Dans toute bataille, lâanticipation est capitale. Pour conserver leurs avantages fiscaux menacĂ©s par les mesures dâĂ©conomies budgĂ©taires, les promoteurs immobiliers ont concoctĂ© un argumentaire de choc. Analyse.
Pas de mystĂšre, pour prĂ©server leur avantage fiscal, acquis avec force lobbying et guerre dâinfluence, les promoteurs immobiliers affĂ»tent leurs armes. Anticipant le risque dâun Ă©ventuel rĂ©amĂ©nagement des dĂ©rogations fiscales par ces temps de crise, la FĂ©dĂ©ration nationale des promoteurs immobiliers (FNPI) vient de rĂ©aliser une Ă©tude pour dĂ©fendre sa niche fiscale et son bien-fondĂ© non seulement pour le secteur, mais pour lâensemble de lâĂ©conomie nationale. Et comme rien ne vaut la parole dâexperts reconnus, la FNPI a fait appel Ă trois cabinets spĂ©cialisĂ©s, dont celui de SaĂŻdi & Hdid, pour dĂ©montrer lâimpact positif des dĂ©rogations fiscales dont elle bĂ©nĂ©ficie, Ă la fois sur lâactivitĂ©, lâemploi et lâĂ©conomie nationale. Lâenjeu est de taille et le risque dâune rĂ©vision des niches fiscales est patent. «âFace aux fortes tensions sur les finances publiques, le gouvernement est Ă lâaffĂ»t de la moindre source de recettes. Par ailleurs, Ă lâoccasion des dĂ©bats parlementaires sur le projet de loi de Finances, des membres de lâopposition risquent de remettre sur le tapis la question des dĂ©rogations fiscales, en particulier, celles accordĂ©es au secteur de lâimmobilierâ», reconnaĂźt Youssef Ibn Mansour, prĂ©sident de la FNPI, en citant le cas du PAM dont des dĂ©putĂ©s pointent dĂ©jĂ le secteur comme un des principaux bĂ©nĂ©ficiaires des incitations fiscales. Or, pour les promoteurs immobiliers, rĂ©putĂ©s ĂȘtre de redoutables lobbyistes, remettre en cause le dispositif fiscal dont jouit la profession serait une erreur Ă©conomique.
Pour mieux convaincre les dĂ©putĂ©s et lâopinion publique, et surtout pour corriger son dĂ©ficit dâimage, le secteur remonte Ă la dĂ©cennie prĂ©cĂ©dente, en dĂ©veloppant son argumentaire. «âLe dispositif fiscal dont bĂ©nĂ©ficie le secteur depuis 1999, et qui a Ă©tĂ© rĂ©amĂ©nagĂ© en 2010, a permis de dynamiser lâactivitĂ©, rĂ©sorber en partie, le dĂ©ficit en logements et crĂ©er des emplois au pire moment de la criseâ», argue le prĂ©sident de la FNPI. Il en veut pour premiĂšre preuve le recul du nombre des conventions signĂ©es avec lâEtat, au lendemain de la suppression des incitations fiscales dont bĂ©nĂ©ficiait le secteur Ă la faveur du fameux article 19, de la loi de Finances 1999-2000. Ainsi, en 2008, suite Ă lâannulation de leurs incitations fiscales, ce nombre a chutĂ© de 15 Ă 1 convention, puis Ă zĂ©ro en 2009. En revanche, dĂšs que lâEtat a consenti, en 2010, de nouvelles dispositions fiscales, en faveur de lâactivitĂ© avec en plus une rĂ©duction du seuil de production Ă 500 unitĂ©s (contre 1â500 auparavant), la tendance sâest rapidement inversĂ©e. Le nombre de convention a explosĂ©, caracolant Ă 546 conventions, signĂ©es Ă fin aoĂ»t 2012 par 435 promoteurs immobiliers, pour la rĂ©alisation de 979â000 unitĂ©s de logements sociaux. «âLa rĂ©introduction des incitations fiscales a permis non seulement de booster le segment du logement social, mais ouvert la voie, pour la premiĂšre fois, Ă de nouveaux opĂ©rateurs, petits et moyens, soit 425 au totalâ», indique la FĂ©dĂ©ration.
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Explosion des emplois créés
Ceci expliquant cela, les promoteurs immobiliers brandissent un autre argumentâ: la reprise dynamique des constructions suite Ă la reconduction des incitations fiscales dans la loi de Finances 2010. Celle-ci sâest confirmĂ©e, dĂšs 2011, avec 36â937 logements sociaux, soit deux fois plus quâen 2008. Et corollaire direct de cette dynamique, lâexplosion du nombre dâemplois crĂ©Ă©sâ: celui-ci a quasiment triplĂ© Ă 59â099âpostes en comparaison Ă 2009. Autant dâarguments pour justifier le maintien de leur niche fiscale Ă lâhorizon 2020, si lâon veut rĂ©pondre aux besoins de logements sociaux supplĂ©mentaires (Ă 250â000 dirhams) estimĂ©s Ă 368â103 unitĂ©s dâici lĂ .
Mais le plaidoyer des promoteurs immobiliers ne sâarrĂȘte pas lĂ . Ils sâattaquent Ă la fausse idĂ©e relative Ă leurs supposĂ©es marges faramineuses, largement ancrĂ©e dans les esprits et nourrie par des rapports comme celui du cabinet McKinsey, commandĂ© par le ministĂšre des Finances. Pour ce faire, la FNPI a dĂ©cortiquĂ© lâavantage fiscal concĂ©dĂ© Ă lâactivitĂ© immobiliĂšre, mais qui est partagĂ©e par plusieurs intervenants de la chaĂźne.
Il est vrai que pour lâopinion publique, lâimmobilier est de loin lâactivitĂ© qui bĂ©nĂ©ficie du plus gros effort consenti en matiĂšre dâexemptions fiscales. Or, le premier constat de lâĂ©tude de la FNPI laisse apparaĂźtre que sur un total de niches fiscales, estimĂ© Ă 33âmilliards de dirhams en 2011, le secteur ne bĂ©nĂ©ficie que de 5 milliards de dirhams, rĂ©partis entre les exonĂ©rations de la taxe sur la valeur ajoutĂ©e et lâapplication des taux prĂ©fĂ©rentiels de lâimpĂŽt sur les sociĂ©tĂ©s. Soit seulement 15% des dĂ©penses fiscales globales. De plus et contrairement aux idĂ©es reçues, tout nâest pas concentrĂ© sur les programmes conventionnĂ©s de logement social. Sur un total de 40 mesures dĂ©rogatoires, seules 5 dĂ©rogations bĂ©nĂ©ficient au logement social.
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Acquéreur, principal bénéficiaire de la manne fiscale
Par ailleurs, lâĂ©tude de la FNPI dĂ©montre que le principal bĂ©nĂ©ficiaire de cette manne fiscale en faveur de lâimmobilier est lâacquĂ©reur, avec 16 mesures dĂ©rogatoires et 76,8% de la dĂ©pense fiscale. Dans la foulĂ©e, les promoteurs immobiliers dĂ©montrent, Ă partir du calcul du rendement fiscal dâune unitĂ© de logement social, que la part de lâEtat nâest pas non plus nĂ©gligeable. Chaque logement social lui permet, en effet, de dĂ©gager une recette nette de pas moins de 31â550 dirhams. RamenĂ©e au volume produit en 2011, soit 40â000 unitĂ©s, la recette fiscale engrangĂ©e par lâEtat se chiffre Ă 1,262âmilliards de dirhams. Soit bien plus que les 891 millions de dirhams rĂ©sultant de lâavantage fiscal accordĂ© aux promoteurs du logement social, conclut le prĂ©sident de la FNPI. Reste Ă en convaincre les parlementaires et la direction des ImpĂŽts Ă lâaffĂ»t de toute source de recettes par ces temps de crise.
Khadija El Hassani |