Chaque annĂ©e, le Royaume se transforme en champ de bataille, le temps de Achoura. Au fil des ans, cette fĂȘte sâest transformĂ©e en une journĂ©e dâaccidents dus aux pĂ©tards et autres feux dâartifices. Des produits pourtant prohibĂ©s par loi.
Câest le calme avant la tempĂȘte. A quelques jours de Achoura, les prĂ©paratifs vont bon train pour satisfaire les premiers clients de cette fĂȘte religieuse. Les marchands ambulants ont troquĂ© leurs chaussettes, pulls et autres «âhmouzâ» habituels, contre une marchandise dâun tout autre genre. Câest que, chaque annĂ©e, le scĂ©nario est pratiquement le mĂȘme. A lâapproche de la fĂȘte de Achoura, dixiĂšme jour de Muharram, premier mois de lâannĂ©e musulmane, parents et enfants frĂ©quentent le plus cĂ©lĂšbre quartier commercial de Casablanca. Objectifâ: sâĂ©quiper en pĂ©tards et autres feux dâartifices en vue de les utiliser durant la semaine de Achoura. Les vendeurs ambulants habituĂ©s du quartier Derb Omar ont vite fait dâoccuper les lieux de passage stratĂ©giques. Les nouveaux arrivĂ©s, opportunistes, prennent place dans les quelques endroits encore libres.
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Renouveler lâengouement
Pour commercialiser leurs produits, les fournisseurs rivalisent dâingĂ©niositĂ©. Ils sont allĂ©s jusquâĂ donner Ă leurs articles des noms de personnalitĂ©s politiques emblĂ©matiques du Printemps arabe. «âLâengouement sur ce modĂšle sera inhabituel, mĂȘme si le produit en lui-mĂȘme nâest pas nouveau. Il suffit de voir la rĂ©action des clients qui ont dĂ©jĂ fait leurs coursesâ», analyse un vendeur. Surtout que les prix de ces artifices sont accessiblesâ: entre 15âdirhams et 150âdirhams, pour des marges variant de 10âdirhams Ă 45âdirhams selon le type dâartifice. Le principe mĂȘme dâattribuer des noms nâest pas nouveau. Chaque annĂ©e, les fournisseurs sâappuient sur des Ă©lĂ©ments de lâactualitĂ© Ă©conomique, politique ou encore sportive pour baptiser leurs marchandises. Mais dâoĂč proviennent ces produitsâ? Comment sont-ils introduits au Marocâ?
Il y a encore quelques annĂ©es, ces produits pouvaient ĂȘtre importĂ©s sans aucune difficultĂ©. «âDepuis les attentats du 16 mai 2003, la donne a changĂ©â», partage un transitaire sous couvert dâanonymat. Les premiers mois, il Ă©tait devenu nĂ©cessaire dâobtenir une autorisation dâimportation du ministĂšre du Commerce. «âUne circulaire Ă©tait alors envoyĂ©e aux services de la douane afin de les informer de lâarrivĂ©e de ces produitsâ», se rappelle notre transitaire. En effet, les dispositions de lâarrĂȘtĂ© n°â1308-94, du 19 avril 1994, fixent la liste des marchandises faisant lâobjet de mesures de restrictions quantitatives Ă lâimportation et Ă lâexportation. «âDans cette liste, les artifices font bel et bien partie des produits soumis Ă une licence dâimportationâ», prĂ©cise RajaĂą Farrouk, transitaire Ă Casablanca. Une fois la marchandise au Maroc, le distributeur pouvait faire lâobjet de plusieurs contrĂŽles afin de sâassurer que la commercialisation sâeffectuait correctement, en respectant un certain nombre de critĂšres. «âAujourdâhui, cette autorisation nâest plus accordĂ©e, prĂ©cise le transitaire avant de conclure, il nây aucun doute, les produits qui circulent sur le marchĂ© marocain ont tous Ă©tĂ© introduits de maniĂšre illĂ©gale.â» MalgrĂ© cette interdiction, les stocks de ces produits sont de plus en plus massifs. Et la demande ne fait quâaugmenter.
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Campagnes de sensibilisation
Pourtant les saisies se font assez rares. Fin 2011, les services de police de TĂ©mara procĂšdent Ă la saisie dâune grosse quantitĂ© de produits pyrotechniques. La valeur de la marchandise, composĂ©e essentiellement de pĂ©tards et de feux dâartifices, est estimĂ©e Ă 20â000 dirhams. Mais les efforts fournis par les diffĂ©rentes administrations nâont aucun impact sur le dĂ©veloppement de ce marchĂ©. Les professionnels de lâimport continuent Ă alimenter leurs rĂ©seaux de distribution. Et ceux qui ont fait de ce crĂ©neau leur business ne peuvent plus lâabandonner. Lâutilisation de ces artifices est une habitude qui sâest «âincrustĂ©eâ» dans nos traditions depuis quelques annĂ©es. Au point de dĂ©ranger, dâailleurs. Câest pourquoi les associations de protection des consommateurs sâactivent depuis quelques mois pour attirer lâattention des parents sur les dangers des artifices. «âLâannĂ©e derniĂšre, nous avons menĂ© une campagne de sensibilisation, en partenariat avec lâassociation Afak, afin dâalerter les parents dâenfants en bas Ăąge sur les risques que prĂ©sente lâutilisation de pĂ©tards et artificesâ», explique Madih Ouadih, prĂ©sident de lâassociation Uniconso, pour la protection des consommateurs. Des supports dâaffichage mobiles ont sillonnĂ© les rues pour lâoccasion. Plusieurs centaines de familles ont Ă©tĂ© approchĂ©es. Cette annĂ©e, lâobjectif est plus difficile Ă atteindre. «âNous manquons cruellement de fondsâ», se dĂ©sole Ouadih.
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Quand ça se termine aux urgences
Si les autoritĂ©s et les associations sâactivent contre ces produits, câest parce quâils prĂ©sentent un rĂ©el danger pour la santĂ© des citoyens, en particulier les enfants. Les mĂšches courtes et les Ă©clats dâobjets envoient beaucoup dâimprudents aux urgences. «âContrairement Ă ce lâon pense, les pĂ©tards sont trĂšs puissants. Certains modĂšles peuvent blesser. Le non-respect du mode dâemploi du fabricant peut mĂȘme causer lâamputation dâun doigt, voire plusâ», explique SaĂŻda Salah, mĂ©decin chef des urgences de lâhĂŽpital Mohamed Bouafi, Ă Casablanca. Notre mĂ©decin en sait quelque chose puisque, chaque annĂ©e, la mĂȘme histoire se rĂ©pĂšte. DâaprĂšs ses statistiques, 43âenfants ont Ă©tĂ© admis durant les trois derniers jours de Achoura en 2010, dont 21âcas dâimprudence. En 2011, le nombre de cas dâimprudence enregistrĂ©s Ă©tait de 18. En moyenne, le service dâurgence reçoit trois enfants blessĂ©s, toutes les 12 heures. Durant cette pĂ©riode, les brĂ»lures oculaires et celles occasionnĂ©esâquand le pĂ©tard explose entre les mains sont le plus frĂ©quemment traitĂ©es aux urgences, suivies des traumatismes crĂąniens causĂ©s par les fusĂ©es qui viennent exploser au niveau de la tĂȘte des passants. «âOn se souvient tous de la mort, en 2002, dâun jeune homme suite Ă lâexplosion dâun pĂ©tard prĂšs de sa nuqueâ», partage une infirmiĂšre.
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Prise de conscience
«âCependant, force est de constater que dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale le nombre de blessĂ©s admis aux urgences pour imprudence, durant cette pĂ©riode, diminue chaque annĂ©eâ», prĂ©cise Abdelaziz Haris, directeur du Centre hospitalier prĂ©fectoral (CHP) ElâFida Mers Sultan. De plus en plus de parents prennent conscience du danger que reprĂ©sentent ces produits. Probablement grĂące au nombre grandissant dâhistoires de victimes de ces jouets «âexplosifsâ» qui ne font pas que des heureux. A quelque chose malheur est bon.
Abdelhafid Marzak |