La crise est lĂ , les banquiers la ressentent comme les PME. Au bord de lâasphyxie, la machine Ă©conomique est en attente dâun Ă©lectrochoc.
Lâon sây attendait depuis des mois, maintenant câest une rĂ©alitĂ©. LâĂ©conomie marocaine est gagnĂ©e par la rĂ©cession qui frappe ses pays partenaires de la zone euro. Certains opĂ©rateurs nâhĂ©sitent pas Ă parler de paralysie de la machine Ă©conomique. Peu de projets dâinvestissement dans le pipe, de moins en moins de dossiers de crĂ©dits traitĂ©s par les banques, aggravation des incidents de paiement, explosion des rĂšglements cash. Les difficultĂ©s, voire lâasphyxie que vivent depuis plusieurs mois les secteurs exportateurs et le tourisme, sont en train de se gĂ©nĂ©raliser au reste du tissu industriel. Au point quâaujourdâhui, les opĂ©rateurs peinent Ă garder la tĂȘte hors de lâeau. Les dĂ©lais de rĂšglement sâallongent, les tensions de trĂ©sorerie montent en flĂšche, tout comme les impayĂ©s.
Lâadoption tardive de la loi de Finances 2012 a prĂ©cipitĂ© la paralysie dâune Ă©conomie dĂ©jĂ fragile. Depuis le dĂ©but de lâannĂ©e, faute de budget, lâEtat et les entreprises publiques ont accumulĂ© les factures, prenant en otage les entreprises prestataires, des petites et moyennes entreprises pour la plupart.
Effet collatĂ©ralâ: les banques font preuve dâune plus grande prudence et ferment le robinet du crĂ©dit. Une prudence alimentĂ©e par lâaggravation du risque et lâenvolĂ©e du taux des crĂ©ances en souffrance. «âGĂ©nĂ©ralement, les banques jouent un rĂŽle contra-cyclique, elles accĂ©lĂšrent la crise en cas de rĂ©cession, et dopent la croissance en cas de repriseâ», explique un analyste financier. Il nâest donc pas Ă©tonnant que les banques locales fassent preuve, depuis plusieurs mois, dâune extrĂȘme prudence et dĂ©veloppent une aversion au risque. Ce nouveau tour de vis sâexplique aussi par le fait que les banques ont dĂ» faire face, depuis novembre 2011, Ă des retraits massifs de liquiditĂ©s, suite Ă la suppression des bons de caisse anonymes. Cette mesure avait fait lâobjet dâune circulaire de Bank Al-Maghrib (BAM) pour tenter de limiter le blanchiment de lâargent sale.
Selon les statistiques de la Banque centrale, lâencours des comptes Ă terme et bons de caisse est passĂ© de 154 milliards Ă 146 milliards de dirhams en lâespace dâune annĂ©e. En 2009, ce poste avait crevĂ© le plafond Ă 160 milliards de dirhams. La levĂ©e de lâanonymat sur les bons de caisse y serait pour beaucoup. A cela sâajoute lâinstauration, en avril 2011, du chĂšque barrĂ© et non endossable pour les clients patentĂ©s. Une dĂ©cision qui, certes, nâa pas force de loi puisquâelle Ă©mane du Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM), mais qui est censĂ©e instaurer plus de transparence dans le rĂšglement des transactions, en limitant les paiements en espĂšces. Dans les faits, sa mise en Ćuvre sâavĂšre ĂȘtre plus compliquĂ©e que prĂ©vu, dâautant que le taux de bancarisation de la population reste trĂšs faible, bien en deçà des 45% annoncĂ©s par BAM.
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Préservation des marges bancaires
Tous ces facteurs expliquent que ni la baisse du taux directeur de 25 points de base Ă 3% dĂ©cidĂ©e par BAM en mars dernier ni le rallongement de la durĂ©e des prĂȘts octroyĂ©s par la Banque centrale aux banques nâont suffi Ă relancer la machine du crĂ©dit. «âEn rĂ©alitĂ©, le resserrement du crĂ©dit par les banques nâest pas liĂ© Ă un problĂšme de liquiditĂ©, mais Ă une aversion au risque face Ă la fragilitĂ© des entreprises et Ă la morositĂ© de la conjonctureâ», explique un analyste financier. QuâĂ cela ne tienne, en dĂ©cidant de rĂ©duire le taux directeur, Bank Al-Maghrib juge important de prĂ©server les marges bancaires. Ce cadeau est concĂ©dĂ© aux banques pour les aider Ă contrecarrer la situation tendue sur le marchĂ© monĂ©taire, les inciter Ă rĂ©duire leur coĂ»t de refinancement et surtout Ă en faire profiter leur clientĂšle. Mais Ă ce jour, ce processus vertueux tarde Ă sâenclencher. La production de crĂ©dit Ă©volue timidement, les taux dâintĂ©rĂȘt affichent une rĂ©sistance Ă la baisse. Quant au marchĂ© interbancaire, il persiste dans une situation de sous-liquiditĂ© qui devient structurelle. Celle-ci sâest mĂȘme aggravĂ©e depuis le dĂ©but de lâannĂ©e. En cinq mois, le dĂ©ficit de liquiditĂ©s a atteint le niveau jamais Ă©galĂ© de 60 milliards de dirhams.
Alors, au-delĂ des actions disparates pour tenter de moderniser lâĂ©conomie, le ministĂšre des Finances, BAM, le GPBM et la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale des entreprises marocaines gagneraient Ă coordonner leurs stratĂ©gies pour accĂ©lĂ©rer le rythme des rĂ©formes et Ă©viter les effets pervers, comme lâhĂ©morragie des capitaux hors du circuit bancaire observĂ©e ces derniers mois.
Mouna Kably |
Nouvel emprunt international avant fin 2012
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En plus de lâextrĂȘme prudence des banques face Ă la montĂ©e du risque et des crĂ©ances en souffrance, la situation de sous-liquiditĂ© est aussi liĂ©e au creusement du dĂ©ficit commercial, au recul des transferts MRE et Ă la chute des recettes touristiques. DâoĂč la dĂ©tĂ©rioration des avoirs extĂ©rieurs nets de BAM. Cette sous-liquiditĂ© persistante incite les banques Ă recourir massivement aux avances hebdomadaires, et plus accessoirement aux pensions Ă trois mois. Les avances Ă sept jours ont totalisĂ© en moyenne 40 milliards de dirhams en avril 2012, contre une moyenne de 31 milliards de dirhams entre janvier et mars. Quant aux avances Ă trois mois, elles ont atteint 15âmilliards de dirhams.
«âAttention, il ne faut pas faire dâamalgame entre ce qui se passe en Europe et au Marocâ», tempĂšre un observateur. La crise de liquiditĂ©s dans la zone UE est liĂ©e Ă la perte de confiance des banques entre elles. «âCâest le seul phĂ©nomĂšne qui peut briser tout Ă©change sur le marchĂ© interbancaire. Au Maroc, ce nâest pas le casâ», soutient-il.
Contrairement Ă ses pays partenaires, le Maroc est, lui, en situation de «âsous-liquiditĂ©sâ». Mais le phĂ©nomĂšne date de 2007 et devient structurel. La dĂ©tĂ©rioration de la compĂ©titivitĂ© de lâoffre exportable y est pour beaucoup. Pour attĂ©nuer cette tension sur les liquiditĂ©s, BAM a dĂ» procĂ©der progressivement Ă un revirement stratĂ©gique. «âAlors que son rĂŽle premier est de veiller Ă la stabilitĂ© des prix, aujourdâhui, elle soutient en prioritĂ© le systĂšme bancaireâ», est-il relevĂ©. Tant que lâinflation demeure modeste et que le systĂšme de compensation des produits de base permet de neutraliser la flambĂ©e des cours mondiaux, ce changement de cap de BAM nâaura pas dâimpact nĂ©faste sur lâĂ©conomie rĂ©elle. A noter quâil existe un autre moyen de desserrer lâĂ©tauâ: sortir sur le marchĂ© international. Salaheddine Mezouar avait initiĂ© une levĂ©e de fonds de 1 milliard dâeuros (11 milliards de dirhams) en 2010. Une bouffĂ©e dâoxygĂšne qui a permis de booster, temporairement, les avoirs en devises. En 2011, aucun emprunt international nâa pu ĂȘtre lancĂ© du fait de la crise de la dette souveraine dans la zone UE. Mais en 2012, les autoritĂ©s monĂ©taires nâĂ©cartent pas lâĂ©ventualitĂ© dâune nouvelle sortie. Le Maroc aurait mĂȘme entamĂ© des nĂ©gociations avec des intervenants Ă©trangers pour lever des fonds Ă des conditions intĂ©ressantes avant fin 2012. |
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