Lâarrestation de lâancien prĂ©sident de la Comanav, de ses ex-collaborateurs et de responsables syndicaux a fait lâeffet dâune bombe. Sa coĂŻncidence avec la quasi-faillite de la Comarit donne lieu Ă toutes les supputations sur «âlâorigineâ» de lâaffaire et les chefs dâinculpation. Mais lâĂ©lĂ©ment dĂ©clencheur reste un mystĂšre.
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LâĂ©tĂ© promet dâĂȘtre chaud. Alors que lâaffaire Benallou (ONDA) nâest pas tranchĂ©e et celle de Alioua (CIH) toujours en stand by, la machine judiciaire sâest soudain emballĂ©e Ă propos de Comanav. Son ancien PDG, Taoufiq Ibrahimi, figure parmi les prĂ©venus. Lâannonce de son interpellation, durant le week-end dernier, a fait lâeffet dâune bombe. Et le milieu des affaires casablancais parle dĂ©jĂ de chasse aux sorciĂšres et de campagne dâassainissement bis⊠Alors que la procĂ©dure judiciaire vient tout juste de sâenclencher, Ibrahimi est dĂ©jà «âprĂ©sumĂ© coupableâ» aux yeux de bon nombre de commentateurs plus ou moins proches du dossier. Voici encore quelques semaines, lâex-PDG de Comanav Ă©tait prĂ©sentĂ© comme le sauveur potentiel de Comarit, la compagnie maritime mise Ă terre par la famille Abdelmoula. Son plan de sauvetage, qui semble-t-il tenait la route, nâaurait toutefois pas convaincu les banques crĂ©anciĂšres.
Les motifs de son arrestation sont restĂ©s obscurs jusquâĂ la comparution des six personnes mises en cause devant le juge dâinstruction Ă la cour dâappel de SalĂ©. Les chefs dâaccusation prononcĂ©s, mardi soir, laissent sans voixâ: «âConstitution de bandes de malfaiteurs, atteinte Ă la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, divulgation du secret professionnel, incitation Ă faire grĂšve et sabotage de constructions portuaires et de bateaux.â» Autant dâactes qui auraient pĂ©nalisĂ© le port de Tanger Med. Il est question de sabotage avec «âincitation Ă faire grĂšveâ» en rĂ©fĂ©rence aux arrĂȘts de travail Ă rĂ©pĂ©tition quâavait connus Tanger Med lors du dernier trimestre 2011. Autrement dit, aprĂšs son Ă©viction de la prĂ©sidence du directoire de TMSA qui date dâavril 2011⊠Pour mĂ©moire, cette paralysie avait occasionnĂ© des retards dans le traitement des conteneurs et incitĂ© les transporteurs Ă dĂ©charger leurs cargaisons dans des ports europĂ©ens (Eurogate, Safmarine notamment). Au vu de lâĂ©normitĂ© des faits reprochĂ©s au groupe dâinterpellĂ©s, les dĂ©cideurs politiques gagneraient Ă se montrer plus transparents, ne serait-ce que pour rassurer lâopinion publique et surtout les patrons dâentreprises, publiques et privĂ©es, tous tĂ©tanisĂ©s par la brutalitĂ© de lâarrestation et la gravitĂ© des charges. Car en attendant, les commentaires fusent dans tous les sens.
Selon certains, lâaffaire aurait Ă©tĂ© enclenchĂ©e aprĂšs une plainte dĂ©posĂ©e, il y a quatre mois, par Abdelmoula, suite Ă la dĂ©couverte dâun trafic important de billetterie Ă Comanav Voyage. Plainte qui aurait Ă©tĂ© suivie par la mise en place dâĂ©coutes tĂ©lĂ©phoniques des suspects. Ni les motivations ni lâidentitĂ© du juge ayant ordonnĂ© cette Ă©coute ne sont connues Ă ce jour. Pourtant, câest ce qui aurait donnĂ© lieu Ă lâactuelle procĂ©dure judiciaire. Ce qui fait dire Ă un avocat de lâun des prĂ©venusâ: «âEn rĂ©alitĂ©, il nây a de preuves tangibles pour aucune de ces accusations. Toute lâaffaire repose sur des Ă©coutes de communications tĂ©lĂ©phoniques entre prĂ©venus.â» Ces Ă©coutes constitueraient la piĂšce maĂźtresse des accusations formulĂ©es plus haut.
Autre explication avancĂ©eâ: les charges retenues contre Ibrahimi et consorts seraient liĂ©es aux conditions de gestion de la Comanav, puis de sa cession Ă CMA CGM. Sauf que le rapport de la Cour des comptes de 2005 ââauquel il est fait rĂ©fĂ©rence pour appuyer ces accusationsââ relate des faits antĂ©rieurs Ă lâarrivĂ©e dâIbrahimi. A moins quâil nâ y ait dâautres documents accablants pour lâheure inconnusâŠ
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Flash-back
En 2007, le Français CMA CGM se porte acquĂ©reur en misant 2,25 milliards de dirhams, une coquette somme bienvenue pour les caisses de lâEtat. Dans un contexte particuliĂšrement dĂ©licat pour les finances publiques, CMA CGM a Ă©tĂ© seul Ă manifester un intĂ©rĂȘt pour la compagnie nationale alors que son activitĂ© nâest pas axĂ©e sur le transport de personnes mais exclusivement sur celui des marchandises. Aussi, CMA CGM se voit contraint de scinder Comanav en deux pĂŽlesâ: pĂŽle fret et pĂŽle ferry. En fĂ©vrier 2009, le pĂŽle ferry est repris par Comarit. Lâincident diplomatique entre le Maroc et la France est Ă©vitĂ© in extremis. De façon inexpliquĂ©e, Ibrahimi restera aux commandes de Comanav jusquâen 2010. Câest donc lui qui pilotera lâopĂ©ration de cession du pĂŽle ferryâŠ
Câest aussi lui qui concoctera le plan de sauvetage de Comarit. Pour ce faire, il crĂ©e en mars dernier Morocco Ferries, en sâassociant Ă deux ex-dirigeants de Comanav et Ă une personne morale, SIZ.CO. Morocco Ferries devait se substituer Ă Comarit pour sauver lâentreprise de la banqueroute Ă travers un contrat de gestion pour compte. Lâobjectif Ă©tant de libĂ©rer les navires bloquĂ©s dans le port de SĂšte et de relancer lâactivitĂ©, au moins le temps de la saison estivale. Les banques diront niet. Ibrahimi nâaura pas le temps de trouver une alternative pour se porter en sauveur du pavillon marocain. Son arrestation sera lancĂ©e en mĂȘme temps que celle, entre autres, de son ancien chargĂ© de mission et ancien cadre du ministĂšre des PĂȘches, Mohamed Rami. Les autres prĂ©venus sont lâactuel directeur des ressources humaines du groupe CMA CGM au Maroc et ancien directeur dâarmement de la Comanav, Abderrahim Mandour, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du syndicat des dokers, SaĂŻd El Hirech, et celui des marins, Mohamed Chamchati. Les deux syndicats sont affiliĂ©s Ă lâUMT. Seul un des sept prĂ©venus a Ă©tĂ© relĂąchĂ© mais reste placĂ© sous contrĂŽle judiciaire.
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Garde à vue prolongée
A lâheure oĂč nous mettions sous presse, toutes ces personnes avaient Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es devant le juge dâinstruction de SalĂ© aprĂšs leur comparution devant le procureur gĂ©nĂ©ral au tribunal dâappel de Casablanca. Selon lâavocat de lâun des prĂ©venus, jusquâĂ prĂ©sent, la procĂ©dure judiciaire est normale et ne souffre dâaucun vice. La pĂ©riode de garde Ă vue a Ă©tĂ© prolongĂ©e Ă 96 heures, soit la limite lĂ©gale. AprĂšs leur prĂ©sentation devant le juge dâinstruction de SalĂ©, cinq des six prĂ©venus sont en Ă©tat dâarrestation prĂ©ventive, en attendant la fin de lâinstruction de lâaffaire. Selon une source proche du dossier, la prochaine audience est prĂ©vue pour dĂ©but juillet. Ce dossier Ă rebondissements pourrait alimenter un long feuilleton judiciaire estival.
Khadija El Hassani |
Quid de Comaritâ?
Pendant que Taoufiq Ibrahimi et les autres prĂ©venus attendent la suite de la procĂ©dure judiciaire, le patron de Comarit, Abdelali Abdelmoula tente de faire pression sur les diffĂ©rentes parties, Etat, banques et syndicats. Il annonce Ă son personnel une ultime tentative pour renflouer sa compagnie. Un mystĂ©rieux fonds dâinvestissement italien, dont le nom est gardĂ© secret, serait prĂȘt, selon un courrier adressĂ© Ă ses Ă©quipes, Ă investir prĂšs de 40 millions dâeuros Ă la fin du mois. Mais Ă condition que lâEtat mette la main Ă la poche en apportant, dans les meilleurs dĂ©lais, un complĂ©ment de 25 millions dâeuros au capital du groupe. Les banques devraient aussi abandonner des crĂ©ances et rĂ©Ă©chelonner sur dix ans les dettes rĂ©siduelles. Les fournisseurs devraient Ă©galement consentir Ă en faire de mĂȘme. Les syndicats nâont pas Ă©tĂ© oubliĂ©s. Abdelmoula compte aussi sur leur contribution pour garantir la paix pendant cinq ans. Le patron de Comarit ne manque pas de semer la peur auprĂšs de ses Ă©quipes en menaçant de cessation de paiement si ce plan nâaboutit pas. Oubliant au passage quâil en est le gestionnaire et le propriĂ©taire. |
Un parcours sans faute... jusque-lĂ
1981
âą AprĂšs son baccalaurĂ©at obtenu au lycĂ©e militaire royal, Taoufiq Ibrahimi intĂšgre les classes prĂ©paratoires au lycĂ©e Henri PoincarĂ© Ă Nancy. Il dĂ©croche ensuite un diplĂŽme dâĂ©tudes supĂ©rieures commerciales, administratives et financiĂšres en 1981.
⹠Il débute sa carriÚre professionnelle en France, chez BSN Gervais Danone en tant que responsable commercial puis chef de zone export, chef de produits senior et adjoint au directeur marketing.
âą Il intĂšgre le holding CCI, filiale du groupe Ynna en France, en tant quâadministrateur dĂ©lĂ©guĂ© jusquâen 1992.
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1992
âą Retour au Maroc pour travailler au sein de Asma Invest, sociĂ©tĂ© maroco-saoudienne dâinvestissement dirigĂ©e par Abdellatif Guerraoui.
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1994 -2001
âą En 1994, il est nommĂ© directeur gĂ©nĂ©ral de lâOffice national des pĂȘches.
âą Juin 2001, il obtient un master in public policy and management de la Kennedy School of Government de lâuniversitĂ© de Harvard aux Etats-Unis.
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2001
âą AoĂ»t 2001, il est nommĂ© PDG de Comanav. DĂšs son arrivĂ©e, il met en place un plan de restructuration opĂ©rationnelle, financiĂšre et organisationnelle avec une organisation par pĂŽle mĂ©tier. Objectifâ: recentrage de la compagnie sur ses activitĂ©s rentables et rĂ©duction des charges. Entre autres chantiers, il pilote un plan de dĂ©part volontaire qui touche prĂšs de la moitiĂ© des effectifs.
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2005
âą En 2005, la Cour des comptes enquĂȘte sur des irrĂ©gularitĂ©s de gestion. Mais contrairement Ă ce qui a Ă©tĂ© relayĂ© par diffĂ©rents commentateurs, celles-ci ne portent pas sur le mandat dâIbrahimi, mais sur les annĂ©es prĂ©cĂ©dant son arrivĂ©e. Ces irrĂ©gularitĂ©s avaient Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©es en 2000 suite Ă une mission dâinspection de lâIGF.
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2007
âą En 2007, Comanav est cĂ©dĂ©e Ă CMA CGM au prix de 2,25 milliards de dirhams. Cette privatisation avait fait couler beaucoup dâencre et de nombreuses zones dâombre subsistent aujourdâhui encore sur cette opĂ©ration.
âą Taoufiq Ibrahimi accompagne CMA CGM dans lâintĂ©gration opĂ©rationnelle de Comanav dans les structures internationales du groupe et dans son dĂ©veloppement au Maroc.
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2009-2011
âąEn 2009, Comanav Ferry est cĂ©dĂ©e Ă la famille Abdelmoula
âą Ibrahimi est nommĂ©, en 2011, prĂ©sident du directoire de TMSA, avant dâĂȘtre remerciĂ© cinq mois plus tard. |
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