LâachĂšvement des travaux du tramway de Casablanca suscite encore de nombreuses interrogations. Face Ă un chantier qui nâen finit pas, la patience des Casablancais atteint ses limites.
La ville blanche aura-t-elle son tramway Ă la date du 12 dĂ©cembre 2012, annoncĂ©e par les responsables de Casa Transportâ? A en croire les propos de Youssef Draiss, directeur gĂ©nĂ©ral de Casa Transport, les dĂ©lais seront respectĂ©s. Il ne reste plus alors quâĂ sâenquĂ©rir de lâĂ©tat dâavancement des travaux, tout au long du tracĂ© du tramway, pour sâimprĂ©gner de la situation sur le terrain. Mais une telle dĂ©marche ne fera quâaccroĂźtre le doute sur le respect de la deadline annoncĂ©. Pire, elle permet de se rendre compte, de visu, dâanomalies que lâon nâaurait pas soupçonnĂ©es avant le lancement des travaux du tramway.
A commencer par lâĂ©tat des trottoirs. Tout au long du tracĂ© qui relie les quartiers Sidi Moumen et Hay Hassani, soit prĂšs dâune vingtaine de stations visitĂ©es, les trottoirs ne sont toujours pas prĂȘts. Dans leur Ă©tat actuel, ils ressemblent davantage Ă des pistes impraticables, envahies par dâĂ©normes engins. Aussi, dans les zones desservies, les piĂ©tons nâont aujourdâhui quâune seule possibilitĂ©, celle dâemprunter le passage rĂ©servĂ© au tramway, avec tous les risques auxquels ils pourraient sâexposer Ă lâavenir. A ce titre, lâexemple du tramway de Rabat est Ă©difiant.
A Casablanca, au niveau de certains passages, les trottoirs sont tout simplement inexistantsâ! (cf. photo). Les piĂ©tons nâont alors dâautres choix que dâemprunter la voie goudronnĂ©e, au pĂ©ril de leur vie.
Â
Les piétons, premiÚres victimes
A midi, sur le boulevard Abdelmoumen, le dĂ©lai dâattente est interminable, Ă tous les feux de croisement, du fait du rĂ©trĂ©cissement de la voie. En moyenne, il faut compter 10 Ă 15 minutes dâattente Ă chaque intersection. Quand le bouchon se prolonge, le circuit du tramway est alors envahi par les motards et les cyclistes. Les piĂ©tons, eux, sont obligĂ©s de cĂ©der le passage, cherchant en vain une Ă©chappatoire. Direction le centre-ville, les ruelles perpendiculaires Ă lâavenue Mohammed V se sont transformĂ©es en parking de fortune. Des pseudo-gardiens en profitent allĂšgrement, sans ĂȘtre inquiĂ©tĂ©s. A 8 heures du matin comme Ă 18 heures, au moment de la sortie des bureaux, les habitants de ces ruelles sont envahis par un nombre ahurissant dâautomobilistes, tous pressĂ©s et stressĂ©s. En attendant lâintervention des autoritĂ©s, câest la sociĂ©tĂ© de parking qui en fait les frais. Du cĂŽtĂ© du siĂšge de Bank Al-Maghrib, la rue Driss el Harti se rĂ©trĂ©cit Ă son intersection avec le boulevard de Paris, au point de permettre le passage dâune seule voiture Ă la fois. A ce niveau, les bouchons peuvent durer une trentaine de minutes. Seul avantageâ: les zones dĂ©diĂ©es aux piĂ©tons sont plus larges.
Ces problĂšmes ne sont pas lâapanage des endroits «âchicâ» de la ville. Les quartiers populaires souffrent eux aussi de problĂšmes similaires. Et les citoyens adoptent les mĂȘmes rĂ©flexes. Sur le boulevard Achouhada (Hay Mohammadi), les trottoirs sont impraticables des deux cĂŽtĂ©s de la voie. Impossible de traverser Ă pied au niveau de la sortie de lâautoroute, vu le nombre important de vĂ©hicules qui tentent dâĂ©viter cet axe toujours bouchonnĂ©. Il faut dĂ©passer Hay Mohammadi pour constater que les premiers feux de signalisation du tramway sont opĂ©rationnels. Un feu orange clignote pour mettre en garde les automobilistes sur le point de traverser les rails. Mais Ă dĂ©faut de ralentir, beaucoup dâentre eux se retrouvent coincĂ©s dans un bouchon interminable.
Les marchands ambulants sont eux aussi affectĂ©s par le circuit rĂ©servĂ© au tramway. Cela est particuliĂšrement vrai aux alentours du fameux marchĂ© de Derb Ghallef. LĂ , des vendeurs ambulants profitent, tant bien que mal, des derniĂšres semaines avant le dĂ©marrage du tramway, pour envahir les chaussĂ©es. Pendant la journĂ©e, ils garent leurs charrettes sur les rails pour vendre pastĂšques, melons et autres fruits de saison. Le soir, ils abandonnent leurs marchandises au gardien de nuit, pour les rĂ©cupĂ©rer le lendemain. Quelques mĂštres plus loin, des voitures stationnĂ©es en largeur sur la route du tram. Entre les deux, des pick-up et autres utilitaires attendent patiemment des clients. Mais oĂč iront sâinstaller ces marchands Ă la sauvette aprĂšs le lancement du tramwayâ? Ils se rabattront probablement sur les voies rĂ©servĂ©es aux voitures, aggravant la pression sur les routes goudronnĂ©es qui donnent accĂšs au marchĂ©.
Autre problĂšme. Quand le bus sâarrĂȘte pour dĂ©poser ou prendre des passagers, il faut sâarmer de patience. Car la largeur du boulevard ne permet plus de le dĂ©passer. Il suffit quâune voiture tombe en panne, ou que survienne un accident de circulation, pour que le bouchon sâĂ©tende sur plusieurs centaines de mĂštres. Pour intervenir, les ambulanciers doivent choisir des itinĂ©raires moins chargĂ©s⊠pas Ă©vident en heure de pointe.
Pour lâheure, le passage rĂ©servĂ© au tramway ne sert pas uniquement au stationnement. Illustrationâ: il est 18h, le boulevard Achouhada est le thĂ©Ăątre dâun accident de la circulation. Un bouchon se forme en quelques secondes. La police intervient. Et câest sur la ligne du tramway que lâagent rĂ©dige le constat. Quâen sera-t-il quand le tramway entrera en serviceâ?
Â
Des commerces au bord de la faillite
Tout au long du tracĂ©, des professionnels ont vu leur vie changer avec lâarrivĂ©e de ce nouveau moyen de transport. Boulevard Mohammed V, les cafĂ©s et autres enseignes de restauration rapide sentent dĂ©jĂ les premiers effets du tramwayâ: le nombre de leurs clients a baissĂ©. Quant aux vĂ©hicules de livraison, ils ne peuvent plus accĂ©der au boulevard. MalgrĂ© cela, certains commerçants restent optimistes. «âNos client sont essentiellement des salariĂ©s qui travaillent dans les environs. Ils ne partiront pas de sitĂŽtâ», affirme confiant le propriĂ©taire dâun restaurant. Sur dâautres tronçons du trajet, le constat est beaucoup plus triste. De lâautre cĂŽtĂ© du boulevard, en remontant vers la gare de Casa Voyageurs, les cafĂ©s sont quasiment dĂ©serts. «âLes clients qui ont lâhabitude de venir en voiture ne trouvent plus de place pour se garerâ», dĂ©plore un garçon de cafĂ©. Les cafĂ©s et les restaurants ne sont pas les seuls Ă en souffrir. La situation est encore plus dramatique pour les boutiques dâhabillement. Boulevard Hassan IIâ: le glacier Oliveri et les autres commerces environnants, qui profitaient des possibilitĂ©s de stationnement devant leurs locaux, sont aujourdâhui abandonnĂ©s par une clientĂšle qui a pris lâhabitude de consommer dans la voiture.
MĂȘme quand le tramway sera opĂ©rationnel, des problĂšmes persisteront. En effet, lâon constate que certaines erreurs du tramway de Rabat ont Ă©tĂ© reproduites Ă Casablanca. Ainsi, le circuit du tramway nâa pas Ă©tĂ© isolĂ© par des barriĂšres de sĂ©curitĂ©. En revanche, on sâinterroge sur lâutilitĂ© de la rangĂ©e de potelets installĂ©s sur les trottoirs. De mĂȘme, certaines zones ne sont pas desservies par le tramway alors quâelles auraient dĂ» lâĂȘtre en prioritĂ©. Câest le cas des zones industrielles de Lissasfa, de AĂŻn SebaĂą, de Bernoussi ou encore des quartiers Ă forte densitĂ© dĂ©mographique tels Al Qods, Oulfa Anassi. Tous ces quartiers nâont pas Ă©tĂ© intĂ©grĂ©s au tracĂ© de la premiĂšre ligne de tramway. Et malgrĂ© les critiques formulĂ©es Ă lâencontre de lâinterminable chantier qui envahit toute la capitale Ă©conomique, les Casablancais espĂšrent que le tir sera rectifiĂ© lors de la deuxiĂšme tranche du tramway.
Abdelhafid Marzak |