Comme pour les affaires Benallou et Ibrahimi, le procĂšs de Khalid Alioua pourrait rĂ©server bien des surprises. Car au-delĂ des faits reprochĂ©s, câest encore une fois le problĂšme de la gouvernance et du partage des responsabilitĂ©s qui est posĂ©. Lâaffaire Alioua, qui ne fait que dĂ©marrer, risque dâĂ©clabousser dâautres personnes.
On nâa pas fini dâentendre parler de lâaffaire CIH (CrĂ©dit Immobilier et HĂŽtelier). Une nouvelle saison de ce feuilleton judiciaire, lâun des plus long que le Maroc ait connus, vient de dĂ©marrer avec lâarrestation, vendredi dernier, de lâancien prĂ©sident directeur gĂ©nĂ©ral de la banque publique. Trois autres anciens cadres du CIH ont Ă©galement Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s et 12 prĂ©venus sont interrogĂ©s en Ă©tat de libertĂ©. Entendu depuis mars dernier par les Ă©quipes de la Brigade nationale de la Police judiciaire, Khalid Alioua est dĂ©sormais poursuivi en Ă©tat de dĂ©tention prĂ©ventive. Une dĂ©cision qui, semble-t-il, nâa ni surpris ni choquĂ© le mis en cause, encore moins sa dĂ©fense. «âUne telle dĂ©cision Ă©tait prĂ©visible. Mais, nous escomptions plutĂŽt une poursuite en Ă©tat de libertĂ©, moyennant une cautionâ», explique Driss Saba, lâavocat de Alioua. Cette dolĂ©ance dâailleurs a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e au juge dâinstruction. Revenant sur lâarrestation de son client, lâavocat qualifie dâillĂ©gale la procĂ©dure dĂ©clenchĂ©e par le procureur gĂ©nĂ©ral Ă Casablanca. «âIl nâest pas normal dâouvrir un dossier pĂ©nal alors que la mĂȘme affaire est toujours entre les mains de la Cour des comptesâ», sâindigne Me Saba. Selon lui, les Ă©quipes dâAhmed ElâMidaoui nâont toujours pas clos le dossier qui nĂ©cessite un complĂ©ment dâenquĂȘte. «âTant que ce dossier nâa pas Ă©tĂ© fermĂ© et quâaucune sanction, ni pĂ©cuniaire ni disciplinaire, nâa Ă©tĂ© prononcĂ©e par les juges de la Cour des comptes, on ne peut pas ouvrir un dossier pĂ©nalâ», soutient Me Saba. Ce que rĂ©fute en bloc Me Mohamed Tarik SbaĂŻ, prĂ©sident de lâInstance nationale de protection des deniers publics. Selon lui, lâouverture dâun dossier pĂ©nal et la procĂ©dure judiciaire qui a abouti Ă la poursuite de Alioua en Ă©tat dâarrestation ne souffrent dâaucun vice de formeâ: «âQuand la Cour des comptes juge que les infractions relevĂ©es par ses magistrats sont dâordre pĂ©nal, elle saisit le procureur gĂ©nĂ©ral du tribunal concernĂ©, pour approfondir lâenquĂȘte.â» Ce qui a Ă©tĂ© le cas pour lâaffaire CIH.
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Alioua, un cavalier solitaire
Pour rappel, en 2010, la Cour des comptes avait consacrĂ© une cinquantaine de pages de son rapport 2009 aux dysfonctionnements et fautes de gestion survenus entre 2003 et 2009, couvrant donc le mandat Khalid Alioua (2004-2009). Les magistrats de la Cour des comptes ont relevĂ© plusieurs dĂ©faillances de gestion, dĂ©noncĂ© la dilapidation des deniers publics et mis en lumiĂšre plusieurs opĂ©rations douteuses dont certaines au profit du top management et de ses proches. Parmi les griefs les plus rĂ©currents, le rapport cite lâoctroi de crĂ©dits ou de facilitĂ©s accordĂ©es Ă des opĂ©rateurs, sans respect du rĂšglement intĂ©rieur du directoire. De mĂȘme, la cession du patrimoine, hors exploitation de la banque, Ă soi-mĂȘme ou Ă des proches, Ă des prix nettement infĂ©rieurs Ă ceux du marchĂ©. Ou encore la mise Ă disposition du prĂ©sident et de ses proches de produits, Ă©quipements et ressources du CIH. Les magistrats de la Cour des comptes ont Ă©galement pointĂ© du doigt la propension de lâancien prĂ©sident de la banque Ă faire cavalier seul, rĂ©duisant au maximum lâimplication du conseil dâadministration. Ce dernier Ă©tait souvent amenĂ© Ă prendre acte des dĂ©cisions de Alioua. Ce dysfonctionnement a dâailleurs perdurĂ© mĂȘme aprĂšs le changement en 2007 du mode de gouvernance du CIH, en sociĂ©tĂ© anonyme Ă directoire et conseil de surveillance. Ainsi, pour le recouvrement des affaires grands comptes, le conseil a Ă©tĂ© informĂ© des dĂ©cisions prises au lieu dâĂȘtre consultĂ© au prĂ©alable, note le rapport de la Cour des comptes. Cette mĂȘme anomalie a Ă©tĂ© relevĂ©e dans le fonctionnement des diffĂ©rents instruments de gouvernance, directoire, comitĂ© de direction, comitĂ© de recouvrement⊠Alors que ces entitĂ©s sont censĂ©es garantir une meilleure gouvernance en favorisant des prises de dĂ©cision collĂ©giales, avec un maximum de transparence, les cas du CIH et de lâONDA confirment que la rĂ©alitĂ© est tout autre. Dans les faits, ces structures sont, en lâabsence dâune rĂ©elle volontĂ© de moralisation de la vie publique, rĂ©duites Ă des coquilles vides. A titre dâexemple, le CIH est dotĂ© dâun conseil de surveillance et dâun directoire crĂ©Ă© en 2007 et prĂ©sidĂ© par Alioua. Ce dernier prenait des dĂ©cisions sans consulter les autres membres du directoire ââĂ savoir les reprĂ©sentants de la CDG et du groupe français Caisses dâĂ©pargneââ ni mĂȘme les informer. «âCe qui provoquait des situations de blocage et des conflitsâ», relĂšve les magistrats de la Cour des comptes. Mais, fait curieux, face Ă de tels agissements qui semblaient ĂȘtre bien ancrĂ©s, pourquoi les autres administrateurs nâont-elles jamais donnĂ© lâalerteâ? Comment expliquer ce silence assourdissantâ? Quelle est leur part de responsabilitĂ© dans le dossier CIHâ? Autant de questions qui demeurent sans rĂ©ponse. Mais la dĂ©fense de Alioua sâaccroche Ă cet argument et entend lâexploiter au maximum. Selon lâavocat de Alioua, plusieurs personnes pourraient ĂȘtre Ă©claboussĂ©es dans cette affaire. Câest le cas, assure-t-il, de lâancien directeur gĂ©nĂ©ral de la CDG, Mustapha Bakkoury, ainsi que dâautres administrateurs qui avaient validĂ© certaines dĂ©cisions, reprochĂ©es par la suite Ă Alioua. DĂ©cidĂ©ment, lâaffaire CIH nâa pas encore livrĂ© tous ses secrets.
Khadija El Hassani |