela rejaillisse sans tarder sur les parts de marchĂ© et la rentabilitĂ© de lâopĂ©rateur.
Mouna Kably |
Mohamed Elmandjra «âPas de levĂ©e dâexclusivitĂ©âsans baisse des margesâ»
MĂ©ditel a besoin dâun rĂ©seau externe structurĂ© et fort. Les distributeurs sont libres de vendre ou de fusionner. A charge pour lâopĂ©rateur de soutenir toute demande dâextension, de changement ou de regroupement de rĂ©seaux.
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Mohamed Elmandjra annonce la mise en Ćuvre du partenariat dâexclusivitĂ© avec Rotana et le lancement de plusieurs offres plus attractives grĂące Ă la baisse de tarif de lâinterconnexion.
Comment se prĂ©sentent lâexercice 2010 et vos performances commerciales dans les diffĂ©rents segments ?
MOHAMED ELMANDJRA : Au-delĂ des donnĂ©es conjoncturelles, MĂ©ditel sâinscrit dans une dynamique Ă moyen terme et ses performances actuelles rĂ©sultent dâune stratĂ©gie adoptĂ©e depuis deux ans, soutenue par un programme dâinvestissement de 4,2âmilliards de dirhams. Ainsi, nous avons renforcĂ© notre leadership sur le Mobile prĂ©payĂ© et dĂ©veloppĂ© de nouveaux gisements de croissance comme lâEntreprise, lâInternet et le PostpayĂ© notamment. Bien Ă©videmment, le marchĂ© connaĂźt actuellement une phase de croissance moins importante que par le passĂ© et une concurrence plus accrue. Mais, MĂ©ditel maintient son programme de dĂ©veloppement indĂ©pendamment de facteurs externes. Plus globalement, depuis 2009, nous entamons un nouveau tournant avec un renversement de tendance qui se confirme en 2010. En effet, historiquement, les performances de MĂ©ditel ont Ă©tĂ© infĂ©rieures Ă celles du marchĂ©. Pour la premiĂšre fois, lâopĂ©rateur boucle son exercice avec une croissance de 2,2â% et ce, dans un marchĂ© stagnant, donc supĂ©rieure au marchĂ©. AprĂšs un dernier trimestre 2009 record, notre chiffre dâaffaires a gagnĂ© +11â% Ă fin mars 2010 dans un marchĂ© qui semble reprendre.
Quelles sont les avancĂ©es concrĂštes sur le segment de lâEntreprise ?
Nous rĂ©alisons une croissance Ă deux chiffres et nous avons remportĂ© de nouveaux marchĂ©s comme la gestion du rĂ©seau Marwane du ministĂšre de lâEducation nationale, la gestion du passeport biomĂ©trique au sein du ministĂšre de lâIntĂ©rieur, les rĂ©seaux de plusieurs banques et de plusieurs entreprises internationales. Sur les douze derniers mois, MĂ©ditel a rĂ©alisĂ© plus de business dans le secteur public que durant les huit derniĂšres annĂ©es !
Quelles sont les actions programmées dans les prochains mois pour consolider vos parts de marché ?
Nous avons, dans le pipe, de gros programmes, comme la mise en Ćuvre de partenariats dâexclusivitĂ© avec Rotana et le lancement de nouveaux produits.
Comment envisagez-vous de faire profiter votre clientĂšle de la baisse des tarifs de lâinterconnexion rĂ©cemment dĂ©cidĂ©e par lâANRT ?
En pratique, MĂ©ditel va pouvoir proposer des offres qui incluent la connexion sur le rĂ©seau Maroc Telecom, Ă un coĂ»t plus bas. Donc, nos offres seront Ă la fois plus intĂ©ressantes et plus abondantes. Je salue la dĂ©marche de lâANRT qui a pris le temps dâanalyser le marchĂ©, avant de statuer. En rĂ©alitĂ©, nous avions dĂ©jĂ devancĂ© cette dynamique en lançant, en juin dernier, le produit « Minutes libertĂ© », une offre de gratuitĂ© vers tous les opĂ©rateurs. Ce produit met un terme Ă lâesprit de club qui a prĂ©valu jusque-lĂ . Il faut juste prĂ©ciser quâinwi bĂ©nĂ©ficiait dĂ©jĂ de cette asymĂ©trie des tarifs de lâinterconnexion.
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En 2006, MĂ©ditel avait encouragĂ© les distributeurs Ă commercialiser le Fixe en rĂ©duisant les commissions sur le Mobile, mais les rĂ©sultats nâont pas Ă©tĂ© au rendez-vous. Quâen pensez-vousâ?
Pour commencer, il sâagit du Fixe rĂ©sidentiel. MĂ©ditel avait fait un choix technologique (WiMax) trop avant-gardiste et coĂ»teux, qui ne permettait pas une diffusion Ă grande Ă©chelle. Cette technologie sophistiquĂ©e se prĂȘte davantage Ă lâEntreprise, dâoĂč le revirement opĂ©rĂ© depuis, sur ce segment de marchĂ©. Avec le recul, certes, le choix technologique et Ă©conomique sâest avĂ©rĂ© inopportun, mais câest un moindre mal car, Ă lâĂ©chelle mondiale, le Fixe rĂ©sidentiel est en perte de vitesse. Toutefois, au moment de lancer ce produit, MĂ©ditel avait mis en place, en toute bonne foi, un dispositif dâaccompagnement destinĂ© Ă faire profiter les distributeurs. Le succĂšs nâa pas Ă©tĂ© au rendez-vous. Mais câest lâanticipation de gains importants qui a alimentĂ© la dĂ©ception des distributeurs car lâimpact rĂ©el sur leur chiffre dâaffaires est restĂ© minime. Certains dâentre eux, qui se sont concentrĂ©s sur lâactivitĂ© MĂ©ditel, ont rĂ©investi dans dâautres segments et procĂ©dĂ© Ă des rĂ©ajustements. Dâautres se sont dispersĂ©s en investissant dans dâautres secteurs, comptant sur les gains que devait gĂ©nĂ©rer le Fixe rĂ©sidentiel.
Face Ă cette situation, il fallait prendre des mesures compensatoires. Quâavez-vous entrepris Ă votre arrivĂ©e ?
Jâai enchaĂźnĂ© plusieurs rĂ©unions avec les distributeurs pour analyser la situation. Parmi les mesures gĂ©nĂ©riques dont ont bĂ©nĂ©ficiĂ© tous les distributeurs, le rĂ©Ă©quilibrage de la structure des commissions. Ainsi, au lieu de favoriser le Fixe rĂ©sidentiel, nous avons revalorisĂ© celles des segments de lâEntreprise, du PostpayĂ© et de lâInternet 3G. Ensuite, pour les problĂ©matiques spĂ©cifiques, (ressources humaines, trĂ©sorerie, capillaritĂ©), nous avons mis au point des programmes individuels dĂšs le dĂ©but 2009. Lâobjectif est dâaider les structures en difficultĂ©, sans pour autant nĂ©gliger les autres distributeurs pour que ces derniers continuent Ă Ă©voluer. Ceux qui ont adhĂ©rĂ© Ă cette nouvelle dynamique ont dĂ©gagĂ© des marges de plus de 20%. Câest la preuve que nous nous inscrivons dans un partenariat win win.
Des distributeurs se trouvent, aujourdâhui, en difficultĂ©. Est-ce parce quâils ont refusĂ© de vous suivre ?
A mon arrivĂ©e, il y avait plus dâun distributeur en difficultĂ©. Nous nous sommes engagĂ©s Ă rĂ©soudre tous leurs problĂšmes. Mais les sociĂ©tĂ©s de distribution sont avant tout des entreprises indĂ©pendantes. Avec lâaccord prĂ©alable de MĂ©ditel, elles sont libres de vendre ou de fusionner entre elles. Depuis deux ans, nous avons soutenu et accompagnĂ© toutes les demandes dâextension, de changement ou de regroupement de rĂ©seaux. Nous sommes avant tout partenaires et MĂ©ditel a besoin dâun rĂ©seau externe structurĂ© et fort.
Vers quel modĂšle de distribution vous acheminez-vous ? La levĂ©e de lâexclusivitĂ© est-elle envisageableâ?
Incontestablement, MĂ©ditel a optĂ© pour un rĂ©seau de distribution hybride en majoritĂ© externalisĂ©. Nous ne dĂ©tenons pas plus de 60 points de vente en direct sur un total de 1 100. Quant Ă la levĂ©e de lâexclusivitĂ©, elle ne peut ĂȘtre envisagĂ©e sans une baisse consĂ©quente des marges. Les distributeurs sont-ils prĂȘts Ă accepter une telle concession, Ă lâinstar de leurs confrĂšres Ă lâĂ©trangerâ? Le plus important est dâarriver Ă un compromis acceptable Ă la fois pour MĂ©ditel et ses distributeurs. Ce pari nous lâavons rĂ©ussi avec une trĂšs grande majoritĂ© dâentre eux.
Propos recueillis par Mouna Kably |
Et la gouvernance ?
«En tant que DG, je bĂ©nĂ©ficie de toute la latitude pour gĂ©rer MĂ©ditel au plan opĂ©rationnel tout en me concertant Ă©troitement avec les actionnaires », assure Mohamed Elmandjra. Outre les conseils dâadministration, des Business Review mensuels sont tenus en prĂ©sence des deux actionnaires, FinanceCom et CDG.
«âLa gestion de lâentreprise est aujourdâhui dâautant plus aisĂ©e que les deux actionnaires ont la mĂȘme vision stratĂ©giqueâ», rappelle-t-il. Concernant lâentrĂ©e dâun opĂ©rateur tĂ©lĂ©com international dans le tour de table, les prises de contact sont en cours. « Il faut que lâarrivĂ©e dâun nouvel actionnaire se traduise par une valeur ajoutĂ©e et quâelle sâeffectue Ă des conditions bĂ©nĂ©fiques », rĂ©itĂšre le DG de MĂ©ditel. Quant Ă son introduction en Bourse, elle doit rĂ©pondre Ă un besoin de financement de lâentreprise ou de liquiditĂ© de ses actionnaires. «âAujourdâhui, MĂ©ditel nâa pas besoin de cash et a les moyens de ses ambitions. Aux actionnaires de dĂ©cider de lâopportunitĂ© dâouvrir le capital.» Dont acte.âš |
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