LâAVIS DE ...
Khalid Cheddadi «âCâest le moment de sauter le pasâ»
Le scĂ©nario alternatif devrait placer la CIMR au cĆur du rĂ©gime complĂ©mentaire obligatoire du privĂ©. Point de vue de son prĂ©sident sur lâimpact de la rĂ©forme.
Le challenge de la prochaine Ă©tape consistera Ă convaincre lâensemble des parties prenantes, tout en conservant lâĂ©quilibre entre compĂ©titivitĂ© Ă©conomique et financement des dĂ©ficits.
Le cabinet Actuaria vient de remettre son rapport. Quelle est votre analyse ?
KHALID CHEDDADIâ: Au dĂ©part, cinq scĂ©narii ont Ă©tĂ© identifiĂ©s. Aucun ne rĂ©pondait aux besoins du marchĂ©. Le consultant nous a ensuite proposĂ© un scĂ©nario alternatif qui semble respecter le juste Ă©quilibre entre trois piliersâ: dâune part, le rĂ©gime de base et le rĂ©gime complĂ©mentaire obligatoire, gĂ©rĂ©s en rĂ©partition et dâautre part, le rĂ©gime facultatif gĂ©rĂ© par capitalisation. Ce schĂ©ma semble rĂ©pondre aux impĂ©ratifs de gĂ©nĂ©ralisation de la couverture et dâamĂ©lioration de la situation financiĂšre du systĂšme de retraite ainsi que sa pĂ©rennisation. MalgrĂ© les zones dâombre, le travail accompli au Maroc et le projet de rĂ©forme qui se dessine sont jugĂ©s remarquables par les experts de lâAISS (Association internationale de sĂ©curitĂ© sociale), de la Banque mondiale et du consultant qui nous accompagne.
Si ce scénario est retenu, quelles seront les retombées sur la CIMR ?
La premiĂšre consĂ©quence est la gĂ©nĂ©ralisation du rĂ©gime de la CIMR. Mais, pas sous sa forme actuelle. Aujourdâhui, il sâagit dâun rĂ©gime facultatif qui sâadresse Ă une population relativement restreinte par rapport aux affiliĂ©s Ă la CNSS. Nous couvrons Ă peu prĂšs 260â000 personnes, contre plus de deux millions par la CNSS, soit un rapport de un Ă huit et demain, nous aurons Ă traiter une population plus large. Par ailleurs, aujourdâhui, les contributions sont calculĂ©es sur la totalitĂ© du salaire. Dans la solution proposĂ©e, elles le seront sur un salaire plafonnĂ© avec deux niveauxâ: 6â% pour la premiĂšre tranche et 13,80â% pour la seconde, qui sera plafonnĂ©e Ă 32â000 dirhams.
Quels sont les freins susceptibles dâen limiter la faisabilitĂ© ?
Les difficultĂ©s sont de diffĂ©rents ordres. Dâabord, câest le dĂ©sĂ©quilibre entre contributions et prestations qui Ă©tait Ă lâorigine des difficultĂ©s financiĂšres du systĂšme de retraite. Le consultant prĂ©conise donc une augmentation des contributions et une diminution des prestations. Il recommande Ă©galement lâaugmentation de lâĂąge de dĂ©part Ă la retraite pour attĂ©nuer le relĂšvement des contributions ou la rĂ©duction des prestations. A prĂ©sent, il faut convaincre les diffĂ©rentes parties et trouver le moyen de faire supporter ces niveaux de prestation Ă lâĂ©conomie marocaine et de financer les dĂ©ficits antĂ©rieurs.
Quels sont les impératifs de la CIMR ?
La CIMR gĂšre un rĂ©gime de retraite facultatif privĂ© qui a Ă©tĂ© construit par ses entreprises adhĂ©rentes et gĂ©rĂ© de façon responsable, ce qui lui confĂšre le statut du seul rĂ©gime pĂ©renne, aux dires mĂȘme des experts du cabinet Actuaria. Sa transformation en rĂ©gime obligatoire va induire un changement structurel, acceptable sâil sauvegarde son autonomie et ses Ă©quilibres financiers de long terme.
Quelles erreurs ne pas reproduire pour boucler ce chantier entamé en 2004 ?
Je ne pense pas que ce chantier ait traĂźnĂ©. Le dossier, trĂšs complexe, implique plusieurs intervenants. Il faut ĂȘtre pĂ©dagogue et Ă©viter la dĂ©magogie pour fĂ©dĂ©rer toutes les parties. La premiĂšre erreur serait de ne pas prendre de dĂ©cision et de traĂźner. Aujourdâhui, nous avons une opportunitĂ© dĂ©mographique avec une population plutĂŽt jeune. Notre pyramide des Ăąges nâest pas encore inversĂ©e, ce qui rendra la rĂ©forme utile socialement et moins coĂ»teuse financiĂšrement. Notre insuffisance de couverture peut sâavĂ©rer un avantage puisque nous sommes dans des systĂšmes de gestion par rĂ©partition. En effet, la population des actifs cotisants sera trĂšs importante alors que celle des retraitĂ©s sera nulle au dĂ©part avant de progresser lentement. Nous disposerons donc dâune manne financiĂšre importante qui peut servir au financement dâune partie des dettes antĂ©rieures. La seconde erreur serait de ne pas aller jusquâau bout, sous prĂ©texte quâune rĂ©forme systĂ©matique serait lourde de consĂ©quences au plan social et dâopter pour de petites rĂ©formes pour retarder lâĂ©chĂ©ance.
Propos recueillis par K. E. H.
Fouad Benseddik «âTout est affaire de volontĂ© politiqueâ»
Lâexpert des questions sociales en entreprise propose un minimum vieillesse aux femmes au foyer et aux salariĂ©s de lâinformel. Une mesure recommandĂ©e par lâOrganisation internationale du Travail.
Fouad Benseddik est formel. La rĂ©forme de la retraite est avant tout une dĂ©cision dâordre politique. Mais il ne manque pas dâexprimer son scepticisme.
Quel scénario est selon vous le plus indiqué ?
FOUAD BENSEDDIKâ: Câest dĂ©jĂ bien de vouloir sortir de la situation actuelle. Mais sur ces affaires, la mĂ©thode conditionne lâaction. Jusquâici, les dĂ©cisions ont souvent Ă©tĂ© prises sans vision Ă long terme. RĂ©sultatâ: seuls les salariĂ©s solvables sont couverts par des rĂ©gimes non solidaires entre eux et donc plus coĂ»teux (CIMR, CNSS, RCAR, CMR). Unifier tous ces acteurs serait une idĂ©e rationnelle. Mais elle prendra du temps. IsolĂ©e, elle ne rĂ©soudrait que partiellement le problĂšme. Le paradoxe marocain est que la dĂ©mographie est jeune (70â% de la population a moins de 30 ans), tandis que les affiliĂ©s Ă un rĂ©gime de retraite constituent une pyramide des Ăąges proche de celle des pays industrialisĂ©s. Ces derniers sont confrontĂ©s au dĂ©sĂ©quilibre entre actifs et retraitĂ©s.
Cette situation est liĂ©e Ă la part prĂ©pondĂ©rante de lâinformel et Ă lâentrĂ©e de plus en plus tardive sur le marchĂ© du travail. De plus, une grosse partie de la population active, comme les salariĂ©s de lâartisanat ou de lâagriculture, est aujourdâhui dĂ©protĂ©gĂ©e. Tout comme les professions libĂ©rales qui nâont aucune couverture organisĂ©e.
Un rĂ©gime de base unique gĂ©rĂ© par la CNSS et un rĂ©gime complĂ©mentaire bipolaire semblent favorisĂ©s. Quâen pensez-vous ?
Avant de choisir lâorganisme gestionnaire, le plus important est de dĂ©terminer le modĂšle dâassurance souhaitable. La CNSS est un acteur de rĂ©fĂ©rence du secteur privĂ©, et câest aux partenaires sociaux qui la financent de dĂ©cider sâils veulent mutualiser leurs ressources avec celles du secteur public. Attention aussi aux effets de taille. La CNSS gĂšre dĂ©jĂ les allocations familiales, la maladie, le remplacement du salaire dans les situations de maladies et de maternitĂ©. Il faut instaurer des murailles Ă©tanches entre la trĂ©sorerie de toutes ces branches. Toutefois, lâoption dâun rĂ©gime universel de base, obligatoire et gĂ©rĂ© par rĂ©partition est un modĂšle qui marche dans de nombreux pays. Ensuite, un deuxiĂšme pilier porterait sur un rĂ©gime complĂ©mentaire obligatoire dont il faudra dĂ©terminer le mode de gestion, par rĂ©partition ou capitalisation, mais qui soit paritaire. Un troisiĂšme pilier pourrait complĂ©ter ce dispositif, sous forme volontaire, individuelle par capitalisation.
Reste Ă savoir si, parallĂšlement, le Maroc se dotera ou non dâun rĂ©gime dâappui aux personnes pauvres et ĂągĂ©es. Un rĂ©gime de pension est censĂ© protĂ©ger, ne serait-ce quâun minimum, les personnes dĂ©pendantes. Il est possible de rĂ©pondre Ă ce besoin, non par des prĂ©lĂšvements sur les salaires, mais par lâimpĂŽt. Accorder un minimum vieillesse, par exemple 500 dirhams par mois, Ă des mĂšres de plus de 60 ans qui nâont aucun revenu, ou Ă des hommes qui ont travaillĂ© toute leur vie dans lâinformel, est une mesure dâĂ©quitĂ© rĂ©alisable. Elle est recommandĂ©e par lâOrganisation internationale du Travail et expĂ©rimentĂ©e avec succĂšs dans des pays en dĂ©veloppement.
Quelles sont les erreurs à éviter pour accélérer le rythme de cette réforme en suspens depuis des années?
Dâabord, mettre fin Ă lâopacitĂ© des travaux et impliquer davantage les parties prenantes dont les intĂ©rĂȘts sont directement en jeu. Ensuite, ne plus donner lâillusion que la question est seulement dâordre technique, car elle dĂ©coule autant des choix politiques.
Propos recueillis par Khadija El Hassani |