Le club le plus prisĂ© de Casablanca dĂ©fie depuis trente ans toutes les rĂšgles de bonne gestion. Lâheure de la rĂ©forme a sonnĂ©. Mais pas assez vite, au goĂ»t du nouveau collectif de sauvegarde du club.
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Ca chauffe au Cercle amical français de Casablanca, le cĂ©lĂšbre CAFC. Une plainte a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e pour dissimulation de documents. Mais Ă lâheure oĂč nous mettions sous presse, le comitĂ© directeur nâen avait toujours pas Ă©tĂ© notifiĂ©. Et la tension est Ă son comble. Comment le club le plus prisĂ© de la capitale Ă©conomique en est-il arrivĂ© lĂ â? Flash-back.
Juin 2012, le prĂ©sident du club, Wladimir Chostakoff, dĂ©cĂšde aprĂšs avoir rĂ©gnĂ© durant trente ans, en maĂźtre absolu, sur ce petit domaine de vingt hectares attenant au mĂ©gaprojet de la future place financiĂšre. AussitĂŽt, des voix sâĂ©lĂšvent contre les pratiques peu orthodoxes, aggravĂ©es par une gouvernance opaque, qui ont prĂ©valu pendant ce long rĂšgne. Pour faire bouger les choses, un collectif de sauvegarde du CAFC voit alors le jour, Ă lâinitiative de certains membres. Son ambitionâ? Instaurer dâurgence une Ă©thique et des mĂ©thodes de gestion saines, conformes aux normes en vigueur. A commencer par la rĂ©forme des statuts et du rĂšglement intĂ©rieur pour les mettre en phase avec la rĂ©glementation. Le collectif rĂ©clame aussi la rĂ©habilitation du droit dâaccĂšs Ă lâinformation Ă tous les adhĂ©rents, en mettant fin Ă toute discrimination entre Français, Marocains et binationaux. Car, si le CAFC reste le club le mieux entretenu et le lieu idĂ©al de dĂ©tente en famille, de lâavis mĂȘme des frondeurs, câest avant tout grĂące Ă lâimplication des dizaines de bĂ©nĂ©voles dĂ©vouĂ©s Ă chacune des vingt-deux sections sportives, culturelles et de loisirs. Il est donc injuste que seule une minoritĂ© continue de profiter de privilĂšges indus.
De ce fait, le collectif exige que soient rendus publics les rĂ©sultats de lâaudit rĂ©cemment rĂ©alisĂ© par un cabinet de la place, Ă la demande du comitĂ© directeur. «âNous nâavons cessĂ© dâen rĂ©clamer la diffusion car tous les membres ont le droit de connaĂźtre la situation rĂ©elle du club, dâautant plus que cet audit a Ă©tĂ© financĂ© par le budget du CAFCâ», persiste et signe Alexandre Amyot du Mesnil Gaillard, membre du comitĂ© directeur du CAFC et membre fondateur du collectif de sauvegarde du club. Lors de la rĂ©union du 3 juillet 2012, le comitĂ© directeur a reconnu lâexistence de nombreuses anomalies dans la gestion passĂ©e. Le procĂšs-verbal de cette fameuse rĂ©union du 3âjuillet, dont actuel dĂ©tient une copie, fait clairement mention de nombreuses irrĂ©gularitĂ©s, Ă savoir lâexistence de comptes dĂ©biteurs non rĂ©gularisĂ©s portant sur des dĂ©penses engagĂ©es Ă titre personnel ââlors de son hospitalisationââ par le prĂ©sident dĂ©cĂ©dĂ©, sur la location des panneaux publicitaires placĂ©s dans lâenceinte du CAFC, en plus des avances sur salaires et des loyers non recouvrĂ©s auprĂšs du CFM (Cercle des Français du Maroc). Le bureau directeur a donc reconnu de maniĂšre explicite ces Ă©carts de gestion. «âNous sommes en train de travailler dans le cadre dâune commission paritaire qui rĂ©unit quatre anciens et quatre opposants, pour rĂ©former les statuts et le rĂšglement intĂ©rieur, lancer des appels dâoffres auprĂšs de six grandes fiduciaires de la place, et rĂ©examiner les appels dâoffres pour le gardiennage, la police dâassurance et les espaces publicitairesâ», assure Jean-Claude Butel, prĂ©sident intĂ©rimaire du club, Ă©lu tout rĂ©cemment pour une annĂ©e. De mĂȘme, affirme-t-il, les comptes dĂ©biteurs sont en cours de rĂ©gularisation. Quant aux rĂ©sultats de lâaudit, ils devraient ĂȘtre examinĂ©s ce lundi 10 dĂ©cembre, par la mĂȘme commission paritaire. «âUne fois les travaux terminĂ©s, lâensemble des documents sera prĂ©sentĂ© au comitĂ© directeur lors dâune assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale ordinaire et validĂ© par nos conseillers juridiquesâ», poursuit le prĂ©sident intĂ©rimaire. Tous ces chantiers devraient ĂȘtre clĂŽturĂ©s vers la mi-dĂ©cembre, avant la tenue de lâassemblĂ©e gĂ©nĂ©rale extraordinaire. Ce nâest quâĂ ce moment-lĂ que la rĂ©Ă©lection des prĂ©sidents de section pourra ĂȘtre envisagĂ©e, conformĂ©ment aux nouveaux statuts.
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PiĂšces justificatives disparues
Autre grief formulĂ© par le collectif de sauvegarde du CAFCâ: la disparition de certaines piĂšces comptables relatives aux exercices antĂ©rieurs Ă 2012, au lendemain de la rĂ©union du 3 juillet. «âOr, lâaudit en question devait porter sur lâĂ©valuation de la gestion administrative et financiĂšre du club Ă fin mai 2012, mais aussi sur les quatre exercices antĂ©rieursâ», prĂ©cise du Mesnil Gaillard. Dâautant que la loi impose de conserver, durant dix ans, toutes les piĂšces justificatives comptables. «âCes piĂšces sont nĂ©cessaires car les quitus obtenus sur les exercices antĂ©rieurs ont Ă©tĂ© votĂ©s sur la base de comptes non conformes Ă la rĂ©alitĂ© et non validĂ©s par un commissaire aux comptesâ», dĂ©nonce le membre-fondateur du collectif. Or, le contrĂŽle de ces exercices est incontournable pour mettre le club en conformitĂ© avec les statuts et le rĂšglement intĂ©rieur.
De plus, ce nâest quâĂ la lumiĂšre de lâĂ©volution des recettes et charges des annĂ©es passĂ©es quâil sera possible dâĂ©laborer, sur des bases saines, le budget 2012/2013, et de valider le montant des cotisations, comme le stipule lâarticle 6 du rĂšglement intĂ©rieur du CAFC. «âSi le futur prĂ©sident Ă©lu juge nĂ©cessaire dâĂ©valuer les comptes passĂ©s, rien ne lâen empĂȘchera. Simplement, les quitus qui avaient Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©s ont Ă©manĂ© non pas dâune poignĂ©e de personnes, mais de plus de trois cents membres, prĂ©sidents de sections et membres de comitĂ©sâ», prĂ©cise Jean-Claude Butel.
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Un dispositif bien verrouillé
A entendre les deux parties, il semble que tout le monde soit dâaccord sur la nĂ©cessitĂ© de changer les pratiques et de marquer une rupture avec le passĂ©. Les divergences portent davantage sur le rythme des rĂ©formes et le passage de tĂ©moin entre gĂ©nĂ©rations. «âIl faut se rendre Ă lâĂ©vidence, il ne peut y avoir de rupture tant que le comitĂ© directeur est constituĂ© des mĂȘmes membres que par le passĂ©â!â», argue Alexandre du Mesnil Gaillard. Dâailleurs, il est important de relever que le rĂšglement intĂ©rieur avait Ă©tĂ©, en toute illĂ©galitĂ©, modifiĂ© par le prĂ©sident dĂ©funt pour lui permettre de nommer les prĂ©sidents de section qui, Ă leur tour, «âlui rendaient la politesseâ» en le confirmant Ă la prĂ©sidence du CAFCâ! Un dispositif bien verrouillĂ© qui a permis aux prĂ©sidents de section et du club de conserver la mainmise sur les postes clĂ©s, ouvrant la voie aux dĂ©rapages et aux abus. Pourtant, les statuts du club imposent lâĂ©lection, par tous les membres, et pour une durĂ©e de trois ans seulement, des prĂ©sidents de section qui siĂšgent au comitĂ© directeur⊠sachant que, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les dispositions prĂ©vues par les statuts ont plus de poids que le rĂšglement intĂ©rieur. Le CAFC, qui nâest pas Ă une spĂ©cificitĂ© prĂšs, rĂ©ussira-t-il sa mueâ? La vigilance, de part et dâautre, est requise pour rĂ©ussir le grand saut sans cĂ©der aux luttes intestines, et rĂ©habiliter la rĂ©putation du club le plus couru du Royaume.
Mouna Kably |