Doper ses ventes, prospecter ou crĂ©er le buzz. Si les raisons dâorganiser des loteries publicitaires sont trĂšs claires, les conditions dans lesquelles se dĂ©roulent ces jeux le sont rarement.
Quelquâun de votre entourage a-t-il dĂ©jĂ gagnĂ© Ă un tirage au sort ou Ă une tombolaâ? Nonâ? Et pour cause, il est difficile de mettre la main sur des gagnants de tombolas et autres «loteries publicitaires». A tel point que peu de Marocains croient encore aujourdâhui Ă ce «âmytheâ», persuadĂ©s que les jeux concours sont truquĂ©s. «Les gagnants sont souvent des personnes anonymes pour moi», lance une jeune cadre bancaire. Pour quelques-uns dâentre eux, les entreprises nâorganisent pas de tombolas et les gagnants, dans le meilleur des cas, sont complices de leurs employĂ©s. Au pire, ils sont imaginaires.
Pourtant, pour Me Imane Benchakroune, notaire Ă Casablanca, les gains et les gagnants sont bien rĂ©els. Elle en sait quelque chose puisque depuis plusieurs annĂ©es, elle intervient pour le compte dâentreprises. «Les notaires sont souvent sollicitĂ©s pour traiter les dossiers de rĂšglement de loteries publicitaires dĂ©posĂ©s par les entreprises», explique Me Benchakroune qui reconnaĂźt, toutefois que les pouvoirs du notaire sont limitĂ©s. Pour dĂ©poser le rĂšglement de sa loterie publicitaire, lâentreprise a le choix entre deux optionsâ: un dĂ©pĂŽt avec contrĂŽle et un autre sans contrĂŽle. Les entreprises optent souvent pour le deuxiĂšme choix en lâabsence dâobligation lĂ©gale. Ainsi, elles se font accompagner par un notaire qui se limite Ă authentifier le rĂšglement. Lors du tirage au sort, il rĂ©dige un procĂšs-verbal prĂ©cisant le nom de chaque gagnant. «âDans ce cas, le notaire ne peut pas contrĂŽler le dĂ©roulement du tirage au sortâ», affirme Me Benchakroune. Cette tĂąche est dâautant plus difficile lorsquâil sâagit dâun tirage au sort effectuĂ© par un logiciel. Ne disposant pas des compĂ©tences techniques nĂ©cessaires, le notaire ne peut pas vĂ©rifier que le logiciel en question respecte les lois de la probabilitĂ©. «A quelles exigences le logiciel rĂ©pond-ilâ? Celles de lâentreprise, de son programmeur ou du hasardâ?», sâinterroge un jeune Ă©tudiant en informatique. Pour Ouadih Madih, prĂ©sident dâUniconso, une association de protection des consommateurs, «âmĂȘme si la loi 31-08 prĂ©sente une avancĂ©e en matiĂšre de protection du consommateur, le lĂ©gislateur nâa pas accordĂ© suffisamment dâattention aux nouvelles technologies. Conclusion, lâentreprise est seule responsable du contenu du rĂšglement et du dĂ©roulement de la tombola. Dans ces conditions, il nâest pas Ă©tonnant de constater des dĂ©passementsâ». «âLâabus est omniprĂ©sentâ», affirme Ouadih Madih. Il commence au moment mĂȘme de la participation du candidat. Lâarticle 60 de la loi 31-08 pour la protection des consommateurs stipule dans son deuxiĂšme alinĂ©a que «âle bulletin de participation [âŠ] doit ĂȘtre distinct de tout bon de commande, ou de facture, de quittance, de ticket de caisse ou de tout autre document en tenant lieuâ». Or, participer avec une facture dâachat ou envoyer les emballages vides dâun produit dĂ©terminĂ© sont les principales conditions exigĂ©es pour la participation Ă un tirage au sort. «âLe ticket de caisse est la seule preuve dâachat que dĂ©tient le client. En cas de problĂšme, il ne pourra pas user de son droit de recours car sa seule preuve matĂ©rielle sera perdueâ», explique Ouadih. Pour se justifier, les entreprises qui exigent les tickets de caisse et factures rappellent que le dĂ©cret dâapplication de la loi 31-08 nâest pas encore publiĂ©. «âCe nâest pas une raison pour ne pas proposer un autre mode de participation que les factures. Les entreprises qui se respectent nâabusent jamais de leurs clientsâ», souligne Ouadih. Par acquit de conscience, le notaire peut tout Ă fait rĂ©futer un ou plusieurs aspects de la loterie publicitaire de son client. Charge Ă lâentreprise dâen modifier les termes pour prouver sa bonne foi.
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Reconstruire le puzzle, mission impossible
Le cas sâest rĂ©cemment prĂ©sentĂ©, lorsquâun client a remis en cause les conditions dâattribution du lot quâil avait gagnĂ©. Le jeu en question consistait Ă gagner systĂ©matiquement un ticket dâentrĂ©e Ă une piscine, valable pour un enfant de 12 ans, Ă lâachat dâun montant bien prĂ©cis de produits. Sauf quâen lisant la facture, on y trouvait une obligation pour lâenfant dâĂȘtre accompagnĂ© par un adulte. Lequel accompagnement nâĂ©tait pas pris en charge par lâorganisateur du jeu. AlertĂ©e, lâentreprise en question a immĂ©diatement corrigĂ© le tir.
Nombreux sont les jeux consistant Ă reconstruire une image, une phrase ou les deux. Pour gagner son lot, le consommateur doit retourner une partie ou tout lâemballage des produits consommĂ©s prouvant quâil a rĂ©ussi Ă reconstituer le puzzle. «âDans ce cas, lâentreprise sâassure que lâĂ©lĂ©ment rare du puzzle ne sera dĂ©couvert en ville quâĂ la derniĂšre minute. Dans la majeure partie des cas, ces unitĂ©s sont distribuĂ©es dâabord dans les patelins et villages reculĂ©sâ», explique un notaire sous couvert dâanonymat. De cette maniĂšre, la compĂ©tition bat son plein et les ventes restent Ă©levĂ©es, surtout dans les grandes villes qui tirent le chiffre dâaffaires vers le haut. Les derniĂšres unitĂ©s gagnantes sont Ă©coulĂ©es dans les grandes villes au dernier moment. LĂ©galement, rien nâempĂȘche lâentreprise de procĂ©der ainsi. A condition de mentionner sur le rĂšglement du jeu lâordre des villes dans lesquelles les Ă©lĂ©ments rares seront distribuĂ©s.
Si ces pratiques sont toujours admises, et tout Ă fait lĂ©gales, les rumeurs autour de magouilles et trucages de tombolas et autres jeux Ă tirage au sort ne manquent pas. Tout en refusant de dĂ©voiler les noms des entreprises concernĂ©es ou des personnes impliquĂ©es, les tĂ©moins quâactuel a approchĂ©s ont tenu Ă livrer leur version des faits. PremiĂšre histoire, celle dâune entreprise qui, pour les besoins dâun jeu par envoi de SMS, utilisait un logiciel lui permettant dâavoir une idĂ©e sur le nombre de participants. Lâoutil permettait de calculer, pour chaque client, les chances que ce dernier avait de gagner, en se basant sur le nombre de participations. Une employĂ©e informait sa complice, Ă lâextĂ©rieur, de ses chances de gagner. DĂšs quâelle ne se trouvait plus en tĂȘte de liste, lâemployĂ©e lâalertait pour quâelle recharge immĂ©diatement son compte et lâutilise intĂ©gralement en envoyant des SMS afin de reprendre la tĂȘte de liste des statistiques. A la fin du jeu, la complice remporta un tĂ©lĂ©viseur. Autre concours, autre mĂ©thode. Pour le mĂȘme type de lots, une autre entreprise demandait aux participants de remplir un formulaire de questions assez difficiles. On sollicitait alors les amis pour envoyer le formulaire vide, charge aux salariĂ©s de lâentreprise de modifier les rĂ©ponses et le score.
La loterie publicitaire est un filon qui sĂ©duit de plus en plus dâentreprises. Si une tombola permet dâaccroĂźtre la visibilitĂ© de lâentreprise qui lâorganise, elle peut Ă©galement devenir une importante source de revenus. Et les entreprises ne sâen privent pas. Câest le cas des tombolas tĂ©lĂ©visĂ©es auxquelles la participation se fait par envoi de SMS. Des questions, en gĂ©nĂ©ral assez simples, Ă choix multiples sont posĂ©es. La rĂ©ponse doit ĂȘtre envoyĂ©e vers un numĂ©ro surtaxĂ©. «LâopĂ©rateur tĂ©lĂ©phonique rĂ©cupĂšre entre 60% et 70% du prix du SMS. Lâentreprise qui organise la tombola empoche quant Ă elle 30% Ă 40%», explique Ouadih Madih. Quand la tombola a lieu en prime time, lâon peut imaginer le nombre de participants et les recettes.
Abdelhafid Marzak |