SNI droit dans ses bottes dans l’exécution de son repositionnement annoncé en mars 2010. Le leader mondial des produits frais s’engage à développer sa filiale marocaine.
On imagine la satisfaction de Franck Riboud, président directeur général de Danone, et fils d’Antoine qui fut la figure du capitalisme français à visage humain. Il vient de conclure avec SNI un protocole d’accord qui permet à son groupe, leader mondial de l’agroalimentaire, de prendre le contrôle franc de la Centrale Laitière.
Le groupe français porte ainsi sa participation à 67,0% de Centrale Laitière en achetant à SNI 37,8% de son capital sur ce fleuron de l’agroalimentaire marocain. Il en était actionnaire depuis 1996 et en détenait déjà 29,2%. Centrale Laitière, c’est plus de 60% du marché marocain et un chiffre d’affaires de près de six milliards de dirhams. Les deux entreprises se connaissent bien, et leurs cadres sont habitués à travailler ensemble. Danone n’aura pas besoin de forcer sur la communication pour établir sa notoriété, les produits Yawmy, Moufid et Activia étant déjà commercialisés sous sa marque, et avec succès, par Centrale Laitière. Ici, un peu comme en France, « le yaourt ça s’appelle un Danone ».
Un deal intelligent
Dans son communiqué publié à Paris en même temps que celui de SNI, le Groupe Danone indique que « cette opération constitue une étape majeure pour (son) développement au Maroc et va lui permettre d’investir davantage sur un marché à fort potentiel. Elle confirme aussi son intérêt stratégique pour l’Afrique du Nord ». Sur un plan business, il est clair que Danone réalise un deal intelligent en faisant l’acquisition d’une entreprise qu’il va pouvoir intégrer dans ses comptes consolidés et refléter rapidement dans son bénéfice net par action dès la première année. Pour un groupe dont les journaux bruissent régulièrement de menaces d’OPA de la part de ses concurrents, il est clair que Centrale Laitière apporte un bol de réconfort.
Côté marocain, l’opération apparaît également rationnelle et, en tout cas, non dépourvue de signes. SNI soigne en effet le sens de ses actes. Il y a un an, la holding royale cédait le contrôle majoritaire de Lesieur Cristal au groupe Sofiprotéol, un professionnel leader des produits oléagineux. En cédant Centrale Laitière, SNI ne l’abandonne pas non plus à l’incertitude, Danone étant une référence mondialement reconnue pour son savoir-faire. Au-delà du choix de ses repreneurs, ce que SNI poursuit, c’est à la fois la réduction de son périmètre d’activité et la transformation de son rôle dans l’économie. L’annonce en avait été faite en mars 2010 lors d’un conseil d’administration qui fit trembler de surprise les murs de l’ex-ONA. Contre toute attente, la holding royale abandonnait sa configuration multimétier et ses responsabilités opérationnelles sur ses filiales, et se retirait de la Bourse. La fin d’une époque. SNI absorberait les actifs de ONA dont elle était l’actionnaire de référence et, du même élan, se replierait à son tour sur un métier d’investisseur en position d’actionnaire minoritaire. L’ère était finie d’une holding royale intervenant directement dans le management des entreprises cotées en Bourse. En parallèle, SNI s’engageait, outre la cession du contrôle industriel de ses filiales à des opérateurs de référence, à céder en Bourse une bonne partie de ses participations sur les entreprises concernées. De quoi redonner des couleurs à la Place de Casablanca et intéresser les petits porteurs.
Que ce soit pour Lesieur Cristal ou pour Centrale Laitière, on reconnaîtra à SNI sa ténacité à convaincre sur les atouts du Maroc. Pas évident en effet, par temps de crise, à un moment où les transactions de ce type se raréfient, de persuader des industriels de la zone euro de mobiliser de l’argent frais pour des acquisitions sur des marchés éloignés de leurs maisons mères. Mais aussi, sa capacité à effectuer les transactions à des niveaux valorisant les actifs cédés à des niveaux records – Centrale Laitière est cédée à un cours de 1 700 dirhams par action présentant une prime de plus de 35% sur le dernier cours de Bourse. En tous cas, l’opération est utile pour les réserves de changes du Maroc actuellement au plus bas. Beaucoup doutaient de la capacité de la holding royale à tenir sa promesse de se retirer du contrôle opérationnel de Lesieur ou de Centrale Laitière. Dans une déclaration récente, elle confirmait même qu’elle poursuivait en confiance ses discussions pour la cession de Cosumar. C’est donc bien à un tournant du capitalisme marocain que l’on assiste.
Danone et SNI, RSE partagée
Le Palais a, de fait, dès 2008, anticipé avec prémonition les signaux faibles et les polémiques sur ce qui sera présenté ces derniers temps comme une hégémonie selon les uns, ou carrément sa « prédation » – rien que ça – pour les autres en mal d’inspiration, sur l’industrie et sur la Bourse de Casablanca. Il a annoncé en son temps qu’il se retirerait méthodiquement du contrôle d’entreprises dont il cède le pilotage industriel à des opérateurs d’envergure mondiale, tout en intéressant à une partie du capital les investisseurs et les épargnants nationaux. A Centrale Laitière, l’arrivée de Danone devrait être plutôt bien vécue. Son professionnalisme y est pour beaucoup. On s’attend légitimement à ce que l’intégration au sein du groupe Danone donne lieu à des plans de développement, appuyés sur des synergies fortes au niveau régional. Pour sa part, le groupe de Franck Riboud a promis de faire de cette opération une success story, affirmant sa volonté de « contribuer au succès du Plan Maroc Vert dans sa composante Lait ». On remarquera pour finir que SNI et Danone ont fait référence, dans leurs communiqués respectifs, à leur responsabilité sociale partagée. Danone est classé dans les principaux indices de responsabilité sociale, notamment le Sustainability Index du Dow Jones et les indices ASPI Eurozone et Ethibel Sustainability, index de l’agence Vigeo. Sa présidente Nicole Notat, lors de la remise des trophées RSE à Casablanca, a loué le rôle actif qu’a joué le président de SNI dans l’introduction de la RSE au Maroc, et en particulier dans le groupe qu’il dirige. Pour sa part, Centrale Laitière est, selon le communiqué de Danone, « active dans plusieurs domaines relevant de la RSE ». Pour les salariés et les cadres de Centrale Laitière, ce langage est rassurant. Pour le Maroc aussi.
Yanis Bouhdou |