LâintĂ©rĂȘt des trois banques pour lâAfrique, qui date de deux dĂ©cennies, ne fait que sâaffermir. AprĂšs les succĂšs de BMCE et dâAWB, la BCP entre dans la danse pour avoir sa part du gĂąteau. Le point sur trois stratĂ©gies spĂ©cifiques, avec leurs enjeux et leurs risques.
La cadence sâaccĂ©lĂšre ces deux derniers mois. A peine la BCP a-t-elle bouclĂ© sa transaction avec le groupe ivoirien Atlantic Financial Group, que Attijariwafa bank est prĂȘte Ă lui emboĂźter le pas en acquĂ©rant lâUnion togolaise des Banques (UTB). LâopĂ©ration est bien avancĂ©e mĂȘme si, Ă lâheure oĂč nous mettions sous presse, elle nâavait pas encore Ă©tĂ© officiellement adjugĂ©e. De son cĂŽtĂ©, la BCP nâa pas hĂ©sitĂ© Ă miser prĂšs dâun milliard de dirhams, en augmentation de capital de la holding commune, pour prendre pied dans les sept pays de lâUnion Ă©conomique et monĂ©taire ouest-africaine (UEMOA). Soit lâĂ©quivalent en numĂ©raire des participations de AFG dans ses sept filiales. Des sommes faramineuses que nos banques locales nâhĂ©sitent pas Ă dĂ©bourser pour tisser leur toile en Afrique.
Mais quâest-ce qui motive cette soif de sâĂ©tendre au-delĂ des frontiĂšres, en particulier dans les pays de lâAfrique subsaharienne oĂč les risques politiques et mĂȘme Ă©conomiques ne manquent pasâ? «âCâest le nouvel eldorado pour nos banques qui ne peuvent plus rester confinĂ©es dans un marchĂ© domestique Ă©troit et saturĂ©.â» LâAfrique constitue un relais de croissance dont la contribution dans le rĂ©sultat net part de groupe ne va cesser de croĂźtre dans les prochaines annĂ©es, car ces pays sont dans une situation bancaire similaire Ă celle du Maroc il y a quarante ans. Aussi, le potentiel de dĂ©veloppement de ces marchĂ©s reste-t-il allĂ©chant, en dĂ©pit des divers risques, qui pourraient momentanĂ©ment perturber lâactivitĂ©, comme rĂ©cemment en CĂŽte dâIvoire ou au SĂ©nĂ©gal.
DâoĂč lâaccĂ©lĂ©ration de la course aux acquisitions entre les trois banques locales, AWB, BMCE Bank, et plus rĂ©cemment la BCP. Au lieu de prendre des participations directes, comme ses deux concurrentes, dans des banques locales ou rĂ©gionales, la banque du cheval a optĂ© pour la crĂ©ation dâune holding commune, Atlantic Bank International, dĂ©tenue Ă paritĂ© avec AFG. «âUn coup de maĂźtre car cette opĂ©ration permet Ă la BCP de rattraper son retard en assurant une prĂ©sence dans une dizaine de pays africains, reprĂ©sentant plus de 80 millions dâhabitants.â» Et câest la banque marocaine qui assurera la gestion courante de ces filiales sous la marque Banque Atlantique. Pour ce faire, la BCP vient dâobtenir toutes les autorisations des banques centrales des pays africains concernĂ©s ainsi que de Bank Al-Maghrib. La gestion effective du rĂ©seau africain devrait dĂ©marrer ce mois-ci. Les analystes Ă©mettent toutefois quelques rĂ©serves sur lâĂ©tat de santĂ© rĂ©el de ces banques, faute dâinformations suffisantes. Dâautant quâil a Ă©tĂ© fait Ă©tat de problĂšmes de fonds propres du groupe ivoirien au moment des tractations. Par ailleurs, «âle choix de la crĂ©ation dâune holding commune avec le groupe bancaire ivoirien est un gage de sĂ©curitĂ© de nature Ă partager les risques, en attendant un retour sur investissementâ», est-il soulignĂ©. Dâailleurs, le top management de la BCP se dit confiant puisquâil table sur un rĂ©sultat de 500 millions de dirhams Ă lâhorizon 2015, soit la moitiĂ© de sa mise de dĂ©part. Il est Ă©vident que les premiers effets de cette acquisition ne commenceront Ă se faire sentir quâĂ partir de 2013, une fois que les rĂ©sultats des filiales seront intĂ©gralement consolidĂ©s. Mais dĂšs dĂ©cembre 2012, lâintĂ©gration des rĂ©sultats sâeffectuera au prorata temporis.
Â
La véritable pionniÚre
Il faut garder Ă lâesprit que la BCP a Ă©tĂ© pionniĂšre dans la conquĂȘte africaine puisquâelle a crĂ©Ă©, dĂšs 1990, deux filiales Ă 100% en RĂ©publique centrafricaine et en GuinĂ©e, deux implantations dĂ©cidĂ©es pour des motifs politiques avant tout. Mais les deux filiales, qui existent toujours, ne connaĂźtront pas une expansion fulgurante car la stratĂ©gie africaine ne figurait pas dans les prioritĂ©s du top management de lâĂ©poque. La BCP attendra deux dĂ©cennies avant de sauter vĂ©ritablement le pas pour se positionner sur le continent africain, Ă lâinstar de ses deux concurrentes.
En fait, la vĂ©ritable pionniĂšre est BMCE Bank qui lancera, la premiĂšre, les jalons dâune stratĂ©gie dâexpansion africaine en acquĂ©rant une participation minoritaire dans la Banque du Mali, puis dans CrĂ©dit pour lâAgriculture, lâIndustrie et le Commerce (CAIC) au Congo Brazzaville. «âBMCE Bank a optĂ© pour des positions minoritaires, de 25% Ă 30% du capital des banques africaines, mais assorties de contrats de gestion qui lui permettent de rĂ©aliser leur mise Ă niveauâ», souligne un analyste financier. Une premiĂšre expĂ©rience rĂ©ussie puisque les deux filiales sont aujourdâhui compĂ©titives et rentables.
Â
Stratégie judicieuse
Il faudra attendre le dĂ©but des annĂ©es 2000, et lâinflexion stratĂ©gique du Maroc en Afrique, pour que BMCE Bank et Attijariwafa bank hissent en prioritĂ© leur politique dâexpansion dans la rĂ©gion subsaharienne. BMCE Bank enchaĂźne ainsi des rachats dâactions au sein de Bank Of Africa (BOA), portant de 35% Ă 58% sa participation dans le groupe malien, leader dans douze pays. «âCette stratĂ©gie sâest avĂ©rĂ©e judicieuse car le groupe dispose aujourdâhui du troisiĂšme plus grand rĂ©seau dâAfrique subsaharienne.â» De plus, celui-ci couvre non seulement les pays francophones, mais aussi anglophones, hispanophones et lusophones. Quant Ă Attijariwafa bank, elle a adoptĂ© une tout autre stratĂ©gie non moins payante. PrioritĂ© est accordĂ©e aux prises de contrĂŽle successives de banques locales, qui lui permettent de connaĂźtre les marchĂ©s et de maĂźtriser les risques, et Ă la crĂ©ation de filiales Ă part entiĂšre, mais elle reste concentrĂ©e, pour le moment, sur les pays de lâAfrique de lâOuest francophone. «âAttijariwafa bank a commencĂ© par mettre un pied au SĂ©nĂ©gal, en crĂ©ant la premiĂšre banque du pays, avant de tisser autour un rĂ©seau rĂ©gional alignĂ© sur les pratiques du groupe.â» Une stratĂ©gie dont la concrĂ©tisation requiert du temps mais qui comporte moins de risque pour la filiale de la SNI, grĂące Ă lâimplication directe du groupe dans la gestion des filiales africaines et Ă la mise en Ćuvre de pratiques bancaires Ă©prouvĂ©es.
Pour lâheure, les banques marocaines nâont pas Ă rougir de leur choixâ: la contribution des filiales africaines au rĂ©sultat net part de groupe sâamĂ©liore dâun exercice Ă lâautre. Sur le podium, la banque de Othman Benjelloun draine 35% de ses bĂ©nĂ©fices grĂące aux performances de BOA. Attijariwafa bank, qui continue dâavancer ses pions, tire 25% de ses bĂ©nĂ©fices de ses onze filiales africaines. Elle ambitionne de porter cette performance Ă 35% Ă lâhorizon 2015 en couvrant une vingtaine de pays subsahariens.
Avec lâentrĂ©e en force de la BCP, tout le challenge des prochaines annĂ©es consistera Ă optimiser la prĂ©sence des trois enseignes marocaines sur le continent pour augmenter leur force de frappe et Ă©viter la cannibalisation de leurs rĂ©seaux.
Mouna Kably & Khadija El Hassani
.
|