Interview
Abdeslam Aboudrar
«âLa corruption sĂ©vit lĂ oĂč le pouvoir et lâargent se rencontrentâ»
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Entretien avec Abdeslam Aboudrar, prĂ©sident de lâInstance centrale de prĂ©vention de la corruption (ICPC). Il nous dresse lâĂ©tat des lieux de la corruption au Maroc.
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MarchĂ©s publics, BTP, immobilier, concessions de service public, santĂ© et transport sont les secteurs les plus touchĂ©s. Les corrompus usent de leur pouvoir de dĂ©cision, dâinformation et de gestion des budgets tant que le contrĂŽle et la reddition des comptes font dĂ©faut. Focus sur un flĂ©au qui pĂ©nalise les PME.
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actuelâ: Quels sont les cas les plus frĂ©quents de corruption qui transitent par le portail «âStop corruptionâ»â?
Abdeslam Aboudrarâ: DâaprĂšs les statistiques du portail www.stopcorruption.ma, prĂšs de la moitiĂ© des plaintes reçues portent sur des actes de corruption impliquant lâutilisation abusive dâun pouvoir public Ă des fins personnelles. La deuxiĂšme catĂ©gorie des plaintes les plus frĂ©quentes concerne les dysfonctionnements liĂ©s au processus de passation et dâexĂ©cution des marchĂ©s publics. Enfin, les abus administratifs arrivent en troisiĂšme position. Depuis le lancement dudit portail, le 29 novembre 2010, le nombre de plaintes reçues sâĂ©lĂšve Ă 1â064 dont seulement 291 concernent les PME.
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Ce flĂ©au est-il, selon vous, en recrudescence ou en reculâ?
Si lâon se rĂ©fĂšre Ă lâIndice de perception de la corruption de Transparency International, la note du Maroc est restĂ©e la mĂȘme entre 2010 et 2011 (3,4). Toutefois, le Maroc a lĂ©gĂšrement amĂ©liorĂ© son classement. Il est passĂ© de la 85e position sur 178 pays en 2010, Ă la 80e position sur 182 pays en 2011.
Depuis la signature de la Convention des Nations unies contre la Corruption en dĂ©cembre 2003, le Maroc a fourni des efforts notables, Ă savoir la rĂ©vision du code pĂ©nal, la suppression de la cour spĂ©ciale de justice, la crĂ©ation de lâICPC et dâautres instances de bonne gouvernance et, surtout, la nouvelle ConstitutionâŠ
En matiĂšre de lutte contre la corruption, il faut prendre en considĂ©ration le fait que les efforts fournis ne peuvent aboutir quâĂ moyen et long terme.
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Quelles sont les fonctions les plus exposĂ©es au sein de lâentreprise et les secteurs les plus touchĂ©sâ?
En gĂ©nĂ©ral, la corruption sĂ©vit lĂ oĂč le pouvoir et lâargent se rencontrent. Nous pouvons en dĂ©duire que les dĂ©partements les plus exposĂ©s sont ceux qui dĂ©tiennent le pouvoir de dĂ©cision, dâinformation et de gestion des budgets, surtout lorsque les mĂ©canismes de contrĂŽle et de reddition des comptes font dĂ©faut. Quant aux secteurs les plus touchĂ©s par la corruption, on peut citer les marchĂ©s publics, le BTP, lâimmobilier, les concessions de service public, la santĂ© et le transportâŠ
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Quel est le plan dâaction de lâICPC quand une tentative de corruption est signalĂ©eâ?
De par ses missions, lâICPC est habilitĂ©e Ă recevoir les plaintes des citoyens, Ă les traiter et Ă les qualifier avant de les transmettre Ă la justice. Outre le portail www.stopcorruption.ma, les citoyens peuvent dĂ©poser plainte directement Ă lâICPC, par fax ou par tĂ©lĂ©phone. Le futur cadre juridique de lâInstance, tel que prĂ©vu par la nouvelle Constitution, va dans le sens de lâoctroi des pouvoirs dâinvestigation et dâauto-saisine. LâInstance pourra donc se saisir directement dâune affaire de corruption au sens large, quâil y ait plainte ou dĂ©nonciation, ou suite Ă une information ou Ă une prĂ©somption raisonnable.
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Quelles mesures urgentes doivent ĂȘtre prises pour renforcer le rĂŽle de lâICPCâ?
Le renforcement du rĂŽle de lâICPC passe par la concrĂ©tisation de lâarticle 167 de la nouvelle Constitution qui a Ă©rigĂ© lâICPC en Instance nationale de lâintĂ©gritĂ©, de prĂ©vention et de lutte contre la corruption en la dotant de la personnalitĂ© morale et de lâautonomie financiĂšre, en Ă©largissant son champ dâintervention pour inclure les pouvoirs dâauto-saisine et dâinvestigation. Ces nouvelles prĂ©rogatives doivent ĂȘtre impĂ©rativement accompagnĂ©es par des moyens matĂ©riels et humains adĂ©quats.
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Avez-vous initiĂ© des actions en coordination avec la CGEMâ?
Plusieurs projets ont en effet vu le jour dans le cadre de la coopĂ©ration avec la CGEM. A ce propos, on peut citer lâobservatoire de lâĂ©thique douane-secteur privĂ©, le portail www.stopcorruption.ma, et bientĂŽt une commission dâalerte contre les abus administratifs sera mise en place au sein de lâICPC dans la cadre de la Commission nationale de lâenvironnement des affaires (CNEA).
Nous encourageons Ă©galement la mise en place de pactes dâintĂ©gritĂ©, vĂ©ritables partenariats public-privĂ© de lutte contre la corruption au niveau de tous les secteurs.
Propos recueillis par Mouna Kably |