Lâexamen du projet de loi de Finances 2013, premier Ă ĂȘtre rĂ©ellement concoctĂ© par lâĂ©quipe Benkirane, vient de dĂ©marrer cette semaine. Une partie mouvementĂ©e.
Un budget sur la corde raide. Pas trĂšs convaincant, sans vision ni cohĂ©rence. A peine prĂ©sentĂ©, le projet de budget 2013 suscite dĂ©jĂ de vives rĂ©actions qui augurent des dĂ©bats houleux au Parlement. Patronat, associations professionnelles, Ă©conomistes et partis de lâopposition, chacun y va de ses critiques, mettant en lumiĂšre faiblesses et incohĂ©rences. «âCâest un budget court-termiste qui vise juste Ă gĂ©rer la crise. Et pour ce faire, il nâhĂ©site pas Ă imposer une double peine Ă lâentrepriseâ», fustige dâemblĂ©e Jamal Belahrach, prĂ©sident de la commission Emploi Ă la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale des entreprises du Maroc (CGEM), faisant allusion Ă la nouvelle taxe sur les hauts revenus. Plus que toutes les dispositions du projet de loi de Finances, câest cette mesure, jugĂ©e contreproductive, qui provoque lâire des contribuables. Elle porte sur une taxation supplĂ©mentaire sur les hauts revenusâ: 5% sur les revenus mensuels nets de plus de 50â000 dirhams et 3% sur les revenus nets mensuels situĂ©s entre 25â000 et 30â000 dirhams.
Toutefois, dans la note de prĂ©sentation du projet de loi de Finances, entreprises et personnes en situation prĂ©caire figurent parmi les principaux «âprivilĂ©giĂ©sâ». A les entendre, les patrons ne contestent pas le principe de la fiscalitĂ© solidaire, mais ils refusent que lâeffort soit mis essentiellement sur le dos de lâentreprise. Cette pression fiscale supplĂ©mentaire ne peut quâaccentuer le dĂ©ficit de compĂ©titivitĂ© de lâentreprise puisque les «âcollaborateurs, eux, nĂ©gocient leur salaire en netâ». Aussi, pour Ă©chapper Ă cette double taxation, «âla tentation des entreprises sera-t-elle forte de rĂ©gler une partie des salaires au noirâ», prĂ©viennent des patrons. Non seulement, il nâest pas sĂ»r que cette surtaxation draine des recettes additionnelles pour lâEtat, mais en plus, elle favoriserait la fraude fiscale, un flĂ©au que lâEtat a dĂ©jĂ bien du mal Ă Ă©radiquer.
Pointant du doigt le train de vie de lâEtat, les patrons estiment quâil aurait fallu rĂ©partir lâeffort Ă part Ă©gale entre Ă©conomie sur les dĂ©penses et hausse des impĂŽts. «âPour combler le dĂ©ficit des finances publiques, le gouvernement fait du braconnage. Il continue de dĂ©penser et demande aux entreprises de payer plus. Ce nâest ni acceptable ni responsableâ», tonne le prĂ©sident de la commission Emploi de la CGEM. Selon lui, avec une masse salariale de 98âmilliards de dirhams prĂ©vue en 2013, le gouvernement devrait sâattaquer dâurgence au dĂ©graissage du mammouth pour allĂ©ger ses dĂ©penses. Selon les premiĂšres estimations, vu le nombre relativement limitĂ© de cadres concernĂ©s par cette taxe de solidaritĂ© ââsoit moins de 150â000 salariĂ©sââ, les recettes additionnelles seraient dĂ©risoires, si la proposition du gouvernement rĂ©siste Ă lâexamen des dĂ©putĂ©s. «âDe telles mesures prises sans doute Ă la hĂąte, et sans Ă©tudes approfondies, font perdre au gouvernement Benkirane toute crĂ©dibilitĂ©â», dĂ©plore Mehdi Kensoussi, dĂ©putĂ© PAM. Pour lui, une taxe sur les hauts salaires est une pure aberration. «âCâest une premiĂšre. Nous nâavons jamais vu le lĂ©gislateur faire contribuer les fonctionnaires et les salariĂ©s dans le budget. JâespĂšre quâune telle mesure ne sera pas prise au sĂ©rieux.â» Comme les patrons, le dĂ©putĂ© est aussi hostile Ă la logique du «âtout fiscalâ» adoptĂ© par le gouvernement qui cherche à «ârenflouer ses caisses, en optant pour une accentuation de la pression fiscale, au lieu dâĂ©largir lâassietteâ».
Pour leur part, des salariĂ©s estiment cette taxe injuste puisquâelle ne prend pas en compte les diffĂ©rents services dont la santĂ©, lâĂ©ducation et le logement par exemple pour lesquels ils payent le prix fort, faute dâoffres publiques valables sur les plans qualitatif et quantitatif.
Autre critiqueâ: la rĂ©duction Ă 10% de lâIS sur les PME qui dĂ©clarent un bĂ©nĂ©fice infĂ©rieur Ă 200â000 dirhams. Par cette mesure, le gouvernement entend renforcer la compĂ©titivitĂ© de lâentreprise et amĂ©liorer le niveau de croissance de lâĂ©conomie nationale. Elle permet Ă la fois dâallĂ©ger la pression fiscale sur les entreprises, et de faire reculer la fraude fiscale. Or, selon les premiĂšres rĂ©actions, le risque de voir des entreprises maquiller leurs comptes pour profiter de cette baisse est bien rĂ©el. De lâavis mĂȘme de certains patrons, escompter plus de transparence et une rĂ©duction de la fraude fiscale via de telles mesures paraĂźt plutĂŽt utopique.
Les critiques fusent aussi du cĂŽtĂ© de lâopposition oĂč de fortes attentes sont exprimĂ©es en faveur dâun allĂ©gement de la fiscalitĂ© directe sur les entreprises et indirecte sur les produits de grande consommation. Le cas des mĂ©dicaments est citĂ© en exemple. En attendant la gĂ©nĂ©ralisation des gĂ©nĂ©riques, une rĂ©duction de la TVA aurait Ă©tĂ© salutaire vu la faiblesse du pouvoir dâachat dâune large frange de la population et le manque de couverture sociale. Mais a priori, lâĂ©quipe Benkirane hĂ©site Ă affronter les lobbies de lâindustrie pharmaceutique. En revanche, elle nâa pas hĂ©sitĂ© Ă croiser le fer avec les lobbies de la construction et de la promotion immobiliĂšre en instaurant une contribution (60ââdirhams/m2) relative Ă la livraison Ă soi-mĂȘme dâun habitat. Auparavant, les superficies de 300 m2 bĂ©nĂ©ficiaient de lâexonĂ©ration.
Le patronat fait aussi de la rĂ©forme de la TVA son cheval de bataille, lâobjectif Ă©tant de ramener la grille Ă deux taux pour plus de cohĂ©rence et dâefficacitĂ©. «âIl aurait Ă©tĂ© souhaitable que le gouvernement Ă©bauche la rĂ©forme de la TVA dans ce projet pour la parachever en 2014. Mais aucun signal nâa Ă©tĂ© donnĂ© dans ce sensâ», dĂ©plore Abdelkader Boukhriss, prĂ©sident de la commission fiscalitĂ© de la CGEM. Lâune des raisons invoquĂ©e est le coĂ»t Ă©levĂ© de cette rĂ©forme, estimĂ© entre 6 et 8 milliards de dirhams.
Avis partagĂ© par lâĂ©conomiste Najib Akesbi qui sâinsurge contre le systĂšme actuel dont la victime finale est le consommateur. «âEn matiĂšre de fiscalitĂ©, la tendance mondiale est, depuis plus dâune vingtaine dâannĂ©e, aux systĂšmes synthĂ©tiques avec des taxes plus ramassĂ©es et plus cohĂ©rentes. Le Maroc avait suivi la mĂȘme orientation lors de la rĂ©forme fiscale des annĂ©es 80. Aujourdâhui, la logique semble ĂȘtre tout autreâ», dĂ©plore Akesbi. Tout porte Ă croire que ce projet ne passera pas comme une lettre Ă la poste. Le gouvernement Benkirane sera-t-il suffisamment perspicace pour faire passer la pilule aussi amĂšre soit-elleâ?
Khadija El Hassani |
TPE. Comment booster leur contribution
EstimĂ©es Ă quelque 3 millions dâunitĂ©s, les TPE ne contribuent que trĂšs modestement aux recettes fiscalesâ: soit 2 milliards de dirhams pour des recettes fiscales globales de 163 milliards de dirhams en 2011. Lâessentiel de la contribution Ă©mane dâune centaine de milliers de PME et grandes entreprises. Pourtant, de lâavis du prĂ©sident de lâUnion gĂ©nĂ©rale de lâentreprise et des professions (UGEP), proche du parti Istiqlal, Moncef Kettani, ces TPE pourraient constituer une vĂ©ritable manne et contribuer Ă renflouer les caisses de lâEtat. Commentâ? En assouplissant et en simplifiant le dispositif fiscal. LâUGEP propose un alignement sur le systĂšme français, par exemple, qui adopte une fiscalitĂ© adaptĂ©e et simplifiĂ©e pour les TPE afin de leur permettre dâintĂ©grer lâĂ©conomie formelle. Plus prĂ©cisĂ©ment, il sâagit de prĂ©voir des tranches dĂ©gressives en fonction du chiffre dâaffairesâ: par exemple, 15% sur le bĂ©nĂ©fice dĂ©clarĂ© pour les entreprises dont le chiffre dâaffaires (CA) est infĂ©rieur Ă 3 millions de dirhams, 10% pour celles dont le CA est infĂ©rieur Ă 2 millions, et 5% sur le bĂ©nĂ©fice dĂ©clarĂ© pour les entreprises dont le chiffre dâaffaires est infĂ©rieur Ă 1 million de dirhams. Et une simple attestation sur lâhonneur suffirait pour certifier le bĂ©nĂ©fice dĂ©clarĂ©. |
Avis dâexpert
Abdelkader Boukhriss,
président de la commission fiscalité de la CGEM
«âLâabsence de toute rĂ©forme fiscale structurante est pĂ©nalisanteâ»
Â
Parmi les remarques phares quâins-pire le projet de loi de Finances 2013 (PLF)â:
- MĂȘme si certaines mesures du PLF 2013 font partie des propositions de la CGEM, elles ne sont pas suffisantes pour relancer la compĂ©titivitĂ© de nos entreprises et demeurent en deçà des exigences des enjeux Ă©conomiques qui nous guettentâ;
- Lâabsence de toute rĂ©forme fiscale structurante est pĂ©nalisante, et notamment la rĂ©forme de la TVA qui aurait donnĂ© un signal fort aux opĂ©rateurs Ă©conomiquesâ;
- La reconduction de la contribution de solidaritĂ© sur les bĂ©nĂ©fices pour trois ans hypothĂšque les chances de voir aboutir une rĂ©forme de lâIS. Lâintroduction du taux rĂ©duit dâIS de 10% pour les PME rĂ©alisant un bĂ©nĂ©fice maximum de 200â000âdirhams laisse un peu dâespoir. Mais cette mesure ne peut, Ă elle seule, contribuer Ă lâamĂ©lioration de la compĂ©titivitĂ© de nos entreprises, ni Ă lâattractivitĂ© du secteur informel. On ne peut faire lâĂ©conomie dâune refonte totale du calcul de lâIS basĂ©e sur des seuils de bĂ©nĂ©fice en phase avec la rĂ©alitĂ© de notre tissu Ă©conomiqueâ;
- Toutefois, le PLF prĂ©voit la prorogation de quatre mesures incitatives pour favoriser le dĂ©veloppement du marchĂ© financier, Ă savoirâ: lâaugmentation de capital, lâintroduction en Bourse, la transformation des entitĂ©s gĂ©rĂ©es par des personnes physiques en personnes morales, et la neutralitĂ© fiscale relative aux opĂ©ration de fusion et de scissions. M.K. |
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