Le tramway de la capitale Ă©conomique est ouvert au public depuis le 13 dĂ©cembre. Entre les critiques liminaires et les premiĂšres apprĂ©hensions, difficile de prendre position. actuel a voulu en avoir le cĆur net. Voyage Ă travers quarante stations et plus de deux heures au cĆur du tramway de Casablanca.
Gare de AĂŻn Diab. Huit heures du matin. Un agent de Casa Tramway prend les piĂšces de monnaie de la main des passagers, manipule la machine et leur remet les tickets. Certains refusent de se faire guider et prĂ©fĂšrent utiliser les autres machines. «ââJâhabite en Angleterre. Je sais comment utiliser une machineââ!», lance un jeune immigrĂ©, venu passer le rĂ©veillon au Maroc. «âCâest pour gagner du tempsâŠâ», rĂ©pond lâagent, sans donner plus dâexplications. «âA Rabat, ils ont pourtant tout bien expliquĂ©â», affirme une passagĂšre. Dommage pour notre rĂ©sident Ă lâĂ©tranger. Les autres machines sont hors service⊠pour le moment. Le tramway dĂ©marre. Les accĂ©lĂ©rations semblent assez rapides et les freinages plutĂŽt brusques. «âIl faut rattraper le temps perduâ!â», ironise un passager. A lâintĂ©rieur, les siĂšges changent de ceux de Mâdina busâ! De couleur mauve, ils sont agrĂ©ables et confortables. Lâambiance sonore est loin dâĂȘtre agressive. Douce Ă lâoreille. «âJâai immĂ©diatement commencĂ© Ă prendre le tramway pour me rendre Ă mon Ă©cole. Câest pratique», partage Khalid A., jeune Ă©tudiant dans une Ă©cole de commerce.
Boulevard Ibn Tachfine
Des jeunes femmes montent. Elles travaillent dans une usine proche du terminus de Sidi Moumen. «âCa nous change des bus et des grands taxisâ», partagent-elles, soulagĂ©es. Trois arrĂȘts plus loin, la fameuse usine de Chimicolor. Dans le haut-parleur, le conducteur annonce la station Hay Raja. Des passagers se prĂ©parent Ă descendre quand le tramway freine brutalement. Un camion sâest arrĂȘtĂ© sur le chemin du tram. Plus de peur que de mal.
Sur lâune des fenĂȘtres de la rame, un autocollant prĂ©cise la charge maximale autorisĂ©e : «â168 personnes debout et 51 assisesâ». Nous sommes encore loin du compte. «âJe prends le tramway pour me rendre Ă lâhĂŽpital. Câest moins fatigant... pour le moment â», confie Malika, la cinquantaine. Mais si ces usagers optent pour le tramway pour son cĂŽtĂ© «âpratiqueâ», dâautres le prennent juste pour le plaisir. «âJe veux tester et voir de quoi il a lâair de lâintĂ©rieurâ», affirme Abdelmoula K., gĂ©rant dâun magasin de quincaillerie.
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Station du boulevard Ibnou Nafi
9h42. Le tramway est presque vide. Notre patiente descend. Deux agents de police montent. «âCâest rassurantâ», partage Ahmed, gĂ©rant de cafĂ©. Pour ce trentenaire, le tramway est un moyen de transport privilĂ©giĂ© pour ceux qui travaillent pour leur propre compte. «âJâai une carte de dix voyages. Je suis mon propre patron. Que les horaires ne soient pas encore totalement maĂźtrisĂ©s ne me gĂȘne pasâ», explique-t-il.
Mais lâarrĂȘt est plus long que prĂ©vu. Le temps pour des techniciens de fixer un panneau rectangulaire entre les deux rames. Sans doute pour empĂȘcher les imprudents de traverser par lĂ . Lâattente devient toutefois insupportable, mĂȘme pour notre gĂ©rant de cafĂ© qui finit par descendre. Huit minutes plus tard, le conducteur se dĂ©cide Ă annoncer les travaux rĂ©alisĂ©s entre les deux rames. Au niveau du terminus, Ă Sidi Moumen, les autoritĂ©s locales dĂ©montent un bidonville sous le regard stupĂ©fait de ses occupantsâ! La scĂšne nâinterpelle pourtant personne dans le cafĂ© dâen face oĂč des conducteurs de tramway sirotent leur thĂ©. En lâabsence de locaux spĂ©cifiques, le cafĂ© est improvisĂ© en «âQGâ».
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Un retour Ă haut risque
DĂ©part Ă 11h45. Un grand-pĂšre demande Ă son petit-fils de sâasseoir correctement et de se calmer «âsâil veut visiter la plage de Ain Diabâ». Une voix confirme la destination dans les haut-parleurs. A lâintĂ©rieur les discussions vont bon train sur les tickets du tramway. Vers lâavant de la rame, un jeune couple vĂ©rifie une derniĂšre fois le contenu de leur dossier de demande de crĂ©dit. «âNous nous rendons Ă un organisme de crĂ©dit afin dâobtenir un prĂȘt pour acheter une voiture. Le tramway est bien pratique. Mais câest un projet qui nous tient Ă cĆurâ», partage le jeune. Le soleil est au zĂ©nith. Mais nulle part oĂč lâĂ©viter Ă lâintĂ©rieur des rames. Les vitres sont trĂšs larges et offrent une vue panoramique imprenable sur les rues de la ville. Mais les passagers ne veulent pas jouer les touristes. «âMĂȘme Ă dos de chameau, on aurait pu y arriver plus viteâ», lance lâun dâentre eux.
A la station suivante
Trois jeunes hommes montent. TrĂšs agitĂ©s, ils attirent immĂ©diatement les regards. Les policiers les repĂšrent. Des regards sont Ă©changĂ©s. Le message est passĂ©. Les trois individus se calment. A 12h09, un motocycliste emprunte la voie ferrĂ©e. En essayant de doubler les rames, il frĂŽle la glissade. Câest suffisant pour stopper le tramway. Quelques mĂštres plus loin, un deuxiĂšme arrĂȘt sâimpose. Cette fois-ci, câest un vĂ©hicule de transport du personnel dont le conducteur nâa pas libĂ©rĂ© la voie ferrĂ©e. Un agent de la circulation le siffle. Incident rĂ©solu. «âLes Marocains ont le don de conduire nâimporte commentâ», lance une jeune Ă©tudiante qui emprunte le tramway pour se rendre Ă son Ă©cole de stylisme.
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Station Ali Yata
Les premiers «âcostumesâ» font leur apparition. Petit Ă petit, les djellabas et foulards cĂšdent la place aux jeans, pulls et brushing tendance. Autre statut social, autres sujets de discussion. «âJe nâen pouvais plus des petits taxis et de leur orgueil dĂ©mesurĂ©â», lance un passager. Pour cette catĂ©gorie, il est plus important de savoir si les horaires programmĂ©s par la sociĂ©tĂ© gestionnaire du tramway vont permettre de repartir dĂ©jeuner chez soi, entre midi et 14 heures. Le tramway sâarrĂȘte Ă 12h24 quelques mĂštres avant la station du boulevard Bahmad. Un bus bloque son passage. «âLes bus ont dĂ©sormais des adversaires de taille. ça leur apprendra Ă conduire nâimporte commentâ», ironise Ahmed B., caissier dans une agence bancaire du centre-ville. «âHeureusement que je nâaurai plus jamais Ă subir leurs humeursâ», continue-t-il.
Station Casa voyageurs
Des Ă©tudiantes montent dans le tram. Mais lâarrĂȘt, lĂ aussi, est plus long que prĂ©vu. Les minutes passent. On sâimpatiente. Les Ă©tudiantes finissent par redescendre de la rame. «âCe nâest pas le conducteur qui va nous fournir un justificatif de retardâ!â», lance lâune dâentre elles. Les passagers commencent alors Ă interpeller le conducteur. Il ne rĂ©agit pas et finit par se faire insulter. Les portes se fermeront dix minutes plus tard. «âCâĂ©tait une mauvaise idĂ©e de laisser ma voiture au garage aujourdâhuiâ», lance une jeune femme. On essaye de la rassurerâ: «âAvec le temps, la machine sera rodĂ©e.â» Un passager commence Ă sâagiter. Il dĂ©bite une dizaine de gros mots simplement pour se faire plaisir. «âCâest un fouâ», lance une jeune cadre. AussitĂŽt, un policier le somme de se taire. Le «âfouâ» s âexĂ©cute quelques minutes, puis rĂ©cidive. Le tramway sâarrĂȘte, le policier le fait descendre. «Je prendrai le suivantâ!â», promet-il. Comme quoi, tant que le tramway nâest pas encore suffisamment rodĂ©, il faudrait ĂȘtre⊠fou pour le prendre rĂ©guliĂšrement !
Abdelhafid Marzak |