Hollande ou Sarkozy, les Ă©changes entre le Maroc et la France nâĂ©chapperont pas Ă la crise. Sur les grands projets, rien ne sera remis en question.
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Câest avec un ouf de soulagement gĂ©nĂ©ralisĂ© que le monde des affaires marocain a accueilli lâĂ©lection de François Hollande Ă la prĂ©sidence française. Le second prĂ©sident socialiste de la Ve RĂ©publique prend ses fonctions avec un capital sympathie apprĂ©ciable, aprĂšs une fin de mandat de Sarkozy riche en dĂ©rapages et couronnĂ©e par une campagne Ă©lectorale stigmatisant lâimmigration et lâislam. «âTout systĂšme qui sâinstalle dans la durĂ©e est la voie ouverte Ă la dĂ©cadence et aux dĂ©rapages. Lâalternance socialiste est le rĂ©sultat du sursaut rapide du peuple français, comme celui survenu en 2002 face Ă lâascension du Front nationalâ», analyse Ahmed Kassal, Ă©conomiste et homme dâaffaires. LâarrivĂ©e de Hollande aux commandes de lâEtat français va-t-il bouleverser les relations bilatĂ©rales avec le Marocâ? Les avis sont unanimes. Rien ne va changer dans le fond, mais sans doute, faut-il sâattendre Ă quelques amĂ©nagements de forme. La France, comme les autres pays europĂ©ens partenaires du Royaume, a besoin de croissance. Les 700âentreprises françaises implantĂ©es au Maroc gĂ©nĂšrent une activitĂ© prĂ©cieuse par ces temps de rĂ©cession et rapatrient la totalitĂ© des bĂ©nĂ©fices vers lâHexagone. «âIl ne faut donc pas sâattendre Ă un revirement stratĂ©gique radical durant le prochain quinquennat, la France Ă©tant notre premier investisseur, notre premier fournisseur et notre premier clientâ», rappelle Hicham El Moussaoui, Ă©conomiste et chercheur Ă lâuniversitĂ© de Marrakech.
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Deux variables inquiétantes
En 2011, le Maroc a Ă©coulĂ© en France plus de 20% de ses exportations et importĂ© plus de 14% de produits français. Quant aux flux dâinvestissements directs en provenance de lâHexagone, ils ont approchĂ© les 2 milliards dâeuros en 2010, soit 60% du total des IDE captĂ©s par le Maroc.
«âEn fait, quelle que soit la mouvance Ă laquelle appartient le prĂ©sident de la RĂ©publique, câest la variable "crise" qui impactera les relations entre les deux partenairesâ», souligne El Moussaoui. LâannĂ©e 2012 sera celle de la baisse des commandes françaises adressĂ©es aux entreprises locales. Les exportations continueront Ă reculer et le dĂ©ficit commercial Ă se creuser. Idem pour les flux touristiques dont lâessoufflement est dĂ©jĂ palpable, sous lâeffet de la chute des rĂ©servations auprĂšs des principaux tours opĂ©rateurs. Les Marocains rĂ©sidant Ă lâĂ©tranger (MRE) figurant en premiĂšre ligne des classes les plus vulnĂ©rables, les transferts en devises continueront de ralentir, tant que le spectre du chĂŽmage continuera de planer. En effet, sous lâeffet de la crise, les entreprises françaises recourront, dans les prochains mois, aux licenciements massifs et Ă des restructurations pour ĂȘtre fin prĂȘtes Ă la sortie de crise.
«âLâautre variable qui pourrait influer sur les relations bilatĂ©rales est le volume des aides françaises accordĂ©es au Maroc car la France sâapprĂȘte Ă rentrer dans une phase dâaustĂ©ritĂ© budgĂ©taireâ», prĂ©vient lâĂ©conomiste.
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TGV, un investissement structurant
MalgrĂ© les promesses Ă©lectorales, le futur gouvernement socialiste ne pourra y Ă©chapper pour rĂ©duire le poids de la dette publique et limiter le dĂ©ficit budgĂ©taire. Ainsi, lâon peut donc sâattendre Ă un reprofilage de certains prĂȘts Ă taux bonifiĂ©s, comme celui dĂ©diĂ© au financement du TGV. Pour rappel, la facture initiale est Ă©valuĂ©e Ă 1,8 milliard dâeuros, sans compter les coĂ»ts des infrastructures. La France sâest engagĂ©e en 2011 Ă octroyer un prĂȘt de 920âmillions dâeuros Ă des conditions avantageuses, le reliquat devant ĂȘtre dĂ©bloquĂ© par le Maroc et des pays arabes comme lâArabie saoudite, les Emirats arabes unis et le KoweĂŻt. «âLe projet ne pourra pas ĂȘtre remis en question car ce marchĂ© reprĂ©sente des centaines dâemplois en France. De plus, il sâagit dâun engagement entre pays partenaires. Enfin, cet investissement ne peut ĂȘtre que structurant pour le Maroc, car de tout temps, les rĂ©volutions technologiques ont tirĂ© les Ă©conomies vers le haut. Le projet du TGV contribuera Ă dĂ©cloisonner les rĂ©gions et Ă faciliter la mobilitĂ© des ressources humainesâ», assure Ahmed Kassal.
En revanche, les principaux secteurs bĂ©nĂ©ficiaires des flux dâinvestissements directs français pourraient directement pĂątir de cette conjoncture dĂ©favorable dans lâHexagone. Pour rappel, les entreprises françaises sont, pour lâessentiel, prĂ©sentes dans les secteurs de la banque (24%), les tĂ©lĂ©coms (23%), lâimmobilier (18%) et le tourisme (11%). Dans ces secteurs, le ralentissement de lâactivitĂ© se fait, dâores et dĂ©jĂ , sentir. «âMais il nây a pas de fatalitĂ©, le Maroc peut prendre des mesures volontaristes pour limiter lâimpact de la crise europĂ©enne et attirer des flux dâinvestissement hors UE, en provenance des pays pĂ©troliers par exempleâ», souligne El Moussaoui. En clair, le Maroc doit tirer la leçon de cette crise et ne plus courir le risque de compter sur un seul partenaire. Si lâexercice budgĂ©taire 2012 peut ĂȘtre assimilĂ© «âĂ une annĂ©e blancheâ», la loi de Finances nâĂ©tant toujours pas votĂ©e, le gouvernement Benkirane peut dĂ©jĂ plancher sur des rĂ©formes concrĂštes Ă insĂ©rer dans le budget 2013 pour faire repartir la machine Ă©conomique rapidement, Ă condition de changer de logique. JusquâĂ prĂ©sent, la croissance a Ă©tĂ© tirĂ©e par le dynamisme de la demande domestique. Revers de la mĂ©dailleâ: aggravation des dĂ©ficits public et commercial. «âAlors que dans les annĂ©es 80, notre tissu industriel comptait 32â000âentreprises exportatrices et 7â000ââentreprises importatrices, aujourdâhui, la tendance est inversĂ©eâ!â» Le Maroc compte dĂ©sormais 37â000 entreprises importatrices et 3â000 exportatrices. De plus, il est dĂ©ficitaire avec chacun des pays avec lesquels il a signĂ© un accord de libre Ă©change. Il est urgent de stimuler lâoffre interne et exportable, en amĂ©liorant la compĂ©titivitĂ© des entreprises, en ciblant les marchĂ©s Ă©mergents qui affichent des taux de croissance Ă deux chiffres et en attirant les capitaux arabes. De telles mesures nĂ©cessitent une profonde rĂ©forme de la rĂ©allocation des ressources budgĂ©taires. A commencer par la Caisse de compensation.
Mouna Kably
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