Quelle sera la vocation exacte du port Nador West Med ? Quand sera-t-il opérationnel et quel en sera le coût ? Trois ans aprÚs son annonce, le projet est toujours qualifié par les responsables de « trÚs sensible », et suscite de multiples interrogations malgré les assurances de Rebbah.
En juillet 2009, quatre ministres du gouvernement El Fassi (Amina Benkhadra, Karim Ghellab, Salaheddine Mezouar et Ahmed RĂ©da Chami) se sont relayĂ©s pour fournir, avec force dĂ©tails, des explications sur le mĂ©gaprojet de plateforme portuaire dĂ©signĂ© sous le nom de Nador West Med (NWM). TrĂšs ambitieuse, lâidĂ©e, comme annoncĂ©e initialement, visait Ă crĂ©er une plateforme Ă©nergĂ©tique ayant le statut de zone franche pour le transbordement des cargaisons en provenance des diffĂ©rentes raffineries mondiales. A lâimage de son aĂźnĂ© Tanger Med, mais en plus grand, ce complexe, prĂ©vu sur un domaine foncier de 850 ha, sur la baie de Betoya (Ă lâouest de Nador et limitĂ©e Ă lâest par le cap des Trois Fourches), Ă©tait prĂ©sentĂ© comme un gigantesque port de transbordement, avec une forte vocation pĂ©troliĂšre. Lâobjectif Ă©tant de mettre en place une mĂ©ga-plateforme de stockage de produits pĂ©troliers pour approvisionner non seulement le Maroc mais aussi des pays de la rĂ©gion mĂ©diterranĂ©enne. Ainsi, au lieu dâacheminer directement leurs cargaisons vers les pays clients, les opĂ©rateurs et fournisseurs pĂ©troliers mondiaux viendraient stocker en grands volumes Ă Nador, avant lâapprovisionnement par des navires de moindre capacitĂ©. Câest dire lâimmense espoir suscitĂ© par lâannonce de ce projet qui promettait un dĂ©senclavement Ă grande Ă©chelle pour la rĂ©gion avec des liaisons routiĂšres et autoroutiĂšres amĂ©liorĂ©es et, par consĂ©quent, une ouverture plus importante sur lâĂ©conomie nationale et mĂ©diterranĂ©enne. Sauf que ce projet, annoncĂ© en grande pompe en juillet 2009, est rentrĂ© ensuite dans une longue pĂ©riode dâhibernation, laissant la porte grande ouverte aux supputations sur son maintien et surtout sur sa faisabilitĂ© et sa vocation exacte. Pire, on a mĂȘme, Ă un certain moment, Ă©voquĂ© un Ă©ventuel arrĂȘt du projet. Dâautant que certains observateurs, dont des experts maritimes et portuaires, ont, au moment mĂȘme de sa prĂ©sentation, Ă©mis des rĂ©serves sur la faisabilitĂ© compte tenu de «âlacunes contenues dans la conception du projetâ», et surtout du manque de visibilitĂ© sur la vocation finale du port. Sâagit-il toujours dâun port Ă©nergĂ©tique maintenant que Jorf Lasfar est retenu pour abriter le hub Ă©nergĂ©tique, ou va-t-on le rĂ©orienter vers le transbordement de conteneursâ? Autant de questions qui restent, pour lâheure, sans rĂ©ponse. «âCâest un dossier sensible et aucune communication ne peut ĂȘtre faite tant que lâĂ©tude lancĂ©e par lâAgence nationale des ports (ANP) nâest pas encore bouclĂ©eâ», nous confie une source proche du dossier au ministĂšre de lâEquipement et du Transport. A lâANP, câest le black-out total, aucune rĂ©ponse nâest donnĂ©e aux multiples sollicitations dâactuel. Ce nâest quâĂ travers la rĂ©ponse de Aziz Rebbah, Ă une question Ă la Chambre des Conseillers, la semaine derniĂšre, que lâon saura que le projet est toujours Ă lâordre du jour. Mais, il nâa pas beaucoup avancĂ© et est encore Ă lâĂ©tude. Le projet aura, en effet, demandĂ© plus dâĂ©tudes que prĂ©vu. Et pour cause, les premiĂšres Ă©tudes sismiques et environnementales avaient Ă©tĂ© jugĂ©es incomplĂštes, comme lâavaient dâailleurs martelĂ©, Ă plusieurs reprises, des experts maritimes et portuaires. En septembre 2010, la dĂ©cision a donc Ă©tĂ© prise dâapprofondir les Ă©tudes pour combler cette lacune. Et ce nâest que trois ans aprĂšs lâannonce du projet que les Ă©tudes techniques ont Ă©tĂ© bouclĂ©es.
Le ministre de lâEquipement et du Transport a prĂ©cisĂ©, dans sa rĂ©ponse Ă la Chambre des conseillers, que ces Ă©tudes portent sur la conception de lâenceinte portuaire, les conditions naturelles de la rĂ©gion et lâimpact du projet sur lâenvironnement. LâANP planche toujours sur «âdes Ă©tudes complĂ©mentairesâ». Pourtant, lors de lâannonce du projet en 2009, Karim Ghellab, ex-ministre de lâEquipement, avait affirmĂ© que la premiĂšre phase serait achevĂ©e en 2015.
De son cĂŽtĂ©, lâANP avait programmĂ©, pour cette annĂ©e-mĂȘme, le lancement des travaux de construction des barriĂšres de protection et dâĂ©vidage du bassin du port Nador West Med. Un planning qui doit donc ĂȘtre complĂštement revu, au regard du retard accusĂ© dans lâĂ©laboration des Ă©tudes.
Khadija El Hassani |
Trois questions... Ă Najib Cherfaoui, expert maritime et portuaire
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actuel. Quelle est votre appréciation du projet ?
Najib Cherfaoui. Ce projet est victime de deux erreurs, liĂ©es Ă lâignorance des choses de la mer et Ă lâabsence de culture portuaire chez ceux qui prĂ©sident aux destinĂ©es de ce secteur. Dâabord, ces responsables ont oubliĂ© de mesurer lâimpact dâun tremblement de terre sur le comportement du systĂšme de stockage. Ensuite, ils ont oubliĂ© de prĂ©voir un dispositif de bouĂ©es pour la rĂ©ception des grands navires. En cas de sĂ©isme, la question est de savoir ce quâil adviendra des milliers de tonnes dâhydrocarbures emmagasinĂ©s au sol, si les immenses rĂ©servoirs cĂšdent sous les Ă©normes forces gĂ©nĂ©rĂ©es par les secousses similaires Ă celles dâAl Hoceima en fĂ©vrier 2004.
Dâailleurs, câest Ă la suite de cet Ă©vĂ©nement que les responsables du projet Tanger Med, qui nâavaient pas posĂ© le problĂšme sismique, ont rectifiĂ© le tir. DâoĂč lâĂ©tude improvisĂ©e en novembre 2004 et finalisĂ©e, plus dâune annĂ©e plus tard, en janvier 2005. Concernant lâaccueil des navires gĂ©ants, il doit se faire en mer et il ne faut pas opter pour un bassin abritĂ© par des digues.
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Quelles sont alors vos suggestions ?
Il convient de retenir un amĂ©nagement portuaire bipolaire, composĂ© dâun couple de bouĂ©es SPM (Single Point Mooring) en offshore pour la rĂ©ception des grands tonnages, et dâun port Ă usage domestique (10âm de tirant dâeau) sur la frange littorale. Il faut installer deux bouĂ©es ancrĂ©es au large par des profondeurs comprises entre 30 et 50âm.
Ce systĂšme amĂ©liore les capacitĂ©s de transbordement, car chaque bouĂ©e dispose dâun dĂ©bit de 10â000 tonnes/heure. Le Maroc est pionnier dans le domaine de lâaccueil des grands bateaux citernes. Il fait partie des premiers pays au monde Ă avoir installĂ© des sea lines, en 1952, Ă FĂ©dala (MohammĂ©dia).
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Quelles sont les précautions à prendre pour garantir la réussite du projet ?
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Jâinsiste sur le fait que le flanc ouest du Cap des Trois Fourches est idĂ©al pour lâimplantation du projet Nador Med. Dâabord cette rĂ©gion est situĂ©e sur la route maritime est-ouest, et câest la partie de la MĂ©diterranĂ©e la moins gĂȘnĂ©e par le trafic incessant des navires. Ce qui ramĂšne Ă zĂ©ro les temps de dĂ©viation de navigation. Par ailleurs, la zone dâĂ©tablissement est totalement protĂ©gĂ©e des houles en provenance de lâest de la MĂ©diterranĂ©e, qui sont les plus dures et les plus menaçantes. Ce qui rĂ©duit les pĂ©riodes dâarrĂȘt de travail.
Propos recueillis par Khadija El Hassani |
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