La loi est en vigueur depuis trois mois. Mais elle nâest toujours pas appliquĂ©e. Certains ignorent son existence, dâautres essaient de la contourner.
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Les mauvaises habitudes ne sont pas prĂšs de changer. Les entreprises marocaines continuent Ă souffrir de dĂ©lais de paiement excessivement longs. Mais depuis lâentrĂ©e en vigueur de la loi 32-10, elles ne font rien pour changer les pratiques. «âDans notre secteur, nous nâavons perçu aucun changementâ», affirme Mohamed Hifdi, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration du transport de la CGEM. Les professionnels du transport comptaient sur cette loi pour amĂ©liorer et Ă©quilibrer leurs rapports aux clients. «âNous avions fait des propositions dâamendement Ă cette loi pour y intĂ©grer nos problĂ©matiquesâ», explique Hifdi. Mais rien de ce quâils espĂ©raient nâa Ă©tĂ© pris en compte. RĂ©sultatâ: «âJe suis obligĂ© de payer mes fournisseurs de pneumatiques dans un dĂ©lai de six mois, car ma trĂ©sorerie ne me permet pas de faire autrement. Jâattends dâĂȘtre payĂ© pour, Ă mon tour, rĂ©gler mes partenairesâ», confie Mohamed Hifdi. Information confirmĂ©e par le chef dâune agence bancaire, sous couvert dâanonymat. «âBeaucoup de nos entreprises clientes continuent Ă payer leurs fournisseurs avec des effets qui ne sont pas toujours honorĂ©s Ă temps. Nous sommes constamment derriĂšre elles pour les inciter Ă alimenter leurs comptesâ», ajoute-t-il.
En thĂ©orie, le principe est simple. Pour rĂ©gler ses fournisseurs, lâentreprise doit se faire payer par ses clients. Sur le terrain, câest tout autre chose. Les entreprises aux ressources financiĂšres limitĂ©es se retrouvent prises dans un interminable cycle de retards de rĂšglement. Rares sont les entitĂ©s qui respectent les dĂ©lais de paiement prĂ©vus par la loi 32-10. Seules les entreprises Ă©trangĂšres observent la rĂšgle car elles se soumettent Ă des dĂ©lais contractuels, en vigueur dans leurs pays dâorigine, qui sont en gĂ©nĂ©ral beaucoup plus courts.
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Charité bien ordonnée...
Au Maroc, Ă chaque fois quâune loi est votĂ©e, les premiĂšres pratiques pour tenter de la contourner ne tardent pas Ă voir le jour. «âIl suffit, par exemple, de ne pas enregistrer la facture dans les dĂ©lais souhaitĂ©s afin que celle-ci ne soit pas traitĂ©e dans les tempsâ», souligne Hifdi. Autre exemple de pratique couranteâ: un mois aprĂšs la rĂ©ception de la facture, le client la retourne au fournisseur pour un pseudo-vice de forme ou une Ă©ventuelle mise Ă jour. Le fournisseur doit alors Ă©diter une nouvelle facture et apposer une nouvelle date sur lâeffet commercial. Comment, dans ces conditions, accĂ©lĂ©rer lâadhĂ©sion des TPE et PME marocaines Ă cette nouvelle loi sur les dĂ©lais de paiementâ? Pour Omar Mounir, vice-prĂ©sident de lâAssociation marocaine des producteurs de fruits et lĂ©gumes (APEFEL), «âcharitĂ© bien ordonnĂ©e commence par soi-mĂȘmeâ». En dâautres termes, lâEtat devrait donner lâexemple. Dâabord, en payant Ă temps ses fournisseurs (voir encadrĂ©). Ensuite, en remboursant, via lâadministration fiscale, les arriĂ©rĂ©s dus aux entreprises. «âLâEtat devrait ĂȘtre le premier bon payeur du Royaume. Or, des remboursements de TVA au titre des annĂ©es 2008 et 2010 nâont toujours pas Ă©tĂ© dĂ©bloquĂ©sâ», lance Omar Mounir. Pourtant, ces rĂšglements rĂ©duiraient la pression sur la trĂ©sorerie des entreprises et leur permettraient de sâacquitter Ă temps de leurs factures. En attendant, lâAPEFEL dĂ©plore le fait de ne pas avoir Ă©tĂ© consultĂ©e lors de lâĂ©laboration de la loi. «âAu contraire, nous avons Ă©tĂ© pris au dĂ©pourvuâ», lance le vice-prĂ©sident. Une rĂ©union a dâailleurs Ă©tĂ© programmĂ©e la semaine derniĂšre pour identifier les mesures Ă adopter par lâassociation. «âNotre secteur fait partie de ceux qui seront le plus impactĂ©s par cette loi. Le jour oĂč le fournisseur cessera de jouer le rĂŽle de banquier, ce secteur sera en criseâ», rappelle Mounir. Il sâagit donc, pour lâAPEFEL, de trouver dâurgence des solutions aux difficultĂ©s auxquelles est confrontĂ© le secteur, avant dâimposer un quelconque dĂ©lai.
OpĂ©rateurs et banquiers prĂ©disent donc que rien ne changera dans la pratique. Pour autant, certains patrons affirment quâil est encore trop tĂŽt pour percevoir un quelconque revirement dans les pratiques commerciales. Tel est le cas de Hatim Baraka, franchiseur de plusieurs marques Ă©trangĂšres au Maroc. «âIl faut laisser le temps aux entreprises marocaines de sâadapter Ă cette nouvelle loiâ», prĂ©conise Hatim Baraka. Dâautant quâil faut se rendre Ă lâĂ©videnceâ: beaucoup dâentreprises ne sont pas encore au courant de lâexistence mĂȘme de cette loi. MasquĂ©e par dâautres Ă©vĂ©nements, elle est passĂ©e presque inaperçue. «âLa campagne de communication autour de cette loi est insuffisante et sans impact. Il fallait accompagner et encadrer les TPE et les PMEâ», regrette Baraka. Pour accĂ©lĂ©rer sa mise en Ćuvre, il est temps de lancer une campagne de communication ciblĂ©e et pragmatique auprĂšs de tous les opĂ©rateurs.
Abdelhafid Marzak |
Avis dâexpert
Abdelilah Abderrazzak
avocat au barreau de Casablanca
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La loi 32-10 permet aux entreprises de poursuivre au tribunal. Cependant, sur le terrain, trĂšs rares sont celles qui ont recours Ă la justice. Certes, la procĂ©dure est lente et chĂšre. Mais la vĂ©ritable raison rĂ©side dans la volontĂ© du fournisseur de ne pas «âfrustrerâ» ses clients. Car, en traĂźnant son client devant les tribunaux, le risque est grand de le perdre dĂ©finitivement et de faire fuir tous les autres. Alors les patrons dâentreprises privilĂ©gient la solution amiable. Au pire, ils transmettent, par le biais dâun avocat, une mise en demeure au retardataire. Dans ce courrier, le client est invitĂ© Ă honorer ses impayĂ©s dans un dĂ©lai prĂ©cis. Si, au terme de ce dĂ©lai, le client ne rĂ©agit pas, le fournisseur est libre de porter le dossier devant la justice. Pour les quelques dossiers qui aboutissent devant les juges, les entreprises lĂ©sĂ©es demandent le paiement du montant de la facture objet du litige, majorĂ© des indemnitĂ©s de retard. Bien que la loi ait fixĂ© un taux de pĂ©nalitĂ© au moins Ă©gal au taux directeur de Bank Al-Maghrib majorĂ© de sept points de base, le montant final des indemnitĂ©s est laissĂ© Ă la seule discrĂ©tion du juge. Que faire alors quand le client est une administration qui refuse de payerâ? De plus en plus dâentreprises osent rĂ©clamer le paiement de leurs factures devant les tribunaux administratifs. Dâabord grĂące Ă la gĂ©nĂ©ralisation de ces tribunaux Ă travers tout le Royaume. Ensuite, les entreprises dont la gestion est transparente ont le courage dâester en justice. En pratique, un mĂ©moire est envoyĂ© au ministĂšre de tutelle de lâadministration en dĂ©faut de paiement. Si, soixante jours aprĂšs la date dâenvoi du mĂ©moire, lâentreprise ne reçoit aucune rĂ©ponse, elle est alors en droit de saisir le tribunal administratif.
A.M. |
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