LâEtat a promis une baisse des prix des mĂ©dicaments. Les pharmaciens sâinquiĂštent et se disent menacĂ©s par la faillite. Les laboratoires exigent un cadre rĂ©glementaire officiel.
La rĂ©union qui sâest tenue la semaine derniĂšre entre la FĂ©dĂ©ration nationale des syndicats des pharmaciens du Maroc (FNSPM) et le ministĂšre de la SantĂ© avait un double objectif. Officiellement, il sâagissait de faire parvenir les dolĂ©ances des professionnels au ministĂšre dâEl Hossein El Ouardi avant lâapplication de la baisse des prix des mĂ©dicaments, annoncĂ©e il y a dĂ©jĂ quelques semaines. Alors quâen rĂ©alitĂ©, selon des observateurs bien informĂ©s, les professionnels se mobilisaient pour empĂȘcher la baisse des prix jugĂ©e dangereuse pour leur profession, ou du moins la limiter au strict minimum. La preuve, le prĂ©sident de la FNSPM, Ouali Amri, considĂšre la constitution dâune commission Ă la suite de cette fameuse rĂ©union juste comme «âun pas dans les nĂ©gociations Ă venirâ».
Pour rappel, fin juillet, le ministre de la SantĂ© avait dĂ©jĂ annoncĂ© une baisse de 30% Ă 60% des prix des mĂ©dicaments dâici Ă fin septembre, et la dĂ©cision avait Ă©tĂ© suivie dâun accord entre lâEtat et les industriels. Ces derniers ont donc jusquâĂ fin septembre pour Ă©puiser leurs stocks. Suite Ă quoi, ils devront rĂ©ajuster leurs tarifs. Mais pas nâimporte comment. Seuls 400 mĂ©dicaments sont concernĂ©s, et leur prix ne changera quâen dĂ©cembre 2012. Les pharmaciens, quant Ă eux, demandent tout simplement lâannulation immĂ©diate de cet accord et lâouverture dâun dialogue responsable. Et la fĂ©dĂ©ration nây est pas allĂ©e par quatre chemins. Elle dĂ©nonce le secret qui a entourĂ© la nĂ©gociation et la signature de cet accord. Pour rappeler Ă la raison le ministĂšre, des communiquĂ©s signĂ©s conjointement par le Conseil national de lâordre des pharmaciens (CNOP), les conseils rĂ©gionaux des pharmaciens dâofficine du Nord et du Sud (CRPON, CNPOS) et la FĂ©dĂ©ration nationale des syndicats des pharmaciens du Maroc multiplient les menaces de sit-in et de grĂšves. Mais la machine est dĂ©jĂ lancĂ©e et personne ne peut faire marche arriĂšre.
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Une baisse de 60% ou plus...
Les princeps, ou mĂ©dicaments classiques, sont la principale prĂ©occupation des pharmaciens. MalgrĂ© lâabsence de chiffres officiels, certains professionnels sâobstinent Ă avancer une rĂ©duction moyenne de 20%. Cependant, sur une bonne partie des mĂ©dicaments concernĂ©s, la baisse sera de 60% ou plus. «RĂ©duire les prix des princeps de 60% voire 80%, câest baisser les recettes dans les mĂȘmes proportions. Pour leur part, ni les prix de vente ni les quantitĂ©s commercialisĂ©es des gĂ©nĂ©riques ne pourraient compenser les pertes. Dâailleurs, le ministĂšre promet de baisser Ă©galement leur prix dans les semaines qui suivront la baisse des prix des princeps. Cela va conduire les pharmaciens Ă leur perte», met en garde un professionnel. Dâailleurs, nombre de pharmaciens auraient dĂ©jĂ mis la clĂ© sous le paillasson. «Ce sont deux sujets diffĂ©rents, nous ne voyons pas comment la baisse des prix des mĂ©dicaments pourrait causer la fermeture dâofficines. Certes, le chiffre dâaffaires sera impactĂ© Ă la baisse. Mais câest tout. Car nous accompagnerons les pharmaciens», promet Zalim Abdelhakim, responsable de la direction de la pharmacie au sein du ministĂšre de la SantĂ©. Commentâ? Le ministĂšre aurait commandĂ© une Ă©tude pour mesurer lâimpact de la baisse promise des mĂ©dicaments sur le chiffre dâaffaires des officines. Et contrairement aux chiffres avancĂ©s dans la presse, les pourcentages de ces baisses nâont pas encore Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s. «âPlusieurs scĂ©narios sont encore Ă lâĂ©tude. Les montants des baisses nâont jusquâici pas encore Ă©tĂ© fixĂ©s.â» Tout ce que lâon saura en revanche, câest que sept pays ont Ă©tĂ© pris comme rĂ©fĂ©rence pour calculer cette baisse (France, Belgique, Espagne, Portugal, Turquie et Arabie saoudite). «Les marchĂ©s de Turquie et dâArabie saoudite sont parmi les moins chers au monde. Câest pour cela que nous les avons choisis parmi nos rĂ©fĂ©rences», explique Zalim. Et câest ce que craignent justement les professionnels. «Nos marchĂ©s et ceux des pays choisis nâont pas la mĂȘme taille et la demande nâest pas la mĂȘme, rĂ©torque un pharmacien, membre de la fĂ©dĂ©ration, sous couvert dâanonymat. Un produit vendu aujourdâhui Ă 200 dirhams pourra lâĂȘtre Ă 80 dirhams (sur la base dâune baisse de 60%, ndlr). Si on enlĂšve la TVA et le prix dâachat, le gain devient ridicule.» Or, les 12â000 pharmacies existantes dans le Royaume peinent Ă faire du chiffre. Les conclusions de cette Ă©tude dâimpact seront prĂȘtes fin septembre. Elles serviront Ă la prĂ©paration dâun plan dâaccompagnement des pharmacies.
Quoi quâil en soit, quelques jours seulement auront suffi pour rappeler aux Marocains la dure rĂ©alitĂ©â: les prix des mĂ©dicaments ne baisseront pas suffisamment. LâidĂ©e de lâEtat dâĂ©largir lâassiette des populations ayant accĂšs aux mĂ©dicaments en se basant uniquement sur une baisse des prix nâest pas solide. Elle pose le problĂšme de lâĂ©quilibre des recettes des pharmaciens. Celui-ci pourrait ĂȘtre rĂ©solu en leur permettant dâĂȘtre rĂ©munĂ©rĂ©s pour leurs conseils sans pour autant se substituer aux mĂ©decins. Ainsi, ils pourraient assurer davantage de missions de prĂ©vention, de dĂ©pistage ou dâaccompagnement des patients. Un projet semblable est en cours en France. Plus grave, cette baisse ne rĂ©sout pas le problĂšme dans le fond. Car les plus dĂ©munis, qui constituent plus de 34% de la population, nâauront accĂšs quâaux mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, moins onĂ©reux. Quelques mĂ©decins et pharmaciens contactĂ©s par actuel remettent en question lâefficacitĂ© de ce type de mĂ©dicaments. «âA mĂȘme dosage de principe actif, un gĂ©nĂ©rique a des chances de ne pas avoir lâeffet escomptĂ©. Les gĂ©nĂ©riques doivent donc rester un choix et non devenir la seule alternativeâ», affirme lâun dâentre eux. Or, aujourdâhui, pour sâassurer des rĂ©sultats, des mĂ©decins prescrivent de fortes doses de gĂ©nĂ©riques Ă des patients dĂ©munis, qui nâont pas les moyens de sâoffrir des petites doses de princeps. Au risque, selon des professionnels, de voir leur santĂ© se dĂ©grader.
Abdelhafid Marzak |